Culture
Marck Leckey, As above so below (Lafayette Anticipations)
En présentant « As above so below”, la première rétrospective parisienne de l’ex-raveur et plasticien britannique, lauréat du Turner Prize 2008, Lafayette Anticipations brasse une vingtaine d’œuvres de Mark Leckey qui revendique un rapport empathique à l’objet débarrassé de la médiation du langage. L’extase, qui l’accompagne invite à nous « laisser porter par cette instabilité des images ».
A l’heure où le numérique a balayé l’analogique pour une ultra connection abreuvée d’images, le déconditionnement du regard engagé par le vidéaste nourrit pour Baptiste Le Guay, une réflexion décomplexée plutot pertinente sur notre consommation numérique.

Everywhere, eyeballs are aflame, 2025, photo Baptiste Le Guay
Premiere rétrospective parisienne
L’artiste Britannique Mark Leckey déploie une exposition autour d’un état humain les plus puissants : l’extase, cette euphorie qui transporte hors de soi. Ses œuvres reviennent sur des rencontres et des expériences hors du commun vécues par l’artiste, lors desquelles l’intensité des émotions ressenties étaient telles qu’il en fût désorienté.
Le titre As above so below est emprunté par la Table d’émeraude, texte fondateur de l’art alchimique occidental, où nous trouvons une trace entre le VII et IXème siècle.
Référence à l’alchimie
Cette expression suggère une relation permanente entre le cosmos et le monde terrestre, entre l’inerte et l’animé, le visible et l’invisible. Mark Leckey cherche à sublimer le quotidien de ses œuvres montrant comment la musique, la danse ou la ville (un pont, un arrêt de bus, des publicités ou un parc d’attraction) peuvent être des supports à des expériences extraordinaires, à la manière de portails donnant sur d’autres espaces.

Mark Leckey, Nobodaddy, 2018, photo Baptiste Le Guay
Nobodaddy
La sculpture est une version agrandie d’une statuette provenant de la Wellcome Collection de Londres. Combinant les mots anglais « nobody » (personne) et « daddy » (père), est une expression empruntée au poète anglais William Blake (1757-1827), qui a imaginé ce nom pour tourner en dérision l’autorité du dieu chrétien.
Le corps de la statue est criblé de trous dans lesquels se trouve des enceintes où Mark Leckey diffuse une bande son où il a déformé sa voix.
« J’ai rempli ces trous avec des enceintes pour deux raisons : tout d’abord, je voulais qu’il devienne une poupée ventriloque géante à travers laquelle je pourrais parler. L’autre raison, c’est que je voulais qu’il soit immergé dans le son, que le son entre en vous »
Mercy I cry city, 2024
A travers une fente qui rappelle celle des églises, la vidéo nous plonge dans une cité médiévale dépeuplée. Reconstituée à partir d’images de synthèse, cette ville offre la vision futuriste d’une période caduque. L’œuvre est inspirée de la toile Une ville au bord de la mer du peintre italien Sasetta (1392-1450).

Mark Leckey, Mercy I cry city, 2024, photo Baptiste Le Guay
Avant l’invention de la perspective, les artistes du Moyen-âge fusionnent plusieurs points de vue dans un tableau afin de représenter un monde en trois dimensions. Un procédé intéressant Leckey qui lui rappelle le torrent d’images généré par l’intelligence artificielle de nos jours. Mercy I cry city présente une cité suspendue dans la période médiévale et notre monde numérique, créant un espace intermédiaire entre le moment révolu et celui à venir.

Mark Leckey, Dazzleddark, photo Baptiste Le Guay
Dazzleddark, l’ambiance si particulière des parcs d’attraction
Cette vidéo est tournée à Margate, ville côtière de l’est de l’Angleterre, réputée pour son parc d’attraction Dreamland depuis le XIXème siècle. Un face à face se joue entre une mer et un parc d’attraction avec ses lumières colorées.
Avec Dazzleddark, Leckey reconstitue le souvenir d’enfance de ses sorties à la fête foraine. Des néons vifs clignotent tour à tour et les manèges en rotation fabrique une vision hallucinée où l’émerveillement valse avec l’angoisse.
Cette expérience sensorielle et visuelle oscille entre euphorie et vertige, comme lorsque nous faisons des montagnes russes.

Mark Leckey, 2 TERRIFYING, 2 FASCINATING… 2 Much ! , 2025, photo Baptiste Le Guay
2 TERRIFYING, 2 FASCINATING… 2 Much !, 2025
Reproduisant le tableau “Huyendo de la critica (fuyant la critique) réalisé en 1874 par Père Borrell del Caso (1835-1910). Un trompe l’œil jouant avec la perception du visiteur en interrogeant la frontière entre représentation et réalité, avec le personnage sortant du cadre de son tableau.
Fiorucci made me Hardcore, 1999
En fin de parcours, retour aux sources des contre-cultures ! Cette œuvre marque l’entrée de Marck Leckey sur la scène artistique au début des années 2000. Cette vidéo met en scène des groupes issus des contre-cultures britanniques des années 1970 à 1990. En compilant des cassettes VHS de concerts, de soirées et d’archives, l’artiste réalise un acte anticipant la profusion des contenus vidéos diffusées sur internet aujourd’hui.
Les corps se libèrent, traversés par une force qui semble plus grande qu’eux.
Une jeunesse exaltée danse et bouge, dans les raves party où se mélangent des danseurs de Northern Soul et des membres des Casuals, mélangeant l’esprit hooligan du football et la mode des créateurs italiens et français. Des années marquées par l’arrivé du Punk anglais, suite à une politique austère menée par Margaret Thatcher (1979-1990), conduisant à une hausse du chômage et laissant les plus vulnérables sur le carreau.
Dream English kid 1964-1999, 2015
Last but not least, dans cette vidéo autobiographique Mark Leckey retrace les souvenirs de sa jeunesse, depuis sa
naissance en 1964 jusqu’à la fin des années 1990. Il y combine des fragments d’archives trouvées sur internet à des images de synthèse. Il interroge l’authenticité de leurs souvenirs alimentés, voire créés par les images qui les
entourent.
Le passage à l’ère digitale a transformé notre rapport à la mémoire, désormais externalisée, anonymisée et diffusée dans de larges banques d’images.
L’empathie, un rapport à l’objet débarrassé de la médiation du langage
» Lorsque Mark Leckey déclare avoir « un rapport direct et empathique » aux objets, rapport qui ne passe donc pas par l’intermédiaire d’un langage humain, il retrouve les accents de Cézanne, de Giacometti, ou, plus loin dans le temps, du grand peintre chinois Shitao, qui cherchaient à pénétrer les structures secrètes du visible en travaillant à déconditionner leur regard… »
Nicolas Bourriaud, Vers une esthétique inclusive, PUF 2021
Auteur de l'article

Pour suivre Lafayette Anticipations
jusqu’au 20 juillet 2025, « As above so below » de Mark Leckey, Lafayette Anticipations 9 rue du plâtre, Paris 4 – métro Hôtel de ville, ligne 1
ouvert du mercredi au dimanche de 11 à 19h. Entrée gratuite, durée de visite : 45 minutes.
La chaîne youtube de Marck Leckey
Catalogue, sous la direction de Mark Leckey, avec Elsa Coustou, Henry Bruce Jones, Isobel Harbison, Simon Critchley Sheena Patel, 176 p., 35€
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