Culture
Le Cubisme sous tous ses angles
Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 23 octobre 2018 à 19 h 11 min – Mis à jour le 23 novembre 2018 à 20 h 44 min
Si l’impact du cubisme sur l’art moderne est une rupture pour les uns, une révolution pour les autres, il est en fait délicat d’en définir vraiment les contours. La magnifique exposition du Centre Pompidou, jusqu’au 19 février 2019, tente de relever le défi avec une volonté louable de didactisme et d’amplitude.
Combler un vide au risque de débordements
Tous les protagonistes de cette « révolution esthétique où on apprend à se passer d’Euclide comme de Descartes », dixit Serge Fauchereau dans son ouvrage Le Cubisme (Flammarion), ont eu leur exposition personnelle : ses deux ‘inventeurs’, Georges Braque et Pablo Picasso, ‘premiers de cordée’ comme ils se définissaient refusant toute école ni manifeste. Mais aussi ses ‘pionniers’ : Fernand Léger, Juan Gris, Albert Gleizes, Jean Metzinger, Francis Picabia, Marcel Duchamp, Robert et Sonia Delaunay ou František Kupka tout récemment. Il n’y avait pas eu d’exposition générale dédiée au Cubisme depuis 1953 ! Cette approche collective – des Cubismes – est nécessaire et personne ne manque à l’appel.
Le mouvement cubiste, et son « reniement » des supports traditionnels (la perspective, la syntaxe, la tonalité…) ne pouvait être attribué à l’œuvre d’un seul homme, fût-il Picasso, même si l’exposition a choisi son héraut avec près d’un quart des œuvres qui lui reviennent ! « L’originalité et l’importance du cubisme ne se résument pas à une histoire de simplification géométrique revendique la Commissaire de l’exposition et directrice d’un remarquable « Dictionnaire du Cubisme » (Robert Laffont), elles reposent sur la seule appréhension concrète de la matière, de la lumière, de l’espace, de la forme, de la couleur et des rapports qu’elles nouent entre elles. »
Mais à force d’en fluidifier les étapes protéiformes, ici essentiellement parisiennes, le parcours du Centre Pompidou tend à gommer les nuances et diversité nationales (l’école de Puteaux est à peine mentionnée) ou internationales (comme par exemple l’impact de l’Armory Show sur les peintres américains).
Ne boudons pas notre plaisir
Avec plus de 300 œuvres et documents, le Centre Pompidou appréhende cette dynamique – ‘dynamite’ – esthétique sous tous les angles, englobant tous les arts, en particulier la sculpture magnifiquement représentée et les liens structurants de la peinture et de la littérature. Sans pour autant montrer comment le cubisme est d’abord un produit de son époque, de révolutions scientifiques radicales menées par Einstein, Freud, Marey, Muybridge et les autres.
Face à la complexité (et la succession) d’expériences apparemment contradictoires, le parti-pris assumé est celui de l’évolution ‘interne’ du mouvement : les 14 salles abordent le cubisme « à travers ses innovations stylistiques et leur contextualisation historique » assume Brigitte Leal, la commissaire, dans l’introduction du précieux « Dictionnaire du Cubisme » (Robert Laffont). Quatre grandes étapes sont à retenir : les sources primitivistes ou issues de Gauguin et Cézanne (1907-1909), puis les « époques/expérimentations » : la transcription « analytique hermétique » (1910-1911), l’irruption du collage et de la couleur (1912-1914) transformée en version plus « synthétique » (1913-1917) .Au lendemain de la grande guerre, si le cubisme s’éteint car il n’invente plus, il a touché tous les domaines artistiques : musique, architecture, typographie et même le cinéma, et il s’internationalise. En outre, si les suiveurs se multiplient, maniérisme certain, comme le souligne Juan Gris : « on n’invente pas de toutes pièces un état d’esprit »… Alors que d’autres boostés par les innovations et grisés par les révolutions de toutes sortes vont prendre la plume, la peinture et la poudre d’escampette pour l’abstraction : Mondrian et Malevitch en tête.
Une rupture esthétique aux frontières temporelles floues
S’il est plus aisé de le localiser géographiquement comme un phénomène parisien, animé par des acteurs internationaux, fixer un cadre temporel précis s’avère plus délicat. Les commissaires le limitent ici à une décennie : 1907 (Demoiselles d’Avignon et rencontre de Picasso avec Braque) – 1917 (révélation de l’opéra cubiste, Parade). Ils suivent les dates du « Catalogue raisonné de l’œuvre peint du Cubisme de Picasso » : 1907-1916 (Pierre Daix – Joan Rousselet, 1979).
