Culture

Littérature : Les Partisans, Kessel et Druon, une histoire de famille, de Dominique Bona (Gallimard éd.)

Auteur : Thierry Dussard
Article publié le 28 juin 2023

En vacances, il est plaisant de se plonger dans d’autres vies que la sienne. Autrice d’une quinzaine de biographies, où l’on compte plus de femmes (de Jacqueline de Ribes à Gala Dali) que d’hommes (de Roman Gary à Stefan Sweig), l’Académicienne Dominique Bona s’y connaît. Son dernier livre, Les Partisans, Joseph Kessel et Maurice Druon, une histoire de famille (Gallimard éd.) consacré à deux grands fauves de l’écriture, est pour Thierry Dussard un régal qui se dévore et se déguste avec plaisir.

Au tableau de chasse de Dominique Bona

Ce sont deux chapiteaux, corinthien pour Kessel, dorique pour Druon, d’un temple dédié à la littérature. Dominique Bona le visite avec une élégance de vestale dans une biographie hyper documentée, au style alerte et séduisant. Joseph Kessel et Maurice Druon, l’oncle et le neveu, deviennent frères de lettres sous sa plume. A Londres en 1943, les deux hommes écrivent le Chant des partisans, l’hymne de la résistance, d’où le titre de cette bio intitulée Les Partisans.

Orfèvre des vies romanesques

Plus qu’une histoire de famille, c’est une plongée dans l’Histoire et sa période la plus noire à laquelle nous invite cette orfèvre des vies romanesques.

Je montre que choisir la France libre n’était alors pas évident, Kessel hésite d’ailleurs longtemps.
Dominique Bona

Et Saint-Exupéry, pour s’en tenir aux aviateurs, choisira New York, au lieu de Londres, et ralliera Giraud plus que De Gaulle.
Et vous, quel chemin auriez-vous pris ?

Dominique Bona, orfèvre des vies romanesques Photo Thierry Dussard

Jouir du présent

Kessel et Druon avaient vingt ans de différence, et n’ont pas eu le même parcours. Enfance heureuse pour le premier, malheureuse pour le second aux cheveux poils de carotte. Pourtant, « Kessel est habité de démons qui remontent loin dans le passé, et Druon veut jouir du présent », remarque Bona qui entame son récit par une nuit sans étoiles de décembre 1942, au cours de laquelle les deux hommes passent clandestinement en Espagne.

Une femme et deux hommes

Deux hommes et une femme, Germaine Sablon, chanteuse à succès qui a quitté la chaude atmosphère enfumée des cabarets pour les risques d’une guerre mondiale. Elle est la maîtresse de Kessel, et devient ambulancière au cours de la campagne d’Alsace. A la Libération, elle retrouvera une vie en chansons au côté de Joséphine Baker avant de disparaître, remplacée par d’autres amours dans la vie de l’écrivain, et d’autres vedettes sur les planches parisiennes.

La méthode Kessel

Ce n’est donc pas une bio à deux voix, mais à trois, que tisse avec talent Dominique Bona. Les projecteurs sont cependant braqués sur l’auteur du Lion et celui des Rois maudits. Elle décrypte le système Kessel, qui décline chaque thème en commençant par le reportage, pour se prolonger dans un livre, avant de finir en film. Brûlant parfois les étapes, « Jef » conçoit en Afghanistan Les Cavaliers comme un scénario, avant d’en écrire un livre légendaire qui triomphera en 1971 au cinéma avec Omar Sharif.

En Bentley au quai Conti

Là où le vieux lion reste un solitaire, aimant marauder sur tous les continents, la panthère Druon fait figure d’écrivain de salon, entouré d’une équipe de documentalistes qui ratissent faits et anecdotes pour son « usine à rois de France », écrit Bona. Maurice aime les femmes aux noms qui claquent, mais après s’être lié à Edmonde Charles Roux, il épousera sa secrétaire. Le jeune compagnon de route du Parti communiste – un choix de conformiste à la Libération – entrera vingt ans plus tard à l’Académie française en Bentley.

Un vrai délice d’initiés

Joseph Kessel y a été élu auparavant, en 1962, et le destin de ces deux hommes-fleuves converge sous la coupole, où Dominique Bona siège elle-même depuis 2013, au fauteuil 33. Son livre est un véritable délice d’initiés, et elle nous fait partager sa connaissance des grands hommes verts, où les femmes sont admises depuis Marguerite Yourcenar, en 1980. « Je dois personnellement beaucoup à Colette, c’est une libératrice », confie Bona, qui a « grandi dans un cocon ». Cette charmante chenille est devenue papillon grâce aux autres. Elle écrit bio, comme d’autres mangent bio.

Epouse fidèle et mère dévouée

Son tableau de chasse de biographe avait commencé en fanfare par Romain Gary, « quatre années de galère » se souvient-elle. Mais la lecture des Racines du ciel et d’Education européenne lui ont appris à vivre et donné des ailes. Après Les Vies extraordinaires des sœurs Heredia, c’est un roman, Malika, qui lui vaut le prix Interallié en 1992. Dominique Bona se confronte ensuite à Gala, muse d’Eluard et de Dali, et se mesure ensuite au prince des biographes Stefan Zweig. Puis retrouve la terre ferme avec la peintre Berthe Morisot, « native du Capricorne, épouse fidèle, mère dévouée », saluée par le Goncourt de la biographie en 2000.

Magie des destins individuels

Se gardant de toute ferveur et cultivant la lucidité, Dominique Bona s’affirme en championne de la bio bienveillante, se plongeant dans les archives, sans recourir à des aides extérieures, tenant à visiter les maisons de ses personnages. « Les lieux parlent », note-t-elle, privilégiant « la magie des destins individuels », plus que les parcours politiques d’un Pierre Assouline, l’autre athlète du portrait littéraire.

Secrets d’atelier

Bona est attirée par les rebelles et les vies à double foyer, celle de Deux sœurs, Yvonne et Christine Rouart, les muses de l’impressionnisme, et son art des regards croisés excelle avec Les Partisans.
Sous Kessel et Druon, on retrouvera ainsi l’itnéraire semé de fausses pistes de Romain Gary, trois Juifs hantés par l’introspection. Tous et toutes « ont fini par former une chaîne et se donner la main », écrit-elle dans Mes Vies secrètes (Folio), savoureuse lecture qui révèle ses secrets d’atelier.

Ecrire, c’est une forme de protestation, et revendiquer une liberté.
Dominique Bona

Ecrire, c’est revendiquer une liberté

Née dans une famille classique, et mariée depuis cinquante ans, la fille de l’historien Arthur Conte confesse « un cœur qui bat du côté de la révolte », affirme-t-elle en femme passionnée. « Mais je sais que la passion est la mère du danger ». Bon été !

#Thierry Dussard

Pour aller plus loin avec Dominique Bona

Bibliographie de biographies sélective :

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