Culture

Le carnet de lecture des Kapsber’girls, 100% tendres et savoureuses

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 30 septembre 2020

A ceux qui figent la musique patrimoniale dans les oubliettes de l’histoire, il suffit d’écouter la vitalité et les saveurs des Kapsber’girls,  pour se convaincre que la relève et l’imagination sont déjà à l’œuvre. Après un premier cd dédié aux Villanelles baroques napolitaines, le quatuor formé par Alice Duport-Percier (soprano), Axelle Verner (mezzo), Barbara Hünninger (viole de Gambe, basse de violon) et Albane Imbs (cordes pincées, direction) élargit leur carte du tendre avec de subtiles Brunettes, très prisées dans la France du XVIIIe siécle (cd Alpha). Elles sont en concert, les 7 octobre à Villeurbanne,  9 à Dochamps, et le 17 au Festival Présence Compositrices à Toulon. 

Evidemment quand il comprend que les Kapsber’ Girls ont pris leur nom d’un compositeur italien du début du XVIIe siècle : Hieronymus Kapsberger (1580-1651), le mélomane le plus aventureux peut s’interroger sur la modernité d’un tel projet musical.
Mais écoutez d’abord ces quatre musiciennes pétillantes avant de fermer le ban !
Le moderne n’est pas toujours là où il se revendique !

Elargir la carte du tendre

Les Kapsber’girls, ensemble baroque créé en 2015 fait paraitre leur second cd. Photo © Vincent Arbelet

Après un premier disque Che fai tù? (Muso, 2020) dédié à un tendre bouquet de villanelles napolitaines du XVIIe, Alice Duport-Percier (soprano), Axelle Verner (mezzo), Barbara Hünninger (viole de gambe, basse de violon) et Albane Imbs (cordes pincées, direction) élargissent leur carte du tendre européen.
Avec Vous avez dit Brunettes?…. (cd Alpha), les musiciennes extraient les couleurs délicates de chansonnettes françaises que l’on se fredonnait au creux de l’oreille près du bassin d’Apollon ou entre les bosquets du Petit Trianon du château de Versailles. Elles pouvaient être aussi bien anonymes. Les origines de certaines remontent parfois à la Renaissance. L’éditeur Christophe Ballard (1641-1715) est publia près de 500, par un travail de compilation des sources populaires quasiment anthropologiques (il devance les quêtes de Bartok et de Dvorak). Il n’hésite pas aussi à faire des arrangements pour les remettre au gout du jour pour répondre aux attentes d’une noblesse manifestement en mal de simplicité et d’authenticité.  Ce qui suscita des vocations des plus grands compositeurs du temps, de Elisabeth Jacquet de la Guerre (1665-1729à à Jean-Philippe Rameau (1683-1764).

« Elles étaient certes légères de caractère mais fortes d’authenticité »

Ce qui peint avec justesse ce répertoire subtil vaut aussi pour leurs interprètes, qui ne manquent ni de poésie, ni de culots; en témoigne la couverture de leur nouveau cd. Au-delà du clin d’oeil pastoral dont Molière se moqua aussi dans Le Bourgeois Gentilhomme via le Maitre de musique « Lorsqu’on a des Personnes à faire parler en Musique, il faut bien que, pour la vraisemblance, on donne dans la Bergerie. Le Chant a été de tout temps affecté aux Bergers ; et il n’est guère naturel en Dialogue, que des Princes, ou des Bourgeois, chantent leurs passions« , les Kapsberger’girls font rendre tout leur suc à ces airs si expressifs et d’une liberté de ton très communicative.

Les charmes de la pastorale baroque

« L’utilisation du terme Brunette devint rapidement monnaie courante et de nombreux compositeurs s’essayèrent au genre, reprenant parfois textes ou poèmes déjà existants. Le répertoire, « sous-famille » des Air Sérieux qui détrônèrent l’Air de Cour au milieu du XVIIe siècle et en opposition aux Airs à Boire, se distingua en outre comme un matériel pédagogique de premier choix pour l’apprentissage du chant ou d’autres instruments mélodiques, de la même façon qu’on utilise les musiques actuelles comme outil d’apprentissage à notre époque, éclaire le livret.
Ainsi, ces airs firent véritablement partie intégrante du quotidien des aristocrates et de leur pratique musicale. Leurs formes archaïsantes, notamment par les sujets arcadiens qu’elles proposent, ne lassent pas de réjouir la haute société – malgré une vive remise en question par les philosophes tels Voltaire, d’Alembert ou encore Diderot –, à tel point que certains d’entre eux ont même fi ni par s’inscrire dans le répertoire des chansons traditionnelles françaises et inspirent encore des artistes de notre temps, comme c’est le cas pour « Où êtes-vous allées », reprise par Nana Mouskouri en 1978. »

https://youtu.be/Nsv9PUw9BzQ

Ancré dans un patrimoine musical populaire, courant sur deux siècles, les Brunettes nous entraînent dans un monde idéal, retour à la Nature avant l’heure, à la fois champêtre et bucolique où les Bergers et les Bergères, parfois mythologiques, parfois telluriens batifolent avec insouciance. Leur succès durable, dénote du goût des classes supérieures pour cet univers pastoral mythifié, dont L’Astrée (paru de 1607 à 1627), roman pastoral-fleuve d’Honoré Durfé à l’influence incontestable sur la littérature, la peinture et la musique qui s’en suivit, fut certainement le précurseur.

