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Diamantino Quintas : l’ombre lumineuse des photographes
Auteur : Pierre d’Ornano
Article publié le 20 juillet 2019 à 15 h 32 min – Mis à jour le 23 juillet 2019 à 14 h 04 min
Nous sommes à Bagnolet, en Seine-Saint-Denis, au 46 de la rue Jules Ferry, dans les nouveaux locaux de l’Atelier Diamantino Labo Photo. Le maître des lieux, Diamantino Quintas, m’accueille, chaleureux mais avec une certaine retenue, peut-être une certaine gravité, dans une cour couverte claire au fond de laquelle une porte ouvre sur l’atelier de développement. On y pénètre comme dans un sanctuaire. Le silence y règne, dans une légère odeur de bain révélateur et d’acide acétique.
Un maillon essentiel de la chaîne de création artistique
Ici viennent des photographes célèbres, des artistes. Dans les placards de l’atelier des dossiers de photographies s’empilent ; ils portent, inscrits, les noms d’Agnès Varda, Gilles Caron, Thomas Gosset, Estelle Hanania, Nathalie Lescuyer, Andrey Zouari, Clémence Veillan, Charles Malet, Emma Barthere, Rodolphe Ingold, Atsunobu Kohira, Yan Morvan, Marianne Maric, Karen Paulina Biswell, Hanako Murakami, Jean-Philippe Pernot, Frédéric Fontenoy, Alain Bizos, Antonio d’Agata, Houda Kabbaj… Ceux-là apportent des pellicules photosensibles sur lesquelles des photons, non encore révélés, sont comme endormis, piégés par des boîtes à images. Là, dans le noir total, en attente d’une renaissance. Des œuvres, pour certaines, des montages ou des photos d’œuvres qui deviendront elles-mêmes, lorsqu’elles quitteront ce lieu, des réalisations artistiques.
On est au bout d’une chaîne de création, qui plonge pourtant aux origines, consolidant les œuvres et les faisant naître une nouvelle fois de la lumière et du génie de l’artisan tireur (*).
Ce sont les univers, les instants de vie, de création, des captations de moments fugaces qui vont être restitués grâce à la lumière, et à l’expérience, au talent du photographe associé à celui de Diamantino Quintas. Le premier capte la vie, le second va accompagner sa restitution, la faire renaître en interférant dans le processus de conversion des rayons lumineux en une image visible par l’œil humain, mais sur transport de l’émotion et de la vie.
(*) Le tirage photographique s’intègre dans le processus de restitution d’une image à partir d’une pellicule développée. Il consiste en un transfert de cette image sur du papier et son agrandissement. Il existe également le ‘tirage contact’, une opération photographique à partir de laquelle on obtient, sur un papier photosensible, une version positive d’un négatif. Comme son nom l’indique, le ‘tirage contact’ se fait par contact direct du négatif et du papier photographique, sans agrandisseur, en projetant de la lumière.
Précisons que de nombreux photographes tiraient et tirent eux-mêmes leurs photographies sur papier. Ils font tout de même parfois appel à des laboratoires pour réaliser de grands formats, qui nécessitent de volumineux agrandisseurs et de l’espace.
Les photographes Henri Cartier-Bresson, Marc Riboud, William Klein faisaient ainsi systématiquement tirer en argentique leurs négatifs par des laboratoires professionnels. Ils avaient cependant, le plus souvent, un tireur dédié. D’autres comme Irving Penn, Man Ray, Jeanloup Sieff, Ansel Adams, Pentti Sammallahti, ou encore Edward Weston, pour ne citer qu’eux, faisaient leurs propres tirages.
De la relation photographe / tireur
« Certains photographes viennent avec un cadre de travail très précis, précise Diamantino, c’est notamment le cas de Sara Imloul ou Rieko Tamura. Là il n’y a pas tellement de place pour une autre interprétation que la leur du rendu, de l’atmosphère qu’elles veulent laisser transparaître dans leurs photographies, même si parfois j’essaie de proposer d’autres choses. D’autres photographes me laissent pratiquement toute liberté. Ils posent un état d’esprit, un sentiment, une émotion et je propose des « écritures » différentes. Selon le sujet les papiers peuvent différer, on peut réaliser des tirages avec plus ou moins de profondeur, de clarté, jouer sur les clairs obscurs. C’est un métier très exigeant, il faut donc cette part de liberté et de créativité. »
L’argentique, un espace de liberté à explorer…
Diamantino Labo Photo est aujourd’hui le seul atelier qui travaille exclusivement en argentique (*) (noir et blanc et couleur), et qui pousse le plus loin possible l’exploration de cet univers, qui offre une grande liberté de création. « C’est la philosophie de notre laboratoire et la raison pour laquelle j’ai toujours rêvé de créer un labo, pour la liberté. Si j’avais été seulement dans une démarche de business, j’aurais fait autre chose », déclare Diamantino, pour qui cette liberté va de pair avec la transmission du savoir.
