Les Rencontres de la photographie d’Arles 2024 : Mary Ellen Mark, Sophie Calle et Hans Silvester

En photo, il n’y a pas de bons ou de mauvais sujets. Il n’y a éventuellement que de bons ou de mauvais photographes…à chacun selon son goût, d’en juger ! La variété du thème « Sous la surface » des Rencontres de la photographie d’Arles 2024, jusqu’au 29 septembre résonne de la diversité des angles de vue – politiques ou poétiques – des photographes. De sa pérégrination enchantée au cœur des ruelles historiques de la magnifique ville du sud, Patrice Gree en a retenu trois : Mary Ellen Mark, Rencontres (espace Van Gogh), Sophie Calle Finir en beauté… (Cryptoportiques) et Hans Silvester, Viser juste (Chapelle du Museon Arlaten).

Pas plus qu’il n‘y a de bons ou de mauvais sujets, il n’y a de bons ou de mauvais lieux

Du prestigieux Musée Réattu au gros Monop popu, aucun lieu ordinaire ou remarquable, quotidien ou exceptionnel, n’échappe à l’impérieux désir de montrer le monde, tel qu’il est, effrayant, tragique, beau ou désirable. Et c’est très bien ainsi…
Sans oublier Lucien Clergue, en compagnie de Picasso au Réattu, ainsi que quelques photographes japonais étonnants, trois expos m’ont marqué.

Mary Ellen Mark, Rencontres (espace Van Gogh)

Mary Ellen Mark, Rencontres (espace Van Gogh) Arles Photo Patrice Gree

L’américaine nous saisit par l’intensité de ses images. Les scènes crues, sans nuances ni artifices, ou l’amour malgré les multiples obstacles tente et pousse son chemin dans l’obscène chaos des violences sociales que subissent les laissés pour compte de l’American Way of Life, ont la puissance littéraire des bouquins de Bukowski.

Il y a du désespoir et de la tendresse dans ces photos.

Mary Ellen Mark, Rencontres (espace Van Gogh) Arles Photo Patrice Gree

Et c’est sans doute, au-delà du témoignage journalistique brutal, cet étrange mélange qui en fait leur incroyable force. Mary Ellen Mark presse le jus noir d’une Amérique sombre dans ses marges : asiles psychiatriques, sectes, sans abris, piliers de bars paumés, nostalgiques d’un passé fantasmé, petits délinquants sans avenir…

Sophie Calle, Finir en beauté (Cryptoportiques) Photo Patrice Gree

Sophie Calle, Finir en beauté… (Cryptoportiques)

L’exposition commence par une descente en enfer dans les cryptes humides et sombres de l’Hôtel de Ville…

Sophie Calle nous invite dans les cales de sa mémoire

Où s’entasse pêle-mêle, objets d’enfances, portraits de jeunes aveugles, vieille photo d’un Alain Delon solaire, tee-shirt fatigué, matelas usé, santiags en star solitaire, abandonnées dans un rond de lumière, image pieuse du Christ, carte postale de la Tour Eiffel, le tout sur fond sonore où la voix au ton d’outre-tombe de Calle, nous rapporte des paroles maternelles liées à des souvenirs d’enfance

Sophie Calle, Finir en beauté… (Cryptoportiques) Photo Patrice Gree

Si par sa forme l’installation évoque une visite au cimetière, sur le fond, en lien, c’est une interrogation sur la mort à laquelle nous convie l’artiste !

Que faire des objets accumulés que nous ne pouvons ni donner, ni jeter… Ces multiples objets entassés, témoins parfois de l’amour passé, encombrent nos vies comme la mort à venir, nos pensées… J’ai dans des boîtes à chaussures des traces écrites de l’amour maternel, cartes d’anniversaire, vœux pour la nouvelle année, cartes postales banales de Binic, des Sables d’Olonne, de Saint-Jean-de-Mont :
« Cher Patou, j’espère que tu vas bien ! As-tu encore mal à l’estomac ? Ici aux Sables, il fait très chaud ! Ton père râle. Il ne trouve jamais de place pour garer sa voiture devant la location. Tu le connais, ça lui gâche ses vacances. Il s’inquiète pour ton travail. Donne nous des nouvelles … »
Un jour je serai mort comme ils le sont…Cette inimaginable pensée me traverse l’esprit en relisant ma mère.

Sophie Calle, Finir en beauté… (Cryptoportiques) Photo Patrice Gree

L’amour maternel empruntait le long et tortueux chemin de l’inquiétude. Impossible de jeter ces quatre lignes qui disent quelque chose du lien…
Et ce « 36 ans…Papa et moi on ne réalise pas que tu as déjà 36 ans. Mon Dieu comme le temps passe. Bon anniversaire Patrice ! On t’embrasse fort. Tu descends quand aux Sables ? ».
Que faire de ces cartes-là ? Ni donner, ni jeter… Pour aller plus loin, écouter Sophie Calle, itinéraire d’une infiltrée

C’est ce trou de mémoire que Sophie Calle creuse !

Viser juste pétanque et jeu provençal dans l’objectif de Hans Silvester (Chapelle du Museon Arlaten) Photo Patrice Gree

Viser juste : pétanque et jeu provençal dans l’objectif de Hans Silvester (Chapelle du Museon Arlaten)

D’un naturel timide, complexé, terriblement anxieux, je m’exprime peu en public ! Ce n’est pas que je n’ai rien à dire, sur le monde et mon nombril, bien au contraire, mais modeste, je ne suis jamais très sur que cela pourrait intéresser quelqu’un.

Alors à table entre amis, je suis celui qui tend le micro plutôt que celui qui tient le crachoir !
Cela me permet d’exister un peu, sans jamais prendre aucun risque, ce qui convient parfaitement à ma nature terrifiée, en contradiction douloureuse avec un narcissisme exacerbé.

Viser juste pétanque et jeu provençal dans l’objectif de Hans Silvester (Chapelle du Museon Arlaten) Photo Patrice Gree

Mais, mais il y a un espace dans ma vie où je ne m’efface pas, où au contraire je m’expose debout, seul et en pleine lumière …c’est les boules !

Sur le terrain de pétanque, je suis un Dieu du stade !
L’As du carreau, c’est moi !

Le Léon Marchand du cochonnet, c’est encore moi !

C’est ce qui m’a donné envie de voir cette exposition Viser juste : pétanque et jeu provençal dans l’objectif de Hans Silvester (Chapelle du Museon Arlaten). Allez y, elle est formidable ! Il est rare d’entendre des rires en parcourant les allées d’une expo photo.

Viser juste pétanque et jeu provençal dans l’objectif de Hans Silvester (Chapelle du Museon Arlaten) Photo Patrice Gree

L’œil malicieux du photographe allemand capture ses instants uniques de gloire éphémère, qui pour certain, on le sent, peut justifier une vie entière de labeur et misère.

Celui qui confond terrain de pétanque avec la scène du Palais Garnier, c’est moi !

Celui qui accompagne loin de la main la boule et du regard la pousse avec une précision de géomètre, au cochonnet, c’est encore moi !
C’est bien simple, je suis sur toutes les photos…

Viser juste pétanque et jeu provençal dans l’objectif de Hans Silvester (Chapelle du Museon Arlaten) Photo Patrice Gree

Mais la plus belle, c’est ce cliché d’une main calleuse tenant dans sa paume une boule usée. Clope aux doigts, la boule attend son heure… Cette main-là appartient à l’histoire de nos grands-pères, de nos pères, de nos oncles, de nos vacances en bord de mer, de notre passé, de notre pays…

#Patrice Gree