Culture
Le carnet de lecture Simone Menezes, cheffe d'orchestre
Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 9 décembre 2021
Il faut s’habituer à la direction d’orchestre par des femmes. Charismatique, engagée et subtile, la cheffe brésilienne Simone Menezes dirige du 15 ou 18 décembre l’Orchestre National de Bretagne dans Celebraçion! un voyage haut en couleurs au cœur de ses racines musicales d’Amérique Latine : du cubain Ernesto Lecuona au brésilien Heitor Villa-Lobo, et une création mondiale de Gabriela Ortiz.
L’orchestre pour se connecter à tous
Si comme beaucoup de petite fille, la jeune Simone Menezes, née en 1977 à Brasilia ne disposait pas de modèle d’identification pour assouvir sa passion de faire de la musique avec gens « puisqu’il n’en existait tout simplement pas » rappelle-t-elle. Elle a décidé de se prendre en main ; à 8 ans, elle forme une formation avec les enfants musiciens qui habitaient sa résidence, près de Sao Paulo. Ce sera le prolégomène du premier orchestre, la Camerata Latino Americana qu’elle crée à 20 ans. Après des études à Paris et à Londres, en prenant la direction de l’Unicamp Symphony Orchestra elle devient la deuxième femme au Brésil à diriger un orchestre professionnel. La rencontre avec le chef d’orchestre estonien Paavo Järvi, dont elle devient assistante dans divers orchestres constitue à ses yeux sa véritable école.
De son mentor, elle retient de diriger « par phrases et non par mesures, plutôt comme penser en phrases plutôt qu’en mots », l’importance de respirer avec les musiciens, et de savoir quand les laisser jouer et quand vraiment prendre la direction, enfin, l’importance de favoriser un climat de confiance entre les musiciens pour créer un environnement sûr pour faire de la musique.
Une musicienne en missions
« Il ne faut pas juste jouer Beethoven, mais avoir quelque chose à dire en plus. » Convaincue qu’elle est en mission pour offrir la musique à un public beaucoup plus large, la cheffe considère que « la musique apporte des valeurs qui vont au-delà du domaine artistique pur ».
Pour les porter, elle a su trouver sa voie, contre vent et résistance, en multipliant les projets innovants, que se soit dans le format, la forme ou le fond.
Citons ; ce spectacle musical et visuel Forêt d’Amazonie, qui projette des photos de Sebastião Salgado [photographe brésilien] sur une musique d’Heitor Villa-Lobos, ou encore la création de l’Ensemble K, ensemble européen multiculturel dont le premier disque Accents (cd Aparte, 2021) associe Debussy (France), Borodine (Russie), Copland (Etats-Unis) et Villa-Lobos (Brésil) en puisant dans leurs traditions musicales.
Dans le livret Simone Menezes assume sa démarche. Et énonce le rôle des interprètes pour l’universalité de la musique classique comme un manifeste : « En décryptant leurs influences extra-européennes, nous avons cherché à construire à partir de celles-ci, une interprétation vivante, authentique, qui ne se veut ni régionale, ni universelle, mais souhaite avant tout raconter chaque histoire dans sa langue originale. »
Rien de théorique dans cet élan vital
Parce qu’elle est musicienne, Simone Menezes sait à quel point il faut privilégier la force du texte, ses aspérités et ses densités, pour trouver le meilleur « accent » qu’elle définit comme une « inflexion particulière de la voix traduisant et permettant de reconnaître comme authentique une émotion, un sentiment »
Son désir est de partager, et de nous entrainer dans une aventure esthétique qui engage la totalité de l’interprète et de l’auditeur. Grâce à la complicité de ses compères qu’ils soient au sein d’un orchestre national comme celui de Bretagne, ou dans un ensemble à géométrie variable selon les programmes. Le véritable défi consiste à une réinvention continuelle à partir des traditions et non contre elles. La musique reste un phénomène irréductible, indéfiniment soumis au vertiges des sens. Et bien au-delà du genre de l’interprète.
