Comment ça va pas ?, de Delphine Horvilleur (Grasset)

La nuit du 7 octobre 2023 eut la violence d’une voiture qui, à toute allure, s’écrase contre un mur ! Sept millions d’Israéliens étaient dans cette voiture : 1 300 morts… Les survivants sont tous blessés. C’est de cette blessure que Delphine Horvilleur parle dans son dernier livre, Comment ça va pas ? (Grasset). Et de l’incroyable difficulté à trouver les mots justes pour éviter tous les terribles pièges des haines dévastatrices et de l’effrayant engrenage meurtrier redouté et prévisible. Après Il n’y a pas de Ajar, Patrice Gree ne cache pas son admiration pour cette « femme rabbin laïque » qui a l’oreille des incroyants et la belle intelligence du cœur ! 

Les mots justes pour dire la colère et l’angoisse, le chagrin et la pitié. Le chagrin et la pitié pour tous, par-delà les frontières.

Plus que par la force, même si à un moment elle était nécessaire, c’est par notre capacité, à nous identifier à l’autre qu’une solution de paix durable, surtout durable, pourra être envisageable ! Par-delà les analyses géopolitiques, la légitimité de la défense et l’effroi de la riposte,  au regard des identifications primaires à l’un ou l’autre camp et des haines qu’elles provoquent, le chemin à parcourir est encore très long ! C’est ce chemin que tente de débroussailler avec courage ce « petit traité de survie ».

Delphine Horvilleur ne dort plus. La nuit du 7 octobre s’est introduit dans les siennes paisibles, et les a fait exploser. Sur le cadran de son réveil numérique, elle regarde les heures passer…  2h16, 3h42, 5h24 ! Dans son livre «  Comment ça va pas ?, Conversations après le 7 octobre » édité par Grasset, elle ne parle pas directement du massacre ! Elle parle d’autre chose pour le dire et tenter de le comprendre. Elle parle toujours d’autre chose pour finalement dire l’essentiel.

Elle parle du mot juif qu’elle entend partout depuis cette maudite nuit, et qui enferme comme le disait si bien Albert Cohen dans «  ô vous frères humains ».

Elle témoigne des confidences qui lui sont faites de cette peur d’être juif ! Celui qui n’est pas héritier de cette peur ne peut comprendre ni ce qu’elle convoque, ni ce qu’elle provoque ! Elle parle de et à son grand-père mort et grammairien, taiseux, protégé par des justes durant la guerre,  de et à sa grand-mère morte et tragique, traversant l’enfer à la même période. Elle parle du silence épais aussi !

Delphine Horvilleur ne fait pas parler les morts elle les écoute et leur parle ! Elle parle de ses enfants si vivants, au milieu de ce chaos, de Claude François, ce chanteur à paillettes et minettes, grand industriel du tube de variétoche, dont elle choisit trois chansons pour illustrer l’antisémitisme qui « s’en va et qui revient, qui est fait de tout petits riens » et puis deux ou trois blagues juives hilarantes pour illustrer la tragédie du monde ! Elle parle de ses cours de boxe.

J’aime énormément Delphine Horvilleur, femme rabbin laïque, comme elle se définit, qui combat tous les intégrismes religieux meurtriers, les replis identitaires mortifères, qui a l’oreille des incroyants et la belle intelligence du cœur ! 

Le livre commence par un texte du poète palestinien Mahmoud Darwich

Quand tu penses aux autres au loin, pense à toi.
(Dis moi : si seulement je pouvais être une bougie dans le noir

et finit par un texte du poète israélien Yehuda Amichaï
Entre les deux, des milliers de morts et une femme rare, courageuse et qui parle juste !

Patrice Gree