L’effrontée, Garde à vue, et Mortelle Randonnée, de Claude Miller (4K Ultra HD + Blu-ray (Rimini éditions)
« Tout ce que tu dis parle de toi : singulièrement quand tu parles d’un autre. » — Paul Valéry
« Dans les eaux troubles »
« Comme cinéaste, il était à la fois classique et baroque, appliqué et foutraque, artisan et artiste, recherchant le succès populaire et l’expression tâtonnante, angoissée, de la part maudite. Il y a de quoi être surpris qu’il soit arrivé à faire une carrière commerciale si longue et si brillante en traitant des sujets si obstinément transgressifs. »
Emmanuel Carrère, cité par Olivier Curchod
Garde à vue (1981)
La commande de Michel Audiard offre à Claude Miller la rencontre de deux géants du cinéma français, Lino Ventura et Michel Serrault et le grade des grands dompteurs de fauves, comme le montrent les bonus: sans Ventura, Serrault n’en aurait fait qu’à sa tête. Avec, en prime, la » participation » de Romy Schneider.
Une nuit de Saint-Sylvestre au soir, Jérôme Martinaud, un notaire, est convoqué au commissariat pour témoigner sur l’assassinat et le viol de deux petites filles. Les inspecteurs Gallien et Belmont (Guy Marchand), persuadés de la culpabilité du notable, le mettent en garde à vue.
Lumière bleutée, néons froids, pluie poisseuse et continue : Claude Miller met en scène un huis clos savamment éclairé par Bruno Nuytten qui tourne à l’affrontement entre un inspecteur opiniâtre (Ventura, lancé comme un boxeur sur le ring) et le notaire local, coupable idéal (Serrault, tout en duplicité et émotion contenue). Incertitude des faits, ambiguïté des mots, fragilité des aveux. Malgré le fait divers est sordide, les dialogues glaçants d’Audiard et la mise en scène de Claude Miller au plus près des gestes et des regards font mouche.
Récompensé de quatre Césars, le film de la consécration de Miller le fait entrer dans la cour des grands, un des classiques des films d’interrogatoire.
Combo : 4K Ultra HD + Blu-ray (film inédit en 4K) – DVD : nouvelle édition réalisée à partir de la restauration 4K
Suppléments
- inédit – Interview Claude Miller & Michel Audiard – Archive RTBF (10 min)
- inédit – inéditInterview Michel Serrault- Archive RTBF (10 min)
- (Sur le blu-ray= : Émission Champ Contrechamp – Archive INA (52 min)
- Garde à vue, histoire d’un succès (36 min)
- Garde à vue, une exemplaire leçon de mise en scène(6 min)
- Film annonce
Mortelle randonnée (1992)
Un an après « Garde à vue« , le réalisateur retrouve Michel Serrault pour ce thriller également interprété par Isabelle Adjani. Un étonnant thriller, adapté par Michel Audiard d’un roman de Marc Behm et porté par la musique de Carla Bley.
Un grand film sur les fantasmes d’un homme d’âge mûr. Le bien nommé L’Œil (Michel Serrault) poursuit dans une quête obsessionnelle comme un fantôme une magnifique meurtrière aux multiples identités (Isabelle Adjani) qui joue les anges exterminateurs. Il pense y reconnaître sa fille disparue et l’amour de sa vie. Entre instincts paternels et désir d’amant, la confusion est totale.
A la différence de Garde à vue, Claude Miller brouille avec maestria les apparences de la vérité et du mensonge. Le mystère et l’angoisse psychologique ne sont pas, ici, dans l’intrigue, mais dans la course insensée d’un voyeur et somnambule, derrière une inconnue aux apparences ondoyantes, autonome, inexplicable, touchante comme une petite fille qui a eu peur dans le noir, s’en est évadée. Claude Miller filme son actrice et ses métamorphoses dans un défilé de fantasmes cinématographiques, convoquant Hitchcock ou Sirk dans une esthétique mi-clip, mi-baroque. Un polar envoûtant, doublé d’une réflexion en creux sur la perte d’un enfant.
