Le Procès de Jeanne, de Judith Chemla et Yves Beaunesne (Bouffes du Nord)

Issus des minutes du procès de condamnation de Jeanne d’Arc de 1431, « Le Procès de Jeanne » est un spectacle conçu par Judith Chemla qui incarne aussi le rôle-titre et Yves Beaunesne qui signe la mise en scène au Théâtre des Bouffes du Nord jusqu’au 16 février puis en tournée en France en mars. Pour Jean de Faultrier cet opéra au lyrisme complexe atteint le cœur directement et sans artifice. La scénographie prodigieuse et le chant fervent libéré par la musique de Camille Rocailleux amplifient l’émotion de cette œuvre lumineuse qui porte un message profondément moderne à nos oreilles.

  • « On vous gardera avec de bonnes chaînes.
  • Vous pouvez m’enchaîner, vous n’enchaînerez pas la fortune de la France. »

(Tiré de « Jeanne d’Arc, libératrice de la France : extrait des interrogatoires de Jeanne d’Arc pendant son procès », Joseph Fabre, Manuel général de l’instruction primaire, 1894, p.190.)

Un dispositif scénique sans artifice

Le Procès de Jeanne, conçu par Judith Chemla et Yves Beaunesne (Bouffes du Nord) photo Guy Delahaye

Comme un dialogue de deux échos, deux scènes se font face dans la nef baignée d’ombre du théâtre des Bouffes du Nord : l’une est horizontale, on devine que les lattes de bois qui la composent figureront un bûcher, l’autre est verticale, elle révèle l’espace judiciaire qui occupe tout l’arrière d’un miroir sans tain reflétant la chambre des juges.

Avec ces deux octogones qui coïncident spatialement tout en mettant en scène une perpendicularité qui ne les rapprochera jamais, la pièce jouée par une Judith Chemla, qui transfigure littéralement son personnage, a pour décor une scénographie prodigieuse de paroles et de musique qui atteint le cœur directement et sans artifice.

Un opéra au lyrisme complexe.

Le Procès de Jeanne, conçu par Judith Chemla et Yves Beaunesne (Bouffes du Nord) photo Guy Delahaye

Dès les premières minutes, le « Procès de Jeanne » se déploie comme un opéra au lyrisme complexe. Avec un texte inspiré et son chant fervent, Judith Chemla offre avec ardeur à entendre une défense qui est un plaidoyer poignant.
Les paroles, transcription géométriquement hyperbolique des minutes du procès, sont exhaussées par la musique de Camille Rocailleux, elles libèrent une émotion amplifiée par la distance/imprésence qui sépare Jeanne du tribunal ecclésiastique qui la juge, ce vide incarnant paradoxalement la justice à l’œuvre. Jacques Bonaffé en évêque Cauchon et Jean-Claude Drouot en Jean Baupère composent emblématiquement deux des sévères visages de l’instance.

Impossible de ne pas penser à l’œuvre « Dialogues des Carmélites »

Judith Chemla transcende ce Procès de Jeanne, mise en scène par Yves Beaunesne (Bouffes du Nord) photo Guy Delahaye

Le destin de Blanche de La Force dans l’opéra de Francis Poulenc et Georges Bernanos est scellé sous le couperet révolutionnaire, celui de notre Jeanne est voué au feu expiatoire. Oui, « Le Procès de Jeanne » est véritablement un opéra dont la composition scénographique démultiplie vertigineusement la portée dramatique des réponses apportées par Jeanne aux questions inquisitoriales de ses juges.

Le reflet de notre temps, que cet objet culturel rare et musicalement littéraire propose, nous instruit politiquement.

Judith Chemla et Yves Beaunesne ont créé une œuvre lumineuse dont la langue emprunte au Moyen-âge ses formules procédurales et sa grammaire au rythme singulier, elle porte cependant un message profondément moderne à nos oreilles.

Il y a du mystique dans les instants du temps long qu’il nous est Judith Chemla proposé de repenser, mais une mystique qui n’est ni de contemplation ni de plainte. La douleur de l’incompréhension et la fatale blessure de l’injustice détourent une perspective à méditer intensément.

Le Procès de Jeanne fait penser aux Dialogues des Carmélites (Bouffes du Nord) photo Astrid Biessy

Il est ainsi autant question de la liberté de nos engagements que de l’audace de nos postures face aux orientations d’une société sous la férule de juges autoproclamés moraux ou idéologiques.

Jean de Faultrier

Post scriptum : Quelles tristes conditions de représentation (surtout pour les acteurs, les musiciens, les techniciens du théâtre) quand notre époque permet que les sièges soient pour moitié offerts manifestement aux résidents d’un sanatorium et pour l’autre moitié occupés par des spectateurs n’ayant bénéficié d’aucune éducation.
Les intéressés respectifs se reconnaîtront.

 « Le Procès de Jeanne », d’après les minutes du procès de condamnation de Jeanne d’Arc – 1431

Conception de Judith Chemla et Yves Beaunesne – Mise en scène d’Yves Beaunesne
Musique de Camille Rocailleux – Livret de Marion Bernède
Avec Judith Chemla, les musiciens Mathieu Ben Hassen, Emma Gergely, Robinson Julien-Laferrière, Etienne Manchon, Marie Salvat et Hippolyte De Villèle
Avec également à l’image Jacques Bonnaffé, Thierry Bosc, Jean-Claude Drouot, Patrick Descamps, Jean-Christophe Quenon, Léonard Berthet-Rivière, Michel Vanderlinden, Eric Pucheu, Antoine Laudet, Frédéric Cuif et Eliot Berger

Jusqu’au 16 février 2025, Théâtre des Bouffes du Nord

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