Culture
Les krafts colorés de Maxwell Alexandre, héraut inclusif de l’émancipation noire brésilienne
Auteur : Marc Pottier, Art Curator basé à Rio de Janeiro
Article publié le 24 novembre 2020, revu le 6 décembre 2021
[Découvrir les artistes d’aujourd’hui] « Parfois il faut frapper le racisme en pleine face, mais je n’ai pas le courage de frapper physiquement quelqu’un, alors je le fais en peinture» Maxwell Alexandre traque avec ses krafts colorés tous les territoires de pouvoir où les luttes raciales et sociales se sclérosent au détriment des minorités noires brésiliennes. Au Palais de Tokyo jusqu’au 20 mars 22, son « New Power » pointe l’implication de l’art contemporain dont les « lieux-blancs » contrôlent le récit et l’image et les investit à sa manière pour en renouveler les codes et l’imaginaire.
Une ascension fulgurante du champion de roller
Fin 2018, dès sa première exposition à la galerie A Gentil Carioca de Rio de Janeiro, l’ancien champion de roller de 28 ans avait frappé fort ; croquant sans concession les aspects ubuesques de la vie des communautés locales, à la manière parfois crue et sans complexe d’un James Ensor (1860-1949). Ses touches de peintures aux couleurs élaborées, ses formats souvent immenses traduisaient une vision radicale, sarcastique et insolente de l’inanité de la violence brésilienne … et imposaient cette pâte très personnelle qui constitue les grands artistes.
« Artist of the year 2020 » pour la Deutsche Bank
En moins de deux ans, l’artiste issu de la Rocinha, la plus grande favela de Rio où il habite et continue de travailler est désormais très recherché ; biennales, musées et collectionneurs ne cessent de l’inviter. On peut saluer la perspicacité du MAC de Lyon qui dès mars 2019 lui consacrait une exposition solo…. Il vient intégrer l’écurie d’une des plus grandes galeries internationales, celle de David Zwirner. La Deutsche Bank le retient comme l’un des trois ‘artist of the year 2020’ . Celui qui revendique être entré dans l’art comme on rentre en religion semble être déjà arrivé au ciel !
Une vision alternative aux récits officiels aux médias
Son matériau est issu de ce qui lui tombe sous la main, feuilles de papier kraft assemblées ou éléments de récupération (portes, fenêtres…) dont il confectionne d’immenses compositions ou des environnements-installations, voire une piscine gonflable pour l’une de ses performances. Son inspiration vient de son expérience quotidienne à Rio de Janeiro et plus particulièrement, de la favela Rocinha connue pour être supposément la plus grande et la plus peuplée du pays.
Une vision inclusive
A ses débuts Maxwell s’est confronté aux leçons du peintre Eduardo Berliner (1978-) artiste obsédé par le dessin qui note tout sur ce qui l’entoure en le réinterprétant d’une manière surréaliste. Maxwell dépasse, lui aussi, la simple retranscription du quotidien, des inévitables confrontations communautaires à la question sur la race noire. Il propose une formidable vision alternative. Ses personnages ne sont pas cantonnés à une vision archétypée ; noirs, criminels ou victimes, …
Au contraire, ses fresques très bigarrées intègrent les nombreuses facettes de la culture noire brésilienne.
Un autoportrait engagé à travers le fourmillement populaire brésilien
Tout un fourmillement d’informations, de figures et de symboles à la Jérôme Bosch (1450-1516) grouille dans ses œuvres « pop » dans une palette de couleurs flamboyantes à la Andy Warhol (1929-1987) ou à la Keith Haring (1958-1990). Il y charrie sans concession entre-autre la violence et les abus infligés par les autorités gouvernementales et les milices qui vivent dans les communautés défavorisées.