Combo : 2 Blu-ray et 2 dvds
Suppléments sur les deux blu-ray
- Marc BEHM par Frédéric MERCIER – critique cinéma à Positif (32 min)
- La musique de Carla BLEY par Olivier DESBROSSES – journaliste à Total. Trax (19 min)
- Interview Claude MILLER – Archive RTBF (6 min)
- Autre suppléments
- Sacrée Randonnée: l’épopée d’un film culte (32 min)
- Mortelle Randonnée: une fascination hypnotique (6 min)
- Film annonce
- Et il entra dans la photo… (38 min)
- La musique de Carla BLEY par Claude MILLER (3 min)
L’effrontée (1985)
« La caméra est la fourchette qui sert à porter la nourriture à la bouche », se justifiait Claude Miller à la L’Effrontée, tant son film solaire, à la mise en scène maitrisée est entièrement au service de ce regard poétique et cru sur l’amitié, l’angoisse et les apprentissages.
La jeune Charlotte (Charlotte Gainsbourg) est le fruit de ses fantasmes confus : elle pensait pouvoir devenir l’imprésario d’une jeune pianiste prodige (Clothilde Baudon), alors qu’elle se laisse séduire aveuglément par un homme bien plus vieux qu’elle (Jean-Philippe Écoffey) qui tente de la violer.
De ses tourments de l’adolescence, Claude Miller capte les élans, l’audace et la timidité. Filme des instants pleins de grâce (la petite Lulu, espiègle hypocondriaque), ou la gouaille de Bernadette Lafont. Mais surtout Charlotte Gainsbourg, marinière et sourire boudeur, gestes indécis et douce rébellion. Éblouie par une jeune pianiste prodige, elle cherche éperdument à approcher ce monde qui n’est pas le sien, et s’accroche à ses rêves le temps d’un été.
Grand succès public, couronné du prix Louis-Delluc, rarement un film fait si bien ressentir (à travers une mise en scène de comportements forte et subtile) le malaise de l’adolescence, la douloureuse confrontation des illusions. Il révéle Charlotte Gainsbourg, qui recevra pour ce film, le César du meilleur espoir féminin, portée par un tube vivifiant qui reste en tête. Sarà perché ti amo…
Suppléments :
- (inédit) Interview Claude Miller & Charlotte Gainsbourg – Archive Radio Télévision Suisse (10 min)
- Le bel été de l’Effrontée : histoire d’un film de famille(28 min)
- L’Effrontée, mon enfance parallèle : le regard de Ludivine Sagnier(8 min)
- Sous l’aile de Claude Miller- Interview de Charlotte Gainsbourg (10 min)
Cinéaste des eaux profondes et troubles
Enfances ou adolescences tourmentées, maturités balbutiantes, et tout leur lot d’humiliations, fascinations, emprises, et de passion portée « à un très haut niveau d’ébullition » (mot qu’il appliquait au cinéma de Truffaut en un pudique effet miroir) se libèrent en un cortège de meurtres, adultères, suicides, voyeurismes, entraînant le spectateur « en eaux profondes, dans les eaux troubles de Miller », selon Marina Hands, l’une de ses dernières actrices.
« Il y a plusieurs personnes en nous », souriait-il au soir de sa vie en citant Paul Valéry, « la vraie, c’est l’autre ! ». « Tout chez lui », renchérissait à sa mort son vieil ami le réalisateur Bernard Stora, « y compris le plus intime de l’intime, passait par le cinéma.
Et si l’on veut en savoir plus, il faut voir et revoir ses films où il a enfoui, comme dans un rébus, des signes, des indices, tout un fléchage énigmatique qui à la fois le révèle et le préserve. »
Olivier Curchod, auteur de Claude Miller (Les Impressions Nouvelles, 2024).
Premiers films en 4K en attendant les autres, l’oeuvre de Claude Miller hélas jetée dans l’ombre au nom d’un académisme imaginaire s’inscrit dans la qualité de cinéastes nés comme lui dans le contexte de la dernière guerre, les Blier, Tavernier, Téchiné, Corneau, Doillon, Jacquot ou Leconte... Loin des facilités, ces Rimini éditions ont le mérité de mieux l’éclairer.
Olivier Olgan