Culture

Le carnet de lecture du Trio Zerline, Alice Szymanski, Estelle Gourinchas & Joanna Ohlmann

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 7 septembre 2022

Singulier, le Trio Zerline l’est autant par l’association de trois instruments souvent considérés comme secondaires que par l’ambition du projet musical, jouer la musique de son temps et encourager la création de nouvelles œuvres. Il faut dire qu’Alice Szymanski (flûte), Estelle Gourinchas (altiste) et Joanna Ohlmann (harpe) ne manquent ni de caractère ni de couleurs, comme en témoigne leur premier enregistrement Debussy, couleur originale qui associe Arnold Bax, Théodore Dubois, Léo Smit, Toru Takemitsu (cd Paraty). Le Trio a levé ses couleurs pour Singulars.

Un instrumentarium résolument moderne

En sortant des formations de chambre habituelles, le défi était total pour le Trio Zerline créé en 2017 par la flûtiste Alice Szymanski, l’altiste Estelle Gourinchas, et la harpiste Joanna Ohlmann. Si le point de départ s’appuie sur un chef d’œuvre du répertoire pour flûte, alto et harpe, la Sonate de Debussy créée à la fin de sa vie, fin septembre – début octobre 1915, le Trio le revendique aussi comme un manifeste.  La manière dont le compositeur s’en est servi comme un creuset d’innovations résolument modernes les a inspirées pour sortir elle aussi des cadres : « Son traitement des trois instruments relève davantage de l’orchestration plutôt que de la simple répartition des voix. »

Le Trio Zerline -Alice Szymanski (flûte), Estelle Gourinchas (altiste) et Joanna Ohlmann (harpe) – ne manque pas de couleurs Photo Esteban Martin

Le défi d’élargir son répertoire

D’emblée les trois musiciennes ont relevé le défi d’élargir leur répertoire et de promouvoir des esthétiques très variées, et de s’enrichir de ces allers-retours fertiles et constructifs entre le nouveau et l’ancien : « Formation de musique de chambre véritablement incontournable au même titre que le quatuor à cordes, le trio flûte, alto, et harpe se distingue par l’emploi d’instruments de 3 familles différentes : les vents, les cordes frottées, les cordes pincées. L’hétérogénéité de cet instrumentarium est un atout car il offre une superbe palette de couleurs sonores, tel un orchestre miniature ! Bien entendu il est également possible de rechercher des alliages de timbres d’une grande homogénéité et d’une grande finesse… voici toute la richesse d’un travail en trio autour de nos trois instruments » ont-elles confié à Singulars.

Un inépuisable jeu de couleurs

Cette quête de « création » que le trio évoque comme une « manipulation génétique » des timbres et textures sonores, ouvre un potentiel inouï comme en témoignent les compositeurs enregistrés dans le cd « Debussy, couleur originale » couleurs qui à l’écoute du disque auraient plutôt dû être déclinées au pluriel : « Debussy a initié la recherche d’alliages des trois timbres de nos instruments avec sa Sonate pour flûte, alto et harpe. Depuis, plusieurs compositeurs ont continué dans cette direction, en s’inspirant de près ou de loin de ce grand maître. Il est important de poursuivre cette recherche, d’une part pour continuer à explorer et exploiter la richesse sonore de cette formation, d’autre part, pour élargir le répertoire et faire perdurer cette formation instrumentale. » ajoute le Trio.

L’expérimentation dessine une éthique d’interprète 

Après une longue période d’essais, d’expérimentations méticuleuses en recherches de combinaisons en tous genres, la démarche d’interprète se veut tourner vers le futur et la création.  Ce premier disque est tourné vers un répertoire résolument XXe siècle dont l’originalité tient du choix des instruments et une lecture au plus proche du texte. Loin  d’une quelconque démarche de reconstitution historique : c’est avant tout leur timbre, ou plutôt leur palette de timbres, son potentiel expressif, et par-dessus tout, leur équilibre qu’elles travaillent.
Cette dynamique musicale dessine une éthique d’interprète très singulière : « Être interprète, c’est évidemment être en lien avec le passé musical ; mais aussi, avec le présent et le futur musical. Collaborer artistiquement avec des compositeurs actuels, c’est participer activement à l’histoire de la musique et plus particulièrement, à l’histoire de cette formation de musique de chambre, tout en faisant vivre la musique et le travail du compositeur ! Fortes de notre expérience en trio, nous sommes à même d’aiguiller les compositeurs sur la meilleure manière d’écrire pour notre formation, de même que la musique nouvelle engage le trio à explorer des voies d’interprétation inédites, cet échange est très stimulant ! La création est un partage. » précise le Trio comme démarche .  mais ce premier disque est plutôt tourné vers un répertoire résolument XXe siècle.