Se mêlent dans les mouvements de la rue qu’il dépeint, des personnages représentés sans trais faciaux à la peau noire et cheveux blonds (symbole d’émancipation imitant les stars de la chanson et du football). Apparaissent l’uniforme scolaire de la municipalité de Rio qu’on voit couramment dans les quartiers défavorisés, des monuments majeurs de la ville de Rio, un kaleidoscope de super-héros, jeux vidéo, écussons militaires, les logos et drapeaux de villes et les marques mondiales qui attisent les désirs des adolescents et des enfants…Souvent un motif ondulé occupe la majeure partie de l’arrière-plan des œuvres. C’est celui des modèles de piscines en plastique populaires que l’on trouve partout sur les toits-terrasses des favelas.
Une génération d’artistes soutient l’émancipation des noirs
Omniprésente et source d’inspiration, la musique fait partie de son univers. D’autant qu’une nouvelle génération de musiciens, chanteurs poètes a émergé en même temps. BK (1989-), Baco Exu do Blues (1996-) ou Djonga (1994-) par exemple s’attaquent comme Maxwell aux questions d’émancipation des noirs et de la vie dans les favelas. Beaucoup des titres de ses œuvres viennent de ces chansons.
Peindre les vers des rappeurs brésiliens est un enjeu politique stratégique
« Je pense qu’il est fondamental de pouvoir montrer que ma production est guidée par des poètes noirs qui ont des expériences en accord avec la mienne » revendique le jeune artiste. C’est essentiel et une rupture réelle de paradigmes au sein de l’histoire de l’art, quand on sait qu’il est courant pour la plupart des artistes de chercher à se nourrir de poésie blanche et européenne comme source d’inspiration de leurs œuvres.
Il y a un enjeu stratégique dans cette décision de peindre les vers de ces poètes, puisque le rap est une chanson connue pour être la voix des minorités, des périphéries. C’est le type de son qui arrive dans la favela et s’assimile, tandis que la peinture occupe une place très exclusive, au sein d’un système codé, élitiste et privilégié. Ici où j’habite, dans la favela de Rocinha, l’art contemporain n’est pas une valeur, la plupart des gens ne sont pas intéressés ou même savent de quoi il s’agit. Alors peindre des vers de rap est aussi une façon d’essayer de réduire cet écart. Je crée une chance d’attirer par mon travail l’intérêt populaire de la communauté. »
De l’exposition à la procession, la force de l’icone
Ses accrochages très maîtrisés sont aussi de véritables manifestes. Plus qu’alignés sur les murs, ses grandes compositions en papier sont plutôt suspendues à des fils qui traversent les espaces des institutions culturelles qui l’accueillent. Il aime ce contact direct avec le visiteur et veut qu’il voie le recto et le verso de ses papiers bruns scotchés. Il aime bien le forcer aussi à être proche du travail comme si faisant partie d’un premier plan de l’histoire qu’il présente. Cet accrochage intègre aussi un transport facile de ses grandes peintures qui roulées peuvent parfois donner lieu à des processions de rue, comme jadis l’intégration des retables dans une église, ce rituel-performance annonce et fait partie de l’exposition.
« Brun est le papier »
Dans la série « Pardo é Papel » (Brun est le papier), ce titre repris d’ une expression des militants noirs en réaction à la ghettoïsation des afro-descendants dans la catégorie générique de ‘pardo’, catégorie où sont regroupés tous les citoyens métisses du recensement national. Le choix de ce papier kraft affirme donc une dimension symbolique éloquente de son œuvre. Mais le message se veut positif et Maxwell y aborde l’ascendance africaine par l’autoestime de la société brésilienne contemporaine des favelas. Cette série est concentrée sur l’idée de reprise de pouvoir et d’émancipation.
L’église du royaume de l’art
Bien au fait des codes religieux et des protocoles religieux associés aux principales branches du néopentecôtisme, Il a rejoint un groupe d’artistes et de designers pour créer leur propre église non confessionnelle, l’Église du Royaume de l’Art ou ‘A Noiva’ (l’épouse). Convaincu que le processus artistique permet d’accéder au divin. Toute production au sein de cette religion peut être comprise comme une prière, tout espace investi peut être considéré comme un temple : ateliers, maisons et rues.
Les artistes sont à la fois des apôtres, des prophètes, des saints et des pasteurs.
