Culture

Le carnet de lecture d’Olivier Bouley, Pianissimes, Festival d'été et Saison parisienne

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 12 juin 2023

« Epanouisseur de talents », c’est la meilleure façon de définir la vocation d’Olivier Bouley. Avec l’association Dièse créée en 2005, le pianiste amateur organise des concerts pour les jeunes diplômés ou lauréats de concours, pour leur permettre de se faire connaitre et surtout de murir en se frottant au public. Il a co-fondé le Festival des Pianissimes dont la 18e édition se tient du 15 au 18 juin 2023, entièrement en plein air à Saint-Germain-au-Mont-d’Or (Val de Saône), ainsi qu’une saison parisienne dans des lieux inédits. Car l’aiguillonneur d’oreilles vise aussi à « désacraliser notre perception de la musique classique ». Quand on vit pour les autres, on n’a pas peur de se battre contre des moulins à stéréotypes ! 

Sortir de l’injustice du gouffre fatal

Olivier Bouley, épanouisseur de jeunes talents Photo Pianissimes

Ne lui demandez pas le contenu de la prochaine saison des Pianissimes à Paris, car il assiste depuis plusieurs semaines comme chaque année à l’ensemble des auditions des Licences (3e) et Masters (5e) de fin d’année du CNSM de Paris. A l’affût des musiciens à inviter pour la saison suivante, quelles que soient les notes décernées par le jury. Et ils sont pléthores pour cette oreille perspicace et bienveillante !

Mon critère principal : Est-ce que sur scène le musicien a quelque chose à dire. Je ne défends un artiste que si j’ai un vrai coup de cœur, sinon je sais que je ne le ferai pas bien. Je me fie à mon jugement, corroboré ou non par un jury. Mais il faut rester très humble, ne jamais juger sur un seul concert, et tenir compte du murissement de l’artiste, qui se fait à des instants différents pour chacun d’entre eux.

L’objectif est simple : repérer les futurs grands de demain et les aider à s’épanouir en organisant leurs premiers concerts ; prendre le risque de programmer quelqu’un de pas ou peu connu, pour le faire connaître, justement !

Au niveau de l’accompagnement des diplômés (du Conservatoire ou d’ailleurs) pour entrer dans le monde professionnel, il y a un gouffre quelquefois fatal… C’est là que certains organisateurs (comme Pianissimes et d’autres), mélomanes (organisant chez eux des concerts privés), agents (acceptant de parier sur un jeune artiste), labels (qui parient sur des inconnus), mécènes (entreprise ou particulier), forment un écosystème informel, souvent inconnu du public et des artistes, mais décisif.

Autant dire que dans une ère où seul comptent les ‘followers’, Olivier Bouley se bat contre de vastes moulins à vent, dans tous les sens du terme : « Le talent ne se mesure pas au nombre de vues ou de ‘likes’… »

Mais au regard du ‘track record’ des talents qui sont passés aux Pianissimes depuis 18 éditions, d’Adam Laloum à Alexandre Kantorow, pratiquement tous les pianistes français ont eu cet étrier pour s’accrocher à une si difficile carrière.

Prendre le risque d’ « épanouisseur de jeunes talents »

Ne croyez pas qu’Olivier Bouley soit un musicien frustré. Même s’il a envisagé un moment la carrière, après des études sérieuses de piano (Prix au Conservatoire municipal de Maisons- Laffitte), il a vite compris au moment d’envisager le CNSM que « ce métier solitaire, stressant, et avec une concurrence effroyable » n’était pas pour lui.

S’il a continué à jouer au piano et à aller au concert, il a mené une carrière de cadre dirigeant dans l’informatique et la gestion dont il s’est finalement lassé pour suivre sa vocation « d’aider les musiciens à sortir du lot », sans savoir vraiment comment il allait faire. Parmi les premiers coups de mains à des jeunes pianistes que personne ne voulait inviter à l’époque : Alexandre Tharaud, François Chaplin, Cédric Tiberghien… Il a fait leurs premiers sites internet, puis de fil en aiguille, il les a aidés à se produire en concert, jouant d’abord le rôle d’agent bénévole, puis évoluant vers le métier de producteur de concerts…

Privilégier la révélation plus que la sécurité du connu

Dire que le début de carrière d’un jeune pianiste est de tout repos serait exagéré, tant il se heurte à l’évolution du marché « qui veut du connu »… Or c’est précisément cette sortie de l’ombre qui est la plus délicate. Beaucoup de solistes se sont brulés les ailes. L’association Dièse tente de les aider pour naviguer dans ce milieu concurrentiel, leur ouvrir un réseau de relations, pour rencontrer un mécène qui financera un disque, ou un agent qui accompagnera leur carrière.