Une dynamique de projets

La force de ce Trio – au-delà de la sonorité tellurique et la diversité des champs qu’il ouvre et explore – est de distiller une fascinante leçon de musique de chambre, sans que jamais la virtuosité des artistes ne parasite une musique fantasque, volubile comme une volière enchantée : « En tant que trio formé, avec une expérience du répertoire originel de la formation ainsi que du répertoire contemporain, nous avons déjà travaillé avec des compositeurs comme Alain Louvier ou Martin Matalon. Il serait très enthousiasmant pour le Trio Zerline de pouvoir contribuer à développer la littérature pour flûte, alto, et harpe. Évidemment, une multitude de compositeurs/compositrices nous intéresseraient par leurs esthétiques et leur créativité. La commande d’une œuvre à l’un d’eux est un projet qui mûrit dans nos têtes, il est encore sous forme d’ébauche… »

Gageons que la réussite de cette formation attachante soit le tremplin pour sensibiliser de nouveaux compositeurs. Alors le pari du Trio sera tenu pour le plus grand plaisir des mélomanes.

Le carnet de lecture du Trio Zerline

Le carnet de lecture d’Estelle Gourinchas, altiste

Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part, d’Anna Gavalda. Un recueil de nouvelles touchantes, le premier ouvrage de l’auteure et celui qui l’a révélée. J’ai souvent pensé à l’Anna de la nouvelle (la véritable Anna Gavalda) qui bénissait les enveloppes contenant ses manuscrits avant de les poster à l’attention d’une maison d’édition, en me disant que ma vie artistique ressemblait bien à cela : créer, mettre son âme et son énergie dans un projet, puis le lancer dans le vide en priant pour que quelqu’un le remarque, l’apprécie, l’encourage, me donne l’envie de poursuivre.

Le Charme de l’Alto, un disque compilation par l’altiste Gérard Caussé, paru chez Erato. Un CD que j’ai reçu en cadeau lorsque j’ai commencé l’apprentissage de cet instrument. Un pêle-mêle des plus belles pages composées pour l’alto, sonates, concertos etc. (surtout de la musique romantique…!) et jouées par un des plus magnifiques sons d’alto qu’on puisse entendre au monde.
Impossible de ne pas tomber sous le charme, ou comment commencer à rêver des sonates de J. Brahms du haut de ses 8 ans, alors qu’on ne maîtrise à peine que la 1ère position sur l’instrument…

Big fish, de Tim Burton (2003) :  Un conte moderne – à la Edward Scissorhands dont j’adore l’univers – une quête où se mêlent le réel et l’imaginaire, la vérité souvent enrobée de fable pour paraître plus séduisante…ou plus mystérieuse. A la fin pourtant, tout devient vrai pour ce fils venu veiller son père malade en ses dernières heures, un père jamais compris par lui auparavant. Un film qui traite de la réconciliation parent/enfant avec une grande émotion, et qui interroge sur le « vrai » en écartant toute dimension morale.

https://youtu.be/9jFesZ-jxRw

Dimitri Chostakovitch, 8e Symphonie en Ut mineur Opus 65 : Une œuvre monumentale que j’ai joué pour la première fois lors de la session d’été de l’OFJ 2008, un véritable choc ! Composée dans le contexte de la Seconde Guerre Mondiale (1943), la puissance de son orchestration et la profondeur de sa conception ne peuvent laisser indifférent, la dimension politique de la musique de D. Chostakovitch non plus. Un exemple parmi tant d’autre de la force de l’expression artistique et de son caractère essentiel, quoi qu’on ait pu en dire ces derniers temps.

Le carnet de lecture d’Alice Szymanski, flûtiste

 Novecento, pianiste d’Alessandro Barrico : un récit de vie, un livre posé sur le siège passager de la voiture d’une amie quand j’avais 16 ans, que je me procure à mon tour. J’ai construit ma musique, mes images, mes rêves, mes émotions, à travers les nombreuses lectures de ce court ouvrage racontant la vie d’un homme né sur un bateau et ne l’ayant jamais quitté. C’est un récit initiatique, un monologue puissant comme la mer, une narration brève, concise, pleine de couleurs, de musique et de vagues, qui a nourri mon âme d’adolescente en quête de nourriture créative, j’avais tout récemment choisi de devenir musicienne professionnelle !

Toni Erdmann, de Maren-Ade (2016) : La question du lien familial, cette fois-ci entre un père et sa fille, plongée corps et âme dans son travail, et dont le père essaie de lui faire prendre conscience de la nécessité de se reconnecter à elle-même. Ce film, aussi drôle que touchant, m’a bouleversée, tant par le lien sacré familial souvent mis à mal, que par les questionnements qu’il engendre quant à notre rapport au travail, aussi passionnant soit-il, et la place que nous laissons à notre épanouissement personnel et humain, dans ce monde où la compétition, la performance et l’image dominent en permanence.

The Köln Konzert, de Keith Jarrett (1975) : Je me souviens encore de la première fois que je l’ai écouté, un soir de réveillon de nouvel an, seule chez mes parents en train de lire avec la radio belge (la frontière n’est pas loin) allumée. J’ai fini par poser mon livre et rester subjuguée par cette musique, totalement nouvelle pour moi, hypnotique. J’avais déjà écouté tous les disques classiques de la maison, les chants polonais avec ces voix de femme puissantes, le jazz, et je découvre cette musique, qui ne ressemble à rien de ce que j’ai entendu jusque-là, et qui me donne les prémisses de la musique improvisée synonyme de liberté. Alors oui, cet album a marqué des milliers d’auditeurs, et j’en fait partie !

