Culture

Le carnet de lecture d'Irina Lankova, pianiste

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 8 octobre
2021

La covid a agi comme un aiguillon sur la motivation d’ Irina Lankova pour mieux vivre et faire partager la musique. Déjà chacun de ses jolis enregistrements était conçu comme une invitation â un voyage émotionnel. La pianiste russe a lancé Le piano dévoilé sur youtube, où elle commentés des chefs d’œuvres d’une pédagogie éclairante. Le concert devient aussi l’occasion d’une double échange musical et littéraire avec le public… qui peut aller à sa rencontre le 15 octobre à Gaveau.  

La force de l’émotion surgit toujours.

Irina Lankova Photo Jean-Baptiste Millot

« Je me rends compte combien la mélancolie appartient à l’âme russe et imprègne pour cette raison cette musique et la perception que j’en ai. Ces sentiments font donc partie de mes racines culturelles. Dans Elégie, , je m’en dégage petit à petit en direction d’une dimension plus universelle. Rachmaninov souffle par rafales mais, pour Bach, on doit retirer toute expressivité inutile. C’est le but de mon périple. » Ce que décrit Irina Lankova de son dernier enregistrement pendant le covid synthétise bien aussi la trajectoire de la carrière. Elégie, l’album – qui est aussi le programme du récital commenté du 15 octobre, reste bien évidemment un magnifique tremplin à l’un de ses voyages émotionnels qu’elle a toujours aimés composer et subtilement éclairé d’un jeu profond, sans artifice et rayonnant.

De Schubert à Rachmaninov, en passant par Chopin et Scriabin

Sa discographie témoigne de cette évolution, de sortir d’un romantisme échevelé, propre à l’âme russe, dont racines obligent ne peut se départir. La pianiste russe qui vit en Belgique depuis 2013 le reconnait quand elle évoque Elégie : « Cette musique, loin de me paraître triste, était si puissante et vibrante!  Rachmaninov ne craint pas d’être impudique et s’exprime sans retenue, avec élégance, sobriété et dignité. Le fait d’en prendre conscience et de l’éprouver si profondément m’a façonnée. »

Rompre avec la nostalgie de sa terre natale

Ce qui est passionnant dans sa sélection, des plages de Rachmaninoff, Schubert et Bach qui se sont imposés de son propre aveu  «  comme une évidence, en écho à un moment capital de ma vie », Irina Lankova démontre aussi qu’elle sait aussi apprivoiser cette nostalgie de l’âme russe, dont Andrei Tarkovski dit dans son film Nostalghia qu’elle « maladie mortelle », inséparable de la souffrance extrême qui nous prive du lieu natal et de nos repères intimes…  Dostoïevski a décrit « l’âme russe » comme « la spiritualité d’un peuple pour qui la souffrance est le besoin le plus élémentaire ». Peut-on supporter sa propre intensité ? On retrouve ce questionnement dans l’idée même d’élégie, exaltante et douloureuse. »
Avec L’Adagio Bach/Marcello, ce voyage émotionnel se termine dans l’apaisement avec cette dernière pièce, comme une ouverture vers l’infini…

Irina Lankova, Elégie, photographie Peter Lindbergh

Hommage au photographe Peter Lindbergh

« L’histoire de la couverture, c’est une rencontre d’âme Les photos et le film dédié à la première plage du CD ont été réalisés par mon ami peu avant sa disparition en 2019, Peter Lindbergh. Il disait être très ému par la force et la fragilité de mes interprétations. J’aimais sa recherche de l’authenticité dans ses portraits et j’ai l’impression qu’avec son regard bienveillant, il a pu capter cette dualité, et quelque chose de plus, d’invisible. »

De ce détachement épuré, pour celle qui incarne la fougue de Rachmaninov, aussi élégante que débridée, la finesse spirituelle de Scriabine ou la mélancolie de Schubert avec entièreté et passion, l’expérience ou plutot les Visions,  des Variations Goldberg y est pour beaucoup : «Durant l’enregistrement, cela m’a fait l’effet d’une purification, comme si je me dépouillais de toute l’émotion qui m’avait portée jusque-là. Alors, j’ai pensé à Dieu, à l’univers

Du rituel au visuel

En plongeant dans l’essentiel, elle veut aussi aller toujours plus loin de le partage, ouvrir des portes d’un autre monde, plus intense et plus libre, à ceux qui préfèrent souvent rester au seuil d’une musique qu’ils estiment trop loin d’eux. Ses Variations Goldberg fait l’objet d’un programme multimédia.

