Culture

Le monde sous la longue vue de Richard Petit

Auteur : Anne-Sophie Barreau
Article publié le 11 août 2024

(Artiste inspirant) L’île des Dieux, Océan, Cheap Land, Au-delà de l’espace, Border Line… les titres de ses séries parlent d’eux-mêmes : c’est un monde en « grand format » saisi entre sublime et banal, celui de la chambre photographique qu’il pratique en virtuose, que Richard Petit arpente inlassablement. Le photographe, depuis peu aussi galeriste Le Lac Gelé à Arles, se confie à Anne-Sophie Barreau avant de partir en Norvège où il s’apprête à présenter sa dernière série, From Halsnøy with Love.

 

  

Arles

Richard Petit, autoportrait, 2024 (Concetto di Igloo, Omaggio a Mario Merz) Photo Richard Petit

Dans quelles circonstances avez-vous découvert la photographie ?

J’ai grandi dans une petite ville de Lorraine dans un milieu ouvrier. De la fenêtre de ma chambre, je voyais l’usine sidérurgique où travaillait mon père. Puis toute la famille est partie dans le midi – d’où ma mère est originaire – quand un emploi à l’usine de Fos-sur-mer a été proposé à mon père. A l’époque, j’étudiais la mécanique dans un lycée technique, et quand j’avais une heure de permanence, j’aimais sortir du lycée et me perdre dans les rues d’Arles écrasées de soleil. Pendant une de ces échappées, je suis tombé en arrêt devant des photographies de William Eugene Smith au musée Réattu. Elles représentaient des mineurs de charbon qui avaient relevé leurs lunettes. Sur une même image, on voyait l’usine, le village et le cimetière. J’étais d’autant plus bouleversé que je venais de cette histoire.

En outre, il me semblait, sans doute de manière fantasmatique, que la photographie, en raison même de sa technique, était faite pour un ouvrier comme moi qui se destinait à être technicien.

Par la suite, je suis devenu un visiteur régulier des Rencontres photographiques d’Arles et j’ai eu la chance d’étudier à l’École Nationale Supérieure de la Photographie d’Arles.

École de Düsseldorf

Vous privilégiez une prise de vue à la chambre. Pourquoi cette pratique, qui rappelle les débuts de la photographie, vous plaît-elle autant ?

Richard Petit Cheap Land sans titre (glacier) Photo Richard Petit

À une époque, le paradigme même de la photographie était celui de l’instant décisif d’Henri Cartier-Bresson. Le photographe comparait la photographie à la danse. Pour lui, il y avait un instant parfait où tout tournait dans le regard, et c’est à ce moment-là qu’il fallait déclencher. C’est brillant, indépassable, mais je n’ai pas ce talent.

Ma découverte de l’école de Düsseldorf, où l’image est appréhendée comme un document et une composition plastique plutôt que comme la captation d’un moment décisif, a été une révélation.

Comme je faisais souvent des photos en conduisant, je me suis dit que dorénavant, j’allais m’arrêter, descendre de la voiture, installer mon matériel et faire une photographie à la chambre. J’aime regarder en prenant le temps.

Dans la photographie à la chambre, l’instantané est interdit, c’est long, compliqué, cher, mais on entre en méditation.

Richard Petit Lungta, Memele reading Photo Richard Petit

Vous avez, du reste, aussi étudié la philosophie

Oui, et je pratique aussi le bouddhisme tibétain dans lequel la méditation est très importante. La conduite, j’y reviens, est pour moi proche de la méditation. C’est un des rares gestes sociaux où on nous interdit de faire autre chose en même temps. L’injonction de produire et de consommer n’existe pas. Je n’écoute pas la radio, seulement le bruit du moteur, exactement comme lorsque j’étais mécanicien. Du coup, il ne se passe rien, le ruban de l’autoroute, seul, défile sous mes yeux.

Le sublime et le banal

Vos séries, où l’ailleurs est omniprésent, mettent en tension le sublime et le banal

Richard Petit Cheap Land sans titre (autopont) Photo Richard Petit

Quand on débute en photographie, souvent, on ne sait pas trop quoi mettre en avant. Or la photographie sait, comme nulle autre, documenter le banal et, à l’extrême opposé, le transcendant et le sublime. Cheap Land, ma première série, s’ouvre sur une image où on voit un rond-point. On ne sait pas où ça va, d’où ça vient. J’ai fait cette image en diapositive à l’époque, et comme tout le monde m’a dit qu’elle était exceptionnelle, je suis retourné la faire à la chambre. C’était très compliqué. Je n’avais pas encore en main la technique, sans compter qu’il fallait rouler dans la neige. C’est seulement au bout de la cinquième fois que j’ai su que l’image était bonne. Cette image pourrait très bien être utilisée par une association écologique pour dénoncer les atteintes que subit la nature qu’être tirée en grand et installée derrière le bureau d’un patron pour dire regardez les ouvrages extraordinaires que nous savons construire.

Cette construction pourrait même promouvoir la nature ?

