Littérature : Ivo et Jorge, de Patrick Rotman (Grasset)
Ce que j’aimais chez Yves Montand, c’était…Simone Signoret !
Son plus grand rôle, et sans doute le plus difficile, fut celui de l’épouse amoureuse d’un homme volage. Trahie, Simone Signoret tint dans ce scénario banal à pleurer le rôle de la femme digne avec une classe qui en imposait. Ses yeux mauves maintenant à distance toutes tentatives de plaintes collantes. L’exposition fut mondiale, l’effondrement, intime et silencieux. De Casque d’or à Madame Rosa, cette femme intelligente, magnifique, sensible et de caractère m’a toujours impressionné.
Mais, il n’est pas question d’elle dans le livre de Patrick Rotman.
“ Ivo et Jorge “, c’est l’histoire en parallèle d’une amitié forte entre deux hommes que tout aurait dû opposer… Le prolo et l’aristo. L’artiste et l’intellectuel. L’austère espagnol et l’italien fanfaron.
Mais la politique a réuni ici, ceux que l’origine sociale, habituellement, sépare. Romancier, historien et documentaliste, Patrick Rotman, par une série de flash-backs, de souvenirs racontés par l’un ou l’autre au cours de balades sur les lieux des événements de ce XXe siècle sanglant, utilise le procédé habile du documentaire pour pousser son histoire.
Et le film se déroule au fil des pages…
Semprun, 20 ans en 43, se prend la guerre dans la gueule et, qui va avec, la mort en face ! Résistant, arrêté, torturé, déporté, il survivra, grâce à une organisation communiste interne à l’enfer de Buchenwald.
Montand pendant ce temps-là, fait des claquettes dans des petits théâtres marseillais… L’un est porté par des désirs de scène, l’autre déporté pour ses convictions. Fin de la guerre… Sans peur, Semprun rentre dans la clandestinité au service du PC espagnol, tandis que Montand monte au firmament.
L’un dans la lumière veut se faire un nom, dans l’ombre, l’autre efface le sien …
Tout les éloigne ! Deux faits pourtant les réuniront en scellant leur belle amitié : l’engagement sans failles pour l’idéologie communiste dans les années 50 suivis de leur rupture violente et douloureuse avec celle-ci à la fin des années 60. La fidélité à une cause, qui pour Semprun, avait pris le sens de toute une vie, aveuglait sur les réalités tragiques de celle-ci. La rupture est un accouchement dans la douleur…
Et c’est dans le détail de cette rupture que le livre de Rotman prend toute sa force. C’est en creux l’histoire de toute une génération d’hommes et de femmes engagés… du côté de ce qu’ils croyaient être la justice.
La vérité en sera le deuil !