Pour exercer cette foi dans l’art, ils organisent des services, des rituels et des cérémonies comme des baptêmes ou des pèlerinages. On l’aura déjà compris, il s’agit d’attirer celles et ceux qui ne mettent jamais les pieds dans une institution culturelle à qui est suggéré la capacité de l’art à assurer un épanouissement spirituel et montrer qu’il existe d’autres façons de trouver un sens à la vie. Il s’agit d’une incroyable tentative de rapprocher la culture et la vie en général.
Un destin à la Basquiat ?
Tout en sachant s’adapter aux attentes et aux codes de l’art contemporain, Maxwell est très conscient des bouleversements apportés dans sa vie par cette série de récents succès. Il est parfaitement lucide sur les dangers d’un marché qui fricote parfois trop avec les dictats et la spéculation de quelques nantis.
Conscient du destin de Basquiat (1960-1988) dont il ne veut être ni le clone, ni le suiveur, Maxwell se refuse à être cet Icare contemporain qui se brûle les ailes et l’âme en se rapprochant d’un soleil néfaste. Enraciné dans sa Cité, il sait l’ importance de se ressourcer chez lui et de s’accrocher à son projet d’église collectif. L’avenir nous apprendra s’il saura conjuguer identité et réussite, authenticité et célébrité.
A la façon dont il est reçu dans le monde entier et dont il déroule ses krafts dans tous les espaces, au risque même de celui de l’art contemporain (au Palais de Tokyo jusqu’au 22 mars 22), ce qui ne manque pas de recul serein sur une notoriété en expansion !
Il semble bien parti.
Pour suivre Maxwell Alexandre
en cours
jusqu’au 23.03.22. New Power, Palais de Tokyo : Conçu comme un parcours de visite de musée, l’installation entièrement fléchée cible le monde de l’art contemporain, son marché, ses cubes et autres « lieux-blancs », comme autant de territoires de pouvoir où les luttes raciales et sociales se sclérosent. « Pretos no topo [Les Noirs au sommet] est devenu un slogan dans le rap local. explique Maxwell J’ai d’abord analysé ce phénomène de loin, puis j’ai voulu montrer ses implications dans l’art contemporain et souligner que c’est là que se trouvent les gagnants, car c’est là que se concentre le capital intellectuel. Il ne s’agit pas seulement d’argent, mais de contrôler le récit et l’image.
L’occupation et le contrôle de ces espaces sont la conséquence d’une alliance puissante. Nous (les Noirs) devons être attentifs à ces lieux conçus afin que nous ne puissions pas les voir : nous devons être physiquement présents, assister aux vernissages, aller dans les galeries et les musées, nous renseigner sur l’art, consommer cette culture sous toutes ses formes. »
Frances Reynolds, une des grands soutiens d’Alexandre
Depuis 1998, Inclusartiz, plateforme de dialogues entre les pays et les communautés travaille avec les secteurs privé et public, développe des projets artistiques et culturels pour renforcer l’inclusion et les échanges. Frances Reynolds sa présidente-fondatrice est une workaholic dénicheuse de talents vivant entre l’Angleterre, l’Espagne, le Brésil et l’Argentine quand on ne la retrouve pas aux quatre coin du monde toujours avec un.e artiste, critique d’art ou collectionneurs sous le bras. Pour révéler et soutenir l’œuvre de Maxwell Alexandre, elle a frappé à toutes les portes de son important réseau international. Le talent évident de l’artiste a fait le reste !
Pour en savoir plus :
- Pardo é Papel: Close a door to open a window, Galerie David Zwirner (2 12 20–30 01 21) Le titre de cette exposition vient d’un vers du rappeur Tyler, The Creator (1991-), d’autres peintures ont également des extraits de paroles de Frank Ocean x Solange, et de trois rappeurs issus de différentes régions du Brésil : Baco Exu do Blues de Bahia, Djonga du Minas Gerais et BK de Rio de Janeiro. Cette volonté confirme l’impact du hip-hop dans la narration contemporaine des Noirs.
- Visite virtuelle de l’Exposition solo au Instituto Inclusartiz de Rio (22 11 19-24 03 20)
- Résidence de Maxwell Alexandre au MAC de Lyon (8.03-7.07 19)
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