Dans cette série, les images sont celles d’une nature anthropique mais aussi d’une nature entièrement vierge. Pendant des décennies, on a fait comme si la planète ne coûtait rien, raison pour laquelle j’ai intitulé cette série Cheap Land. Elle a eu un succès immédiat et été montrée dans de nombreux endroits, en particulier à la galerie « Voies Off ».

Je mettais des images sur des questions que je me posais depuis toujours, à commencer par celle de notre besoin à travers la consommation de nous trouver des amulettes et des gris-gris.

Richard Petit Lungta, Likir Kids Photo Richard Petit

Dans la série « Lungta », réalisée en Himalaya, les lieux sont pleinement incarnés par les personnes qui y vivent à l’inverse d’autres séries où l’homme est peu présent ?

Pour cette série, j’ai suivi en quelque sorte les traces de Tintin au Tibet. J’ai vécu dans des monastères, je n’aurais jamais pensé connaître cela un jour. Ce qui m’intéressait, c’était avant tout les gens, et notamment cette culture et cette religion que je suis venu à pratiquer moi-même. Ce travail est le fruit de quatre séjours étalés sur dix ans. Mais autant Cheap Land a eu un succès immédiat, autant cette série, qui a demandé le même travail et même probablement plus, n’a pas retenu l’attention. On a beaucoup parlé du bouddhisme et du Tibet, c’est heureux, mais du coup, c’est comme si ce travail, pourtant réalisé à la chambre, était noyé dans la masse.

Sur les traces de Pytheas en Norvège

Comment est née « From Halsnøy with Love », la série que vous vous apprêtez à présenter en Norvège ?

 Au moment du vernissage de Lungta dans la galerie Le Lac Gelé que je venais d’ouvrir à Arles, j’étais à l’hôpital après que l’on a découvert que j’avais un cancer.

Richard Petit From Halsnøy with Love – Strondavegen Photo Richard Petit

Ma compagne recevait les invités. Helén Petersen & Øyvind Hjelmen, qui organisent des résidences d’artistes en Norvège, en faisaient partie. Ils ont aimé cette série et ont dit à ma compagne que j’étais le bienvenu chez eux lorsque je serai guéri. Cela m’a profondément touché. J’ai donc été invité dans leur résidence d’artiste, à Halsnøy Kloster. Cette fois, je suis parti sur les traces de Pytheas qui, il y a 2300 ans, a navigué depuis Marseille jusqu’à Thulé. On ignore au juste de quel endroit il s’agit mais c’est soit l’Islande, soit la Norvège. Dans cette série, j’ai décidé de tout axer sur la première image, celle sur laquelle on me voit en tout petit sous les rochers gigantesques de Strondavegen. Ces deux rochers, qui ont la taille d’une maison, ont l’air d’être tombés là sans raison. C’est  très étrange. Les autres images vont être présentées sur quatre caissons lumineux, de la taille du négatif, une façon de montrer le processus de création. Je suis impatient de partir en Norvège. J’étais convalescent à l’époque de la série, mais là, je compte bien nager dans les fjords !

Galeriste

Vous l’évoquiez à l’instant : vous avez récemment ouvert une galerie à Arles, Le lac gelé

Richard Petit Ile des Dieux Photo Richard Petit

J’ai naturellement beaucoup réfléchi avant d’ouvrir ce lieu. Quand la galerie « Voies Off », bien que reconnue, a dû fermer, je n’avais plus de lieu pour présenter mon travail. J’ai commencé par montrer chez moi L’île des Dieux que je n’avais jamais présentée à Arles. C’est après cette première expérience que j’ai décidé de franchir le pas et de véritablement ouvrir une galerie.

Ce qui me plaît, c’est le travail créatif mais aussi l’ouverture aux autres. J’aime cette expérience de partager l’univers d’autres artistes. Je trouve cela passionnant.

Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?

Richard Petit, Au-delà de l’espace, Cosmonaute – Untitled (after Saint Exupery) Photo Richard Petit

J’ai le sentiment d’être à un tournant. En découvrant From Halsnøy with Love, un ami m’a fait remarquer que c’était la première fois que j’apparaissais dans l’image. J’ai envie à présent de me jeter dans l’image mais aussi d’interroger le medium photographique.  Par ailleurs, Liminal, l’exposition de Pierre Huygues que présente la collection Pinault jusqu’à 24 novembre 2024 à la Biennale de Venise, m’a complètement renversé, comme du reste, la rétrospective que lui avait consacré le Centre Pompidou en 2013. Pierre Huygues tombe comme une espèce de météorite pour moi qui suis influencé par l’école de Düsseldorf.

Je ne sais pas trop encore ce que je vais en faire mais j’ai envie aujourd’hui d’aller vers le multimédia. Aujourd’hui, je ne crains ni d’échouer, ni d’oser.

Propos recueillis par Anne-Sophie Barreau le 5 août 2024

Pour suivre Richard Petit

Le site de Richard Petit

Et sa galerie Le Lac Gelé , 27 rue du grand couvent
13200, Arles – voir la chaîne youtube @frozengallery

sur rendez-vous galerie@lelacgele.org : jusqu’au 31 aout, Véronique L’Hoste, Devour (Off des Rencontres photographiques d’Arles) sur rendez vous

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