Le carnet de lecture de Simone Menezes
Verdi, Requiem. Claudio Abbado avec Angela Gheorghiu, Roberto Alagna, Berlin Philharmonic EMI Classics (2001). J’ai connu ce CD quand j’étais encore étudiante et il a changé ma façon de voir la musique. La musique de Verdi est magnifique, elle me parle de la vie et pas de la mort, elle parle de l’identité humaine, de ce qu’on est vraiment. Cette interprétation m’a touché profondément, car il y a une vérité viscérale, une authenticité en chaque geste. Claudio Abbado à la fois gracieux et désespéré, semble légitimement ajouter à l’effet bouleversant de sa profonde compréhension et de sa passion pour cette grande œuvre, et les solistes sont magnifiques.
Beethoven Symphonies n°4 & n°7. Paavo Jarvi, Deutsch Kammerphilharmonie Bremen, Sony, 2014. C’est à cette époque que j’ai rencontré Paavo Järvi et que j’ai pu suivre de près ce magnifique projet qui a été l’épine dorsale de ma formation symphonique. Jusque-là je voyais deux manières d’interpréter Beethoven : soit l’ancienne manière des grands chefs comme Karajan, soit la nouvelle manière comme Nikolaus Harnoncourt. Mais sans aucun doute, c’est entre les mains de Paavo Järvi et de la Deutsche Kammerphilharmonie de Brême que je ressens une vision capable d’intégrer organiquement ces deux visions du monde de manière extraordinaire et agogique.
Puccini, Tosca, Antonio Pappano, Royal Opéra House Angela Gheorghiu, Roberto Alagna (DVD BBC and Opus Arte) : J’avoue, avec une certaine honte, que parfois j’ai du mal à regarder des opéras. J’ai l’impression que beaucoup de productions réunissent de grands chefs, des solistes merveilleux et des super metteurs en scène, mais sans forcément une unité de pensée artistique. Du coup on retrouve parfois des choses de très haut niveau, mais un peu cacophonique. Antonio Pappano a un don, avant d’être chef d’orchestre il est directeur artistique, et sous ses mains tout s’organise pour dialoguer de manière organique. C’est ce qui impressionne le plus dans ce DVD film, nominé lorsqu’il est en 2011.
Martha Argerich and Friends: Live from Lugano 2013. Ici on change d’univers. Je suis un admiratrice inconditionnelle des pianistes, en particulier de Martha Argerich. Peut-être enviez-vous ce contrôle absolu sur chaque note que possède le pianiste, que nous inspirons en dernière analyse pidemos mais sans contrôle complet sur le son qui n’est pas produit par nous.
Yo yo Ma – Obrigado Brasil. Là on tombe dans un tout autre univers ! Ce qui m’a le plus frappé sur ce CD, c’est l’audace de Yo yo Ma d’entrer dans un univers si différent et d’assumer la richesse artistique de cet univers, créant des partenariats pour un projet incroyable. Bien que nous soyons ici dans le « cross over », la qualité musicale, la technique et l’esprit de la musique camara que ce projet demande, est un défi.
Pour suivre Simone Menezes
Celebraçion ! : Orchestre National de Bretagne, dirigé par Simone Menezes, en soliste Simon Ghraichy, pianiste
- 15 et 16 décembre 2021 – 20h – Couvent des Jacobins – Rennes
- 17 décembre 2021 – 20h – La Passerelle – Saint-Brieuc
- 19 décembre 2021 – 17h – La Scène Nationale de Cornouaille – Quimper
- Esteban Benzecry, Obertura Tanguera, hommage à Astor Piazzolla
- Heitor Villa-Lobos, Prélude Bacchianas brasileiras n°4, A424
- Ernesto Lecuona, Rapsódia negra
- Alberto Ginastera, Suite Estancia, Op.8a
- Arturo Marquez, Danzón n°2
- Cesar Geurra-Peixe, Mourão
- Gabriela Ortiz, Fractalis, création mondiale; Qualifiée par Gustavo Dudamel, d’« âme de la musique mexicaine et latina », Gabriela Ortiz explique qu’elle a « voulu créer une œuvre musicale issue de la réinvention de certains aspects, aujourd’hui altérés, de la nature… Ces réinventions sont basées sur l’exploration d’un subconscient surréaliste, afin de souligner délibérément l’absurdité de ce qui se passe à travers des réalités naturelles fantastiques… »
Partager