Avec ductibilité, les Kaspber’Girls croquent ses bonbons avec verve et clarté et assument la touche spirituelle dans toutes ses dimensions.

Le carnet d’écoute des Kapsber’girls

Le choix d’Albane Imbs (cordes pincées, direction)

Un des enregistrements qui a bercé mon enfance – et plus encore puisque je l’écoutais déjà dans le ventre de ma mère -, et qui continue encore de m’émouvoir et de me réchauffer le cœur est la version des Variations Goldberg de Bach enregistrée par Glenn Gould en  1981 (Sony). On est loin de l’  « historiquement informé » et pourtant quelle force d’authenticité dans cette version unique en son genre !
Glenn Gould a su, à mon sens, sublimer ces variations déjà admirablement composées.

Lorsque l’on me demande quel enregistrement se prête le mieux à découvrir la musique de luth, je conseille sans hésiter de se procurer La Belle Homicide de Rolf Lislevand (Astrée 2003), un disque qui a d’ailleurs conduit de nombreux luthistes à commencer l’instrument. S’y trouve, selon moi, les interprétations les plus réussies d’œuvres de grands compositeurs pour luth baroque du temps du roi Louis XIII (Gallot, Gautier, Mouton,…).

Tout y est, justesse du geste, poésie, précision, virtuosité, légèreté et surtout une incroyable inspiration !

Le choix d’Alice Duport-Percier (soprano)

Dramma est un disque de grands airs d’opéra italiens baroques. On peut y découvrir des œuvres peu connues comme l’Olimpiade de Hasse ou Arianna e Teseo de De Majo. Simone Kermes est une de mes chanteuses de prédilection, j’aime la qualité de son timbre et j’admire sa technique vocale et ces capacités expressives. La Magnifica Comunità, l’ensemble qui l’accompagne est également d’une grande qualité et donne beaucoup de couleur à ce disque qui ressemble à un bouquet final de feu d’artifice.

Albinoni’s Venice. Ce disque nous emmène dans la Venise baroque, foisonnant foyer de musique dont de nombreux compositeurs se sont inspirés. Michael Form et Dirk Börner nous invitent à découvrir le compositeur Albinoni qui côtoyait, à l’époque, le plus connu Vivaldi. Ce duo flûte et clavecin est doté d’une complicité rare que l’on ressent tout au long du disque. J’ai apprécié le son généreux et très expressif de Michael Form ainsi que la délicatesse et la précision du touché de Dirk Börner. Cerise sur le gâteau, La Toccata et Fuga sur un thème d’Albinoni composée par Dirk Börner est absolument magnifique !

Le choix d’Axelle Verner (mezzo)

Diaspora est un disque absolument magnifique de l’ensemble portugais Sete Lagrimas. Mélant musique baroque et musique populaire portugaise, il a accompagné chacun de mes voyages en tournée et je ne m’en lasse toujours pas ! Solaire, tendre, créatif, mélancolique… Tous les ingrédients sont là pour faire de ce disque un « must have » dans sa bibliothèque musicale. L’ensemble, qui existe depuis un moment,  sait toujours se renouveler, et chacun de ses disques est une petite pépite.

Il y a dans ce film d’Eugène Green Le Pont des Arts quelque chose de magique : Le lamento della Ninfa, chanté par l’incroyable Claire Lefilliâtre et joué par l’actrice Natache Regnier. Ce film a été le point de départ pour mon amour de la musique baroque (surtout la musique italienne) et a complètement changé mon orientation professionnelle !
L’histoire du morceau est assez simple, une nymphe se plaint du mal d’amour sur une basse obstinée. Histoire assez commune si ce n’est le génie du compositeur et de la mise en musique de ces vers avec le style « rappresentativo », qui est un genre exprimant le théâtre des passions. Les dissonances flirtent avec les harmonies et nous mènent par le bout du coeur dans ce morceau qui m’est inoubliable.

Pour suivre les Kaspber’girls

Tout savoir sur les Kapsber’girls

Prochains concerts
7 octobre. Villeurbanne, Théâtre de la Petite Rue – « Vous avez dit brunettes »
9 octobre. Dochamps (Belgique), Musique Baroque en Famenne Ardenne – « Vous avez dit brunettes »
17 octobre. Toulon, Festival Présence Compositrices – « Donne Sacre Donne Profane »

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