Elles sont infiniment plus étroites que la chronologie de l’exposition Picasso Cubiste de 2007 qui s’ouvre en 1906 (Portrait de Gertrude Stein) pour se clore en 1924 (Guitare, décor ‘Mandoline & Guitare’. Si la chronologie de Serge Fauchereau adopte une amplitude plus large encore – 1900 (premier séjour de Picasso à Paris) – 1925 ‘une date extrême’ (avec Le Pavillon de l’Esprit nouveau de Le Corbusier, la dernière exposition de la Section d’Or, 1ère exposition Surréaliste avec la participation de Picasso), l’auteur tranche cependant : « on situe sans trop d’approximation sa période de recherche et de pleine vigueur dans la décennie 1980-1918 »
Pourquoi des limites aussi discutées ? « Chercher un commencement au cubisme, est une entreprise illusoire, écrit Jean-Claude Lebensztejn dans ‘Picasso Cubiste’ car le cubisme n’est pas une réalité mais un concept dont les contours temporels se déplacent avec le contenu dont ont le charge. »
Assumer coûte que coûte le réalisme tout en rendant la peinture autonome
Difficile de rendre compte de tant de chefs d’œuvre, de tant d’avancées qui remettre en question l’essentiel des valeurs esthétiques occidentales : le rejet des apparences et du sens commun, et bientôt du tableau, la reconsidération du matériau même de l’œuvre, l’adoption de procédés extra-picturaux qui conduisent à l’éclatement des formes plastiques, au mélange des genres reposant le problème du métier et de l’originalité du créateur …
Tous se revendiquent « réalistes », attachés à la notion d’équilibre et de cohérence, à rendre compte de la vision imposée par la vie moderne à l’instar d’un Villon qui déclare : « exprimer la synthèse du mouvement par la continuité », tournés vers le monde moderne, mécanique et concret, usant de tous les subterfuges – sculptures, collages, papiers collées, signes et matières – terre-à-terre pour en venir à bout. Si le jeu des œuvres produites en séries les emmène trop loin, ces pionniers reviennent toujours sur des « objets », agencements de formes et de couleurs. Si le cubisme a un futur vraiment fécond, c’est certainement hors de ses cadres, en stimulant quelque chose de différent.
Des lignes de fuite brisées… à la fuite en avant individuelle
La boite de la vraisemblance étant brisée, tout devient possible. Le parcours est tellement mu par la volonté de renouveler et d’élargir « le mouvement fondateur de l’histoire de l’art moderne ». Au point d’en faire le point de départ de quasi toute la modernité au XXème siècle. Limant les lignes de fuites individuelles (en premier lieu Picasso).
Fuite en avant, ou vertige de la table rase que certains accélèrent dans l’abstraction comme Mondrian et Malevitch. Ce dernier revendique que « le cubisme met l’artiste sur le chemin de la création absolue, inventive, immédiate. » qui deviendra le seul référent de l’œuvre. L’exposition s’achève sur deux ‘ready-made’ de Duchamp : ‘Roue de bicyclette’ et ‘Fresh window’, certes « conséquences logique du geste du collage initial du collage » selon Aragon… et ferme ainsi la porte aux autres pistes picturales de l’image mentale comme modèle. Au risque aussi de brouiller davantage les pistes mais en rendant justice à un mouvement qui sut « découvrir sans cesse des choses » selon le mot de Picasso.
Informations pratiques
Le cubisme
jusqu’au 25 février 2019
Galerie 1 – Centre Pompidou de 11h à 21h – Nocturne le jeudi 23h
Accès avec le billet Musée et expositions
Pour aller plus loin
Sous…
Le cubisme
jusqu’au 25 février 2019
Galerie 1 – Centre Pompidou de 11h à 21h – Nocturne le jeudi 23h
Accès avec le billet Musée et expositions
Pour aller plus loin
Sous la direction de Brigitte Leal.
La directrice adjointe du MNAM Centre Pompidou, commissaire de l’exposition a beaucoup écrit pour l’occasion:
- Catalogue de l’exposition, Edition du Centre Pompidou (320 p. 49.90 €). Exercice convenu certes très richement illustré mais plutôt succinct en contenu, et tout aussi pédagogique que le parcours de l’exposition.
- On préférera ce Dictionnaire du Cubisme. Collection Bouquins Robert Laffont (896 p. 32€) dont l’ambition est d’aspirer et inspirer large en quelques 290 entrées dont l’absence d’illustrations ne doit pas arrêter l’amateur. Tant la pertinence des sujets – d’Abstraction’ à ‘Zumsteg’ comme la qualité rédactionnelle en font l’outil idéal pour prendre conscience de la force et de l’impact d’un mouvement explosif del’art du XXè siècle.
Le Cubisme, Serge Fauchereau, Flammarion, 256 p. 2012 45€. Essai dense, refusant de suivre une ligne chronologique pour mieux cerner en profondeur les dynamiques du cubisme souvent peu éclairées comme « un art janséniste », « de la poésie plastique » et son « humour ». « Jamais les cubistes ne prennent leurs découvertes plastiques ou littéraires sans un grain de sel. (…) S’il y a bien des raisonneurs Les Picasso et Apollinaire étaient loin d’être des pisse-froid » Son panorama du Cubisme en Europe et aux Amériques constitue aussi un point fort de cette étude indispensable.
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