Depuis Covid oblige, Irina Lankova a aussi conçu Le piano dévoilé, une série de 12 vidéos sur YouTube où très librement, elle commente ses choix avec émotion et précision, en faisant appel aux faits historiques et en évoquant les parallèles avec d’autres formes d’art.
Elle s’investit sans compter pour inviter l’auditeur à s’immiscer dans une œuvre. Le succès de la démarche l’encourage à franchir le pas dans ses concerts.

Transmettre la musique passe aussi par le dialogue

Inspirée par les musiciens de jazz, la pianiste a compris que l’enjeu de de briser le rituel sombre du concert pianiste enfermé sur scène avec le public mis à distance dans le noir. Non seulement, elle assume ce son rôle de jeter des ponts entre les mots et les notes, mais que de surcroit, cet échange la nourrit :  « J’ai commencé à une époque où des doutes m’empêchaient d’avancer. En parlant avec le public, je n’étais plus toute seule dans ce processus et me sentais plus en confiance pour gagner cette concentration particulière qui survient dès que je pose mes mains sur le clavier. »

Il faut saluer la prise de risque de cette pianiste généreuse, qui dessine les concerts de demain, et a compris que le public n’attend pas la perfection du disque, mais que l’artiste s’adresse alors qu’il est dans la salle, aussi à lui.

Bonne nouvelle, la conteuse a beaucoup de talent !
Il ne vous reste plus qu’à répondre à son invitation au voyage « en présentiel » comme on dit maintenant pour « vivant ».

Le carnet de lecture d’Irina Lankova, pianiste

Aux couleurs des gens que j’aime, de Michel Linden. Le nouvel album du chanteur belge offre un moment hors du temps, empreint de douceur et de saudade.. tout y est beau, les textes, les mélodies, la voix, les arrangements acoustiques.

 

Suite d’un gout étranger, de Robin Pharo. nouvelle album
La musique baroque interprétée avec de la finesse, la profondeur et le naturel émouvants…

 

Soucoupes volantes, de Grégoire Polet (Gallimard), Les nouvelles de l’auteur belge libérent des univers particulières, des personnages attachants et une humanité désarmante.

The cost of living, de Deborah Levy (éd. du sous sol) “Il s’était mis a pleuvoir. Les trottoirs londoniens sentaient la vieille pièce de monnaie”
Un changement de vie, raconté par une femme intelligente, pleine d’esprit et d’humour tout britannique

Pour suivre Irina Lankova

Le site officiel : Irina Lankova

 

Agenda

 

Discographie récente commentée

  • Elégie, 2021 : « une sélection très personnelle de pièces courtes et particulièrement émouvantes de Rachmaninov, Bach et Schubert, qui m’accompagnent depuis mon enfance en Russie et dans ma vie de concertiste aujourd’hui.»
  • Bach, Variations Goldberg, 2019 – Visions Goldberg : « Le retour de l’aria après trente variations ne peut être neutre pour personne, mais il peut être perçu de manières très différentes : nostalgique, comme une réminiscence ;  triste et résigné, comme une fin inéluctable ;  le rappel d’une éternité,  d’une présence perpétuelle ;  le dernier maillon d’un cycle, d’une chaîne ;  un nouveau départ, un nouveau jour, une nouvelle vie… pourquoi pas ?  Quel qu’en soit le scénario, l’aria finale est sans aucun doute différente de celle du début, même si les notes en sont identiques ».

A voir

Le piano dévoilé, une série de 12 vidéos sur YouTube où es plus belles pages de la musique classique pour piano, enrichies par les explications personnelles de la pianiste.

Partager

Articles similaires

Le carnet de lecture d’Hanna Salzenstein, violoncelliste, Le Consort

Voir l'article

Le carnet de lecture de Florentine Mulsant, compositrice

Voir l'article

Le carnet de lecture d’Emmanuel Coppey, violoniste, PYMS Quartet

Voir l'article

Le carnet de lecture de Catherine Soullard, romancière et critique de cinéma

Voir l'article