On est là pour essayer de rétablir certaines injustices. On aide des jeunes qui ont un talent fou, mais qui ne savent pas forcément jouer des coudes pour se faire connaitre. On leur offre un concert, mais surtout on leur ouvre notre carnet d’adresses, en invitant tous les professionnels que nous connaissons (organisateurs, agents, labels, journalistes, mécènes…) à leur concert,
pour que celui-ci ne soit pas juste une belle soirée, mais un véritable tremplin.

 La magie de la proximité du public

Ce n’est pas un hasard si Olivier Bouley ne s’est pas diversifié en devenant agent avec un pool d’artistes ou en créant un label musical, même si cela lui a parfois traversé l’esprit. Ce qui prime dans sa démarche, c’est la rencontre physique de l’artiste avec son public. Aussi le plus logique pour être utile aux artistes fut de prendre une licence d’organisateur de spectacles, pour inviter ‘tous ceux qui ont du talent et qui n’étaient pas invités ailleurs’.

Cet humaniste vit pour ces moments de grâce qu’il aime partager dans des lieux « improbables » comme le Domaine des Hautannes à Saint-Germain-au-Mont-d’Or (Val de Saône). « C’est une amie qui a démarré le festival dans son village avec quelques amis dont j’étais, il y a 18 ans, et la dynamique s’est créée. Cette année, on pourra découvrir 12 artistes au travers de 8 concerts, du piano solo au concert jazz piano & claquettes, mais aussi un concert participatif, et deux ateliers pédagogiques… »

C’est un boulot de fou, mais on y retrouve chaque fois avec plaisir cet esprit festif et cette décontraction qui manquent souvent dans la capitale. Alors on remet ça à chaque fois !

A Paris, pour la dizaine de concerts de la saison, il traque les endroits insolites, du Musée Guimet au Couvent des Récollets en passant par la Scala Paris… mais aussi des lieux privés pour des concerts « sur le pouce », par exemple à l’occasion d’une sortie de disques, difficiles à programmer à la dernière minute dans une salle plus institutionnelle.

Je vais aussi à des concerts qui n’ont rien à voir avec le classique. Ces moments magiques où tout le public d’une salle se met à chanter avec l’artiste, une telle communion dans la joie et l’émotion, comment fait-on pour l’atteindre dans le domaine du classique ?
Et surtout pour les jeunes de maintenant ? Je n’ai pas la réponse, mais ça vaut le coup de réfléchir à la question, sinon le public du classique risque fort de continuer à vieillir et rétrécir…

Aider les musiciens, mais aussi faire évoluer le public

Vous l’avez deviné, avec l’organisation de concerts participatifs, d’ateliers pédagogiques, ou d’« afters »,  Olivier Bouley revendique de « désacraliser le concert classique pour attirer de nouveaux publics ». Et il n’hésite pas à faire feu de tout bois, avec des initiatives qui sont de plus en plus imitées par d’autres programmateurs : lieux inédits, prise de parole de l’artiste, suppression des entractes, échanges conviviaux avec les artistes, tarifs réduits, invitations aux plus démunis et aux étudiants…

Nous pensons qu’il faut rompre avec le cérémonial compassé du concert classique traditionnel, qu’il faut au contraire cultiver l’esprit festif et convivial qui prévaut dans certains festivals, et insuffler en ville un peu de cet esprit-là pour trouver une nouvelle formule de récital classique.

Si vous ne connaissez pas les noms, faites confiance aux Pianissimes !

L’alchimiste a-t-il trouvé la bonne formule ? Le défi est immense pour convaincre les jeunes abreuvés aux réseaux sociaux. Et reste un des enjeux culturels majeurs de demain.
Singular’s vous invite à suivre son Festival d’été ou sa Saison parisienne. A défaut de martingale, vous ne manquerez pas de découvrir de nouvelles pépites musicales avant tout le monde. Et comme promesse tenue, c’est déjà immense.

