Culture

Le regard intérieur de Jaume Plensa en pleine lumière (Ceret, Lelong, Antibes, Chaumont-sur-Loire)

Auteur : Thierry Dussard
Article publié le 24 mai 2022

Célèbre pour ses visages étirés inscrits dans de nombreux espaces publics, l’œuvre de Jaume Plensa est bien plus que ces icones, comme le révèlent les nombreuses expositions qui courent tout cet été notamment à Céret MAM (>6 juin), à Paris Galerie Lelong (> 13 juillet), à Antibes (Musée Picasso > 25 sept.) ou Chaumont-sur-Loire (> 30 oct.) Autant de chances de voir et de toucher ces sculptures qui invitent l’œil et la main. Et de trouver ce que l’artiste catalan appelle le « regard intérieur ».

Gaucher, mais pas gauche, Jaume Plensa sait extraire toute la douceur d’un bloc d’une tonne de marbre. Photo © Thierry Dussard

En quête de lumière.

Créer, c’est se confronter à l’impossible. Donner du mouvement à une image fixe, ou de la légèreté à un bloc de marbre. Jaume Plensa a d’abord voulu être peintre, mais a finalement choisi la sculpture, notamment sous l’influence du plus léger des artistes de la matière :  Calder. L’Américain avait trouvé comment être de son temps, après Auguste, Aristide et Antoine. Comprenez Rodin, Maillol et Bourdelle. Jaume Plensa, né en 1955, a dû inventer à son tour une nouvelle manière d’apprivoiser la lumière.

Synthétiser lumière et légèreté

Un moment attiré par l’abstraction, son retour à la figuration se traduit par des personnages formés de lettres soudées, réussissant un tour de force capable de synthétiser lumière et légèreté. « Un moulage de son propre corps a servi à la réalisation de la figure de l’homme assis qu’il réemploie si souvent », remarque Catherine Millet, en Le Nomade comparant au Scribe du musée du Louvre. « Le Verbe s’est fait chair » ajoute la critique d’art pour qualifier ces sculptures-signatures qui ponctuent désormais les places et les musées du monde entier.

Granit noir et marbre blanc, l’artiste catalan joue avec la lumière comme avec des touches de piano. Photo © Dussard


Jaume Plensa, Saison d’Art 22 Domaine de Chaumont-sur-Loire, Photo OOLgan

 

Vu à la fois de face et de profil

Célèbre pour ses visages étirés, comme des échos à ceux du Greco, le peintre de Tolède, l’œuvre de Jaume Plensa s’inscrit dans de nombreux espaces publics de France (Caen, Bordeaux) et du monde entier, dernièrement à Londres (« We » The Shard/London Bridge station) et en face de Manhattan (« Water’s Soul » Newport, New Jersey).
Des têtes qui donnent l’impression d’être vues à la fois de face et de profil. « Je commence par photographier des jeunes femmes, puis je scanne leur visage en 3D, avant de l’allonger », explique l’artiste. Le bois, le bronze, ou la pierre redonnent enfin une forme à cette tentative d’« attraper l’eau avec ses mains », dit-il. Démarche aussi vaine que réussie, qui rappelle les épures de Giacometti.

Statue d’albâtre tirée d’une carrière proche de Barcelone, dont l’artiste a laissé la partie arrière à l’état brut. Photo Photo © Thierry Dussard

400 tonnes de marbre blanc

Jaume Plensa, dont l’atelier est installé dans la banlieue de Barcelone, est tombé au Vietnam sur un marbre blanc aux reflets irisés. Il en a acheté 400 tonnes. Auxquels s’est ajouté un granit noir, extrait des profondeurs de l’Inde. Le maestro et sa douzaine d’assistants, à commencer par sa femme Laura, en a tiré une série de sculptures saisissantes. Les visages hiératiques tels des stèles aux yeux fermés composent une musique de chambre en noir et blanc. Afin d’en accentuer le mystère, la galerie Lelong a plongé la pièce dans la pénombre, « à stores tendus » dirait Flaubert.

A hauteur de femme

Dessin sobrement intitulé « Soul », illustrant « mon intérêt pour l’intérieur », dixit Plensa (28 000 €). Photo © Thierry Dussard

Et la magie se prolonge dans la seconde galerie Lelong, avenue Matignon, où deux statues d’albâtre se font face. Sur la partie arrière laissée à l’état brut, la lumière se manifeste en transparence, et contraste avec les visages de céruse. Fonte, fer, bois ou pierre, « le matériau n’est jamais fondamental », déclare le Catalan avec un goût du paradoxe, qui incite par ailleurs à se plonger dans le « regard intérieur » de ces visages aux yeux clos. L’expérience se poursuit avec ses bronzes posés à hauteur de femme (110 000 €, édition de 8 ex.). « Le bois, même le plus vénérable, joue. Le bronze est comme une photographie du bois, il immobilise le matériau qui bouge », souligne le sculpteur.
La sculptrice Niki de Saint-Phalle ne parlait-ellle pas d’« ouvrir ses yeux intérieurs » ? C’est là tout le désir de l’art.

#Thierry Dussard

Pour suivre Jaume Plensa

le site de Jaume Plensa

 » Cela fait des années que j’essaie de faire disparaître le papier, qu’il devienne transparent et ne soit plus un lieu mais un espace. Qu’il perde cette dimension de support pour faire partie du dessin.
Je suppose que ce sont des préoccupations de sculpteur plus que de peintre « . Jaume Plensa

Agenda 

Jaume Pensa, Le nomade, au Bastion St Jaume, Antibes © Ville d’Antibes Juan-les-Pins D.R

A lire :

  • Jaume Plensa, le silence du scribe, de Catherine Millet. Ed. Galerie Lelong & Co, 80 p. 10€
  • Jaume Plensa, Yorkshire Sculpture Park, 160 p. 35,00 €
  • Jaume Plensa, L’Ame des mots, de Jean-Louis Andral, 190 p. IAC Editionset
  • Jaume Plensa, Dessins, de Jean-Louis Andral (Musée Picasso d’Antibes), Clare Lilley, (Yorkshire Sculpture Park) et
    Jean Frémon (Galerie Lelong) Ed. Skira (juin 22), 312 p. 300 ill. 49 €

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