Kiss and Cry, de Michèle Anne De Mey et Jaco Van Dormael : Un spectacle où les personnages ne sont autres que les doigts de mains dansantes. Tout est mélangé, la danse, la musique, les effets spéciaux, le théâtre et le cinéma, le spectacle bouscule les frontières. On rit, on pleure, on est curieux de ne rien perdre de ce qu’il se passe sur scène, c’est une création collective en temps réel, l’art du détail afin de créer un spectacle des plus fluides et narratifs possibles. Je suis ressortie bouche bée de ce spectacle, ce genre d’expériences hors cadre qui nourrissent la curiosité et l’imagination.

Le carnet de Joanna Ohlmann, harpiste

La couleur des sentiments, de Kathryn Stockett (2009) : Un roman poignant et addictif. K. Stockett nous amène dans une réalité de la discrimination raciale aux Etats-Unis dans les années 1960. Réalité dont nous avons évidemment connaissance mais qui devient concrète grâce à l’écriture limpide et aux trois personnages principaux de ce roman.
Ce roman m’a marquée pour deux principales raisons : La découverte, à 14 ans, de la ségrégation raciale et des conditions de travail et de vie des bonnes, seulement 50 ans auparavant.
La deuxième, celle qui me fait relire ce livre et revoir l’adaptation cinématographique, est l’envie de faire changer les mentalités et les préjugés à grands coups d’amitié, de curiosité de l’autre et de courage !

Shining, Stanley Kubrick (1980) : Film d’épouvante que l’on ne présente plus ! Ces beaux paysages du Colorado sur le « Dies Irae » nous plongent directement dans une ambiance pesante. Nous avons tous ces images effrayantes de Jack Nicholson (la tête, avec son regard fou, dans l’embrasure de la porte ; son corps gelé dans la neige, …). Mais, pour moi, le plus intéressant a été l’accueil et la critique de Stephen King, l’auteur du roman Shining. Il ne l’a tout simplement pas aimé, pire, l’adaptation de Kubrick l’a mis en colère ! Il a critiqué tous les éléments du film et l’a décrit comme « une grande et belle Cadillac, sans moteur. On peut s’y asseoir, et on peut apprécier l’odeur du cuir, la seule chose qu’il n’est pas possible de faire c’est de la conduire où que ce soit. »

L’adaptation et la réinterprétation est une question très importante dans la vie d’une interprète-musicienne. Est-ce que l’adaptation de Kubrick est mauvaise ? A-t-il le droit de réinterpréter l’histoire de King d’une manière qui déplaît à l’auteur ? Est-ce que cette histoire appartient entièrement à King ? Que de questions auxquelles personne ne pourra répondre avec une vérité qui conviendrait à tout le monde. L’interprétation… Un sujet sans fin, remis en question quotidiennement par l’art.

 

Rachmaninov. Concerto pour piano n°2 op.18 (1901) : La première fois que j’ai entendu ce concerto, c’était un soir d’été, dans une église, dans un petit village, en Alsace. Les premiers accords du piano se sont fait entendre en même temps que les premiers éclairs d’un orage qui illuminaient l’intérieur de l’église. L’écoute était totale, la tension à son comble. Chaque passage, chaque note, chaque contre-chant étaient intensifiés par cet orage d’été qui ne s’est presque pas arrêté pendant toute la durée du concerto. Depuis, j’ai écouté de nombreuses interprétations de cette œuvre en ayant toujours l’image de cette petite église perdue au milieu du Bas-Rhin, illuminée par les éclairs.

Freddie Mercury, 1946-1991. Malgré le fait que je sois née après sa mort, Freddie Mercury est un artiste qui m’a marquée et qui continue de le faire. Son univers musical unique est inspirant par ses différentes influences ainsi que par la prise de risque que cela a pu avoir sur sa carrière.
Sa relation avec le public, forte et intime, est bien retransmise au concert du festival « Rock In Rio » en 1985. Freddie Mercury est ému de voir les 150 000 personnes du public chanter tous en chœur sur Love of my Life. C’est pour ce genre de moments que la musique EST essentielle, l’art pour partager des émotions communes.

Pour suivre le Trio Zerline

le site du Trio Zerline 
la chaine youtube du Trio

Agenda

à l’occasion du 6e Convention Internationale de la Flûte, Aix-en-Provence (13)
29 octobre, 20h, Tomasi, Trio et voix
30 octobre, 12h, Debussy, Sonate de

Discographie

Debussy, couleur originale (cd Paraty)

  • Claude Debussy (1862-1918) Sonate pour flûte, alto et harpe,
  • Arnold Bax (1883-1953) Elegiac Trio,
  • Théodore Dubois (1837-1924) Terzettino,
  • Léo Smit (1900-1943) Trio pour flûte, alto et harpe,
  • Toru Takemitsu (1930-1996) And then i knew ‘twas wind

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