#Olivier Olgan

Le carnet de lecture d’Olivier Bouley

Nour Ayadi – Sonate « Appassionata » op. 59, de Beethoven

A 6 ans elle entreprend des études de piano dans sa ville natale de Casablanca, dans le cadre du cycle étranger de l’Ecole Normale de Musique de Paris. A 16 ans, elle déménage à Paris pour poursuivre ses études à l’Ecole Normale, et est admise en parallèle au CNSMDP et en Terminale scientifique. Le bac S mention Très Bien en poche, elle entre à Sciences Po Paris. En 2019, elle est la première femme et la première marocaine à remporter le Prix Cortot, la plus haute distinction délivrée par l’École Normale de Musique de Paris. Dans la foulée, elle enregistre son premier CD. Et depuis 2020, elle mène un double cursus à Londres en sciences politiques et en piano. A 22 ans, c’est elle le prodige marocain du moment, pas Sofiane Pamart ! Le talent ne se mesure pas au nombre de vues ou de ‘likes’…

Ionah Maiatsky, 4e Scherzo, de Chopin

Pianiste de 22 ans aussi, au talent fou ! De père russe et de mère française, Ionah reçoit le 1er Prix du Concours Albert Roussel en 2021, et termine actuellement de brillantes études au CNSMD de Paris. Il a tout pour lui : technique, sensibilité, intelligence, charisme, et beau gosse en plus ! Pour monter au firmament, il reste encore quelques marches à gravir : devenir lauréat d’un grand concours international (pas forcément le 1er prix, mais un prix), séduire un bon agent (ils sont rares), décrocher un 1er disque (avec si possible un label à l’image dynamique), et faire les bonnes rencontres. On ne le dit pas assez, mais nous avons la chance d’avoir en France l’une des meilleures écoles de musique du monde, le CNSMDP, qui se classe maintenant 2e dans le classement mondial de 2023, juste derrière le Royal College of Musique de Londres, et qui attire des artistes du monde entier.

Michel Berger & Véronique Sanson

Je l’avoue, je suis fan absolu de Berger et de Sanson. De leur amour du piano bien sûr, mais aussi de leur histoire (ce coup de foudre musical, ce départ soudain de Véro vers les Etats-Unis prétextant qu’elle va acheter des cigarettes…), de leurs talents conjugués (mêlant pour la première fois le swing américain et des paroles bien françaises), de leur longévité (Véro est toujours vaillante sur scène à 74 ans, et les chansons de Berger, parti à 44 ans, n’ont pas pris une ride !), de leur interaction en ‘live’ avec le public…
Ces moments magiques où tout le public d’une salle se met à chanter avec l’artiste, une telle communion dans la joie et l’émotion, comment fait-on pour l’atteindre dans le domaine du classique ? Et surtout pour les jeunes de maintenant ? Je n’ai pas la réponse, mais ça vaut le coup de réfléchir à la question, sinon le public du classique risque fort de continuer à vieillir et rétrécir…

Sabine Devielhe & Raphaël Pichon – Youkali, de Kurt Weil

Là aussi, une belle histoire d’amour entre deux artistes d’exception, qui donne naissance à  quelques merveilles (CDs Bach, Rameau, Mozart…). Ici une chanson nostalgique de Kurt Weil enregistrée chez eux sur leur smartphone pendant le confinement. Assez bouleversant de beauté et de simplicité… Et puis ça me rappelle ces sessions improvisées de musique, qui naissent entre amis autour d’un vieux piano, chez quelqu’un, après une soirée un peu arrosée, où on chante aussi bien du Schubert que du Trenet… Chez Alexandre Tharaud il y a trente ans, ou avec des amis de différents chœurs où j’ai chanté…
Faire de la musique en amateur, et a fortiori à plusieurs, je crois que c’est la meilleure des thérapies, en tout cas pour moi. 

Pour suivre Olivier Bouley

du 15 au 18 juin 2023, 18e Festival des Pianissimes,
Domaine des Hautannes, Saint-Germain-au-Mont-d’Or, 69650

Olivier Bouley insiste sur l’importance d' »un écosystème informel, souvent inconnu, mais décisif » et n’hésite pas à saluer ses confrères qui « se bougent aussi pour soutenir les jeunes talents du piano » :

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