… et à transmettre
« Je cherche plus particulièrement des jeunes qui ont des qualités humaines, de la sensibilité, qui aiment le travail manuel et d’atelier. Je privilégie même des étudiants qui n’ont aucune connaissance en photographie, car ils ont une certaine innocence ; car lorsqu’on tire, on réalise un travail très personnel. Je préfère ainsi des personnes ‘vierges de toute influence’, qui n’essaient pas de reproduire du Jeanloup Sieff ou autre. Je ne souhaite pas non plus qu’ils aient d’autres objectifs, ou qu’ils rêvent de devenir photographe, car tireur/filtreur est un vrai métier, qui demande une implication totale. Pour ma part, je leur apporte les connaissances techniques. »
(*) L’atelier travaille aussi d’après des images numériques qui sont transformées en négatifs, puis tirées à l’agrandisseur. Un procédé très ancien, apparu dans les années 1980 lorsque sont arrivées les palettes graphiques, surtout pour les affiches, avec des images et des textes superposés, ce qui a apporté de la précision. Auparavant, chaque image était produite avec un négatif. Il fallait ainsi en tirer plusieurs, avec des pellicules de marques et de dimensions différentes, des Ektas (diapositives), des films Kodak 24×36, des 6×6 etc…
Ce que ne dit pas le tireur, c’est que son travail, au-delà de sa consistance artisanale, devient un art qui se crée, se constitue par le temps de l’expérience. Lorsque, au-delà de la technique, la maîtrise, donc l’œil, la sensibilité de l’artisan ne rencontre plus aucun obstacle pour retranscrire sur le papier l’émotion, le trouble de l’instant saisi, d’une atmosphère voulue par la/le photographe, transmise dans l’image.
Parcours d’un artisan, construit sur le tas
D’origine portugaise, Diamantino Quintas est arrivé en France en 1983, à l’âge de 23 ans. Sa compétence résulte de 36 années d’expérience, débutées dans son village natal où il est très vite en contact avec des artisans. « Très jeune, l’été, pendant les vacances, au Portugal, au lieu de traîner, j’ai travaillé chez des artisans, l’ébéniste du village, ou encore le couturier qui me faisait recoudre des boutons. » se souvient-il. Pendant son service militaire il est en contact avec le service photos des armées, sans que germe encore une vocation, puis avec un laboratoire d’amateurs. S’enclenche ensuite une formation sur le tas, en apprentissage, au sein d’un laboratoire qui faisaient de la photo d’identité, de classes d’écoles, de mariages. Il y restera un an. « C’était une très bonne école, il fallait débiter manuellement des centaines de films le samedi soir, puis les développer rapidement pour qu’ils repartent sur les lieux, vers les clients, pour qu’ils les voient. » Deux ans après il intègre le laboratoire professionnel Graphicolor, rue des Petites Ecuries dans le 10ème arrondissement de Paris. Au bout de 6 années, et « après avoir fait le tour de la question » précise-t-il, il rejoint le l’Atelier Publimod, 26 Rue de Sévigné à Paris, qui ne travaillait qu’avec des photographes professionnels. « C’était un autre niveau. Mais, malgré la qualité du travail, je ne suis resté que 2 ans car ça ne payait pas assez. » Il intègre alors l’agence de presse Gamma (trois ans), puis Sipa-Press (10 ans) pour enfin créer Diamantino Labo Photo, il y a 10 ans.
« Aujourd’hui je forme des jeunes. J’ai depuis 2 ans un apprenti qui a fait une école de photographie. Mais, aujourd’hui, dans la plupart des écoles de photographies on n’apprend pas le laboratoire, ou seulement des rudiments. »Diamantino Quintas, au lieu de se contenter d’un plus petit atelier, et de travailler seul, ce qui serait plus rentable, sachant qu’il travaille parfois à perte – car il faut certaines fois recommencer 50 fois le tirage – a choisi d’investir (300 000 euros) dans de nouveaux locaux, de prendre des stagiaires et de former des apprentis pour créer une nouvelle génération de tireurs-filtreurs. L’atelier compte aujourd’hui 4 salariés et 2 stagiaires.
« Cela n’a pas été facile, j’ai failli abandonner ce métier à l’époque où les labos faisaient essentiellement du commercial, avec des centaines de tirages pour des sociétés de cosmétiques, de parfumerie ou autre, qu’on mettait dans des catalogues et qui nécessitaient une technique sommaire. En fait le numérique m’a permis de rester dans ce métier et de faire le métier qui m’a toujours passionné, en travaillant exclusivement pour des photographes professionnels ou des amateurs avertis, des plasticiens, artistes, notamment par l’intermédiaire de musées et de galeries. »
Numérique vs Argentique, selon Diamantino
L’argentique revient, mais qu’est-ce que ça apporte par rapport au numérique en termes de qualité photographique ?
