Culture

Les Nuits électriques du MuMa ou le triomphe esthétique des lumières industrielles

Auteur : Patricia de Figuieredo
Article publié le 14 août 2020

Si la représentation d’une nature changeante fascine les Impressionnistes, celle de la ville transformée par la révolution industrielle les a tout autant attirés. En premier lieu,  les bouleversements liés à l’électricité. L’exposition Les Nuits électriques, au MuMa Le Havre restitue jusqu’au 1er novembre 2020 l’impact esthétique d’une nuit éclairée artificiellement.

Charles Marville, photo de Candélabre à lanterne à six pans, cour de l’hôtel des Postes Photo Patricia de Figuieredo

Le réverbère, le nouveau motif

Alors que le réverbère devient un nouvel élément du paysage urbain, il devient aussi objet d’expérimentations esthétiques aussi bien de jour que de nuit. Trois sections du parcours lui sont consacrées ! Il faut imaginer qu’entre 1853 et 1890 le nombre de candélabres bec de gaz passe de 12 400 à 51 500 ! « La multitude des becs de gaz forme une république composée de riches et de pauvres, d’aristocrates, bourgeois, et malandrins. (…) À l’heure des fermetures, ils s’apaisent, se reposent, mais leur labeur n’est pas terminé. D’un œil vigilent, ils surveillent le dépôt confié à leur garde. » écrit Émile Magne dans « L’Esthétique des villes paru au Mercure de France en 1900.

Les artistes qu’ils soient peintres ou photographes (notamment l’étonnant fonds constitué par Charles Marville (1813-1879), photographe attitré de la Ville de Paris, vont rapidement l’adopter : « sa forme élancée définit une ligne de tension et devient le pivot autour duquel la composition s’ordonne. précise la commissaire Annette Haudiquet dans l’indispensable catalogue qu’elle a dirigé. La mise en scène calculée du réverbère ainsi en majesté, apparaît dès lors comme la transcription plastique du rôle qui lui est dédié dans la rue. Ici, et là, sa haute silhouette contribue à structurer l’espace, celui de l’œuvre autant que celui de la cité. »

 

Pierre Bonnard Le Moulin Rouge illuminé photo Patricia de Figuieredo

Le développement des spectacles nocturnes

L’électricité permet surtout de poursuivre puis de créer de nouvelles activités qui attirent un public du monde entier, notamment des Expositions Universelles, les « noctambules ». Elle étire et transforme la nuit pour un divertissement généralisé, des théâtres et des music-Hall qui se multiplient. Le Moulin Rouge ouvre ses portes en 1889 et déploie ses ailes tournantes serties d’ampoules comme un sémaphore étincelant dans la nuit, ne manquant pas d’hypnotiser peintres et badauds. Et de devenir le centre de Montmartre. sans oublier l’émergence de véritables stars comme la Goulue.

 

L’éloge de l’urbanité

Claude Monet, Le Port du Havre, effet de nuit, 1873, huile sur toile, 60 x 81 cm, Collection particulière © DR MuMA ADAGP

Au cœur de « Paris, ville lumière », les disparités d’éclairages – géographiques et sociales – sont très diverses, ce qui multiplient les motifs contrastés et hétéroclites pour les artistes : « L’obscurité fait toujours partie du spectacle sensible que réserve la traversée de la ville la nuit. » rappelle Annette Haudiquet.

Beaucoup de villes sont ainsi mises à l’honneur par un accrochage judicieux ; Paris, mais aussi les capitales européennes, Londres, Berlin ou encore le Port Santa Catalino à San Sebastien par Dario De Regoyos. Sans oublier les villes normandes au cœur du mouvement impressionniste : Rouen, Le Havre, bien sûr dont on découvre son rôle précurseur dans l’expérimentation de l’éclairage public dès 1801, maitresse chez elle par des œuvres notables de Gaston Prunier, Othon Friesz ou Claude Monet et son pendant au fameux « Soleil Levant », Le Port du Havre, effet de nuit (1873) pour ne citer qu’eux, …

Pluridisciplinaire pour mieux embrasser la modernité de son sujet

Maxime Maufra Féérie nocturne, réalisée lors de l’exposition universelle de 1900 Photo Patricia de Figuieredo

L’exposition se consacre à la photographie et le cinéma, qui au fil des subterfuges et des innovations techniques s’emparent puis maitrisent les « effets jour/nuit ». « Dès les années 1850 pourtant, avec des dispositifs hérités de l’estampe, la photographie réussit à faire illusion, grâce à une image regardée en lumière directe d’abord, donnant une vision diurne, puis vue en rétro-éclairage, ce qui procurait une impression nocturne de la même scène. »
Avec le XXé siècle, la multiplication des usages de l’électricité urbaine, introduction des enseignes lumineuses, transforment la ville en un spectacle continu, agité d’une tension permanente, qui ne fera que de s’exacerber : « Les artistes d’avant-garde, futuristes, rayonnistes, orphistes… voient dans l’électricité l’incarnation de la modernité. Fascinés par les phénomènes optiques et les effets de la propagation de la lumière dans l’espace, ils s’attachent à en explorer les manifestations en inventant un nouveau langage plastique. »

Passionnante, au carrefour de l’artistique, de la technique, et de l’histoire des mentalités l’exposition à l’angle original et à l’ampleur conséquente souligne combien cette « fée », les lumières « industrielles » et le mobilier urbain qui les accompagne, ont changé nos perceptions, nos canons esthétiques et l’organisation spatiale de la ville que son paysage social et sensoriel.

Informations pratiques MUMA Le Havre

Les Nuits électriques jusqu’au 1er novembre 2020

Malraux MUMA Le Havre – Musée d’art moderne André
2 boulevard Clemenceau – 76600 Le Havre
Tél. : 02 35 19 62 62

Catalogue de l’exposition (indispensable pour les multiples angles d’analyse)
Auteurs : sous la direction d’Annette Haudiquet et par ordre du catalogue, textes d’Annette Haudiquet, Dominique Kalifa, Michaël Debris, Françoise Reynaud, Hollis Clayson, Valérie Sueur, Christophe Duvivier, Philippe Saunier, Agnès Tartié, Michel Frizot, Itzhak Goldberg et Dominique Rouet
Octopus / MuMa Le Havre, 320 p., 200 illustrations, 29 €

Les films diffusés au Muma

  • La Guerre nocturne‘ d’Alfred Machin 1915
  • Conway Island at night’ d’Edwin S. Porter 1905
  • Fictions autour des réverbères :
    • Les débuts d’un chauffeur, de Georges Hatto, 1906
    • La Valse à la mode, Pathé Frères, 1908
    • Le Raid Paris-Monte-carlo en deux heures, Georges Meliès, 1904
    • L’amant de la lune ou le rêve à la lune, Ferdinand Zecca,  1905

Partager

Articles similaires

Le carnet de lecture de Patricia de Figueiredo : Marion Fayolle, Éric Emieraux, Laurent Wirth

Voir l'article

Al Pacino, Le grand jeu, de Ludovic Girard (GM – Carlotta éditions)

Voir l'article

Sportives! d’Eric Mistler (Kerber éditions- Arènes de Lutèce)

Voir l'article

Cinéma en salles : Le Moine et le Fusil, de Pawo Choyning Dorji

Voir l'article