A cette question Diamantino répond par une autre : « Pourquoi continue-t-on à aller au restaurant, chez un tailleur, un chausseur ? Pourquoi aller acheter des meubles conçus et fabriqués par un ébéniste ? La première chose, indéniable, est que chaque tirage que nous faisons est unique, le retirage affiche toujours des différences. Ensuite, un tirage est imprégné de l’état psychologique et affectif du moment, tant pour le photographe que pour le tireur. Cela signifie que si l’on décidait de faire le travail d’aujourd’hui une semaine plus tard, le résultat ressortirait différent. Aborder le tirage d’une photo dans un état mélancolique modifie en conséquence la perception que l’on peut en avoir. Si je me sens un peu plus léger la photo sortira probablement plus évanescente. » La dimension humaine se diffuse donc et s’imprègne sur la surface photosensible, entre ombre et lumière.
Pour Diamantino, le numérique n’a donc rien apporté en tant que photographie et c’est la même chose pour la couleur ou pour le noir et blanc … « En tant qu’image, bien sûr, il permet d’obtenir de la très grande définition, la possibilité de changer spontanément des choses et de shooter presqu’indéfiniment. », ajoute-t-il, mais « dans le numérique il n’y a pas de matière vivante, c’est un robot qui fait le travail. » … « Quelles similitudes entre la peau humaine et une statue en cire ? Avec de la cire vous ne pourrez jamais imiter la peau. A certain endroit, selon la lumière ou notre transpiration, notre peau brille. »
Et d’ajouter : « Après un premier travail, il m’arrive, parfois six mois après, de proposer à un/e photographe quelque chose d’un peu différent. Parce-que, entre-temps, j’ai pris confiance par rapport à une photo et que j’ai envie d’aller plus loin, de creuser d’autres aspects. Dans le numérique, c’est une machine qui fait le tirage. L’objectif recherché est que les photos soient parfaitement, scientifiquement, absolument identiques, qu’elles reproduisent les mêmes valeurs. On produit alors des clones. »
Histoire d’une quasi-disparition avortée
La prise de vue photographique est au départ l’affaire du/de la photographe. Le développement et le tirage sur papier s’intègrent dans une chaîne spécifique. Le concurrent le plus sérieux du tirage argentique est l’imprimante. Pour faire des négatifs en argentique, des ‘shoots’, il faut une chaîne avec des machines de développement qui nécessitent chaque matin des calibrations, des opérations de chimie etc. Or, avec l’imprimante qui fait tout ça en une opération, les laboratoires n’avaient plus besoin de cette chaîne qui demandait du personnel, prenait beaucoup d’espace avec des coûts d’exploitation en conséquence. Les photographes venaient dans les laboratoires avec leurs négatifs qui étaient scannés au prix fort, et les imprimantes tiraient au kilomètre.
Les ateliers sont ainsi progressivement passés de l’argentique au numérique qui s’est imposé, non pas parce que les photographes ne voulaient plus de l’argentique, mais parce qu’il n’y avait plus de laboratoires équipés pour ce type de travail. Avec leur disparition progressive, les constructeurs se sont aussi adaptés en sortant des appareils photographiques numériques (APN). Ces boîtiers recueillent la lumière sur des capteurs électroniques et la transforment, la codent numériquement. Le 1er modèle d’appareil photo électronique a été conçu en 1976 par Steven Sasson, un ingénieur américain de la société Kodak.
Tout savoir sur l’argentique (lectures)
46, rue Jules Ferry, 93170 Bagnolet
Livres
-‘La Photo’
Chenz et Jeanloup Sieff – Collection Connaissance & Technique, éditions Denoël
326 pages, paru en 1985
Un grand classique, aussi…
46, rue Jules Ferry, 93170 Bagnolet
Livres
-‘La Photo’
Chenz et Jeanloup Sieff – Collection Connaissance & Technique, éditions Denoël
326 pages, paru en 1985
Un grand classique, aussi désopilant, corrosif que technique et didactique.
– ‘Les secrets de la photo argentique’
Démarche – Matériel – Développement – Tirage
Gildas Lepetit-Castel – Collection Secrets de photographes, éditions Eyrolles
240 pages, parution le 27/10/2016 : 24 €
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Fausse idée sur le coût de l’argentique
On dit que l’argentique est cher. C’est une fausse idée. On prend d’abord beaucoup plus de soin à réaliser un cliché lorsque l’on a un potentiel de photos limité, il faut donc plus de patience et un certain professionnalisme. Mais il est reconnu que sur les 36 shoots pris sur une pellicule, les pertes (mauvaises photos) sont bien moindres qu’en numérique pour un nombre ‘incommensurablement’ plus important de prises.
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