Culture
Mathurin Méheut, arpenteur de la Bretagne (Musée de Pont Aven)
Auteur : Thierry Dussard
Article publié le 11 décembre 2022
La magnifique exposition Mathurin Méheut, arpenteur de la Bretagne au Musée de Pont-Aven jusqu’au 31 décembre, et la réouverture du Musée Méheut de Lamballe-Amor avec une exposition Paquebots à la croisée des arts décoratifs (jusqu’au 3 janvier 23) constituent une double invitation pour redécouvrir un artiste inclassable et polyvalent. Avec une force granitique et une énergie océane, le peintre, décorateur, illustrateur, céramiste et sculpteur a traversé son époque et la Bretagne en y laissant une empreinte unique.
Magie du peintre Mathurin Méheut
Peintre extraordinaire, Mathurin Méheut (1882-1958) l’est à plus d’un titre. Son style, d’abord, le situe à contre-courant des avant-gardes de son époque qui s’aventurent dans l’abstraction et le cubisme, au seuil du XXe siècle. Il s’inscrit cependant dans « une modernité qui n’est pas déroutante, et qui réside surtout dans ses angles et ses points de vue », souligne Denis-Michel Boëll, le commissaire de l’exposition et du catalogue de Pont-Aven. Même plus tard, nommé Peintre officiel de la Marine en 1921, il n’embarquera sur aucun navire de la Royale, et refusera de prendre la tête du mouvement Seiz Breur, lorsque l’art déco souffle sur la Bretagne.
Un quasi jumeau de Picasso
Cinquante ans après Le Talisman de Paul Sérusier (1864 – 1927), peint sous l’autorité de Paul Gauguin, ouvrant la voie aux Nabis, Méheut pratique en solitaire un art résolument réaliste et figuratif. Ce quasi jumeau de Picasso (ils ont un an de différence), ne se contente pas pour autant d’une Armorique de carte postale. Peu de paysages sans sihouettes ni personnages, encore moins de visages ou de portraits, c’est la Bretagne tellurique au travail qui l’intéresse. Et celle qui trime à bord des chaloupes dans toute sa rudesse. Seuls fendeurs d’ardoise, sabotiers, ou tanneurs et potiers de Lamballe, sa ville natale, trouvent grâce à ses yeux, pendant que d’autres artistes font la fête à Montparnasse.
Flore et faune marine palpitent
Après les Beaux-Arts de Rennes, il s’est toutefois installé à Paris et entre aux Arts Déco, mais repart aussitôt à Roscoff pour réaliser une gigantesque Etude de la mer. Flore et faune marine palpitent dans ces pages sublimes, avant que la guerre de 14 n’éclate. Il y participe dans les tranchées comme les autres, en usant plus de la plume que de la baïonnette. Un long séjour à Penmarc’h le purge ensuite de l’horreur, et le retrempe dans ce Finistère préservé des morsures de la modernité. Voiliers à Camaret, pêcheurs de Sieck, naufrage à l’île de Batz, ou pardon de Penhors… les dessins et les tableaux exposés à Pont-Aven donnent une idée de son immense virtuosité.
Méheut excelle à la gouache
Méheut a retenu de l’enseignement d’Eugène Grasset, le théoricien de l’art nouveau, qu’il n’est « pas d’art majeur, et que toutes les applications artistiques sont dignes d’intérêt ». Il excelle à la gouache, son médium favori, passe du crayon à l’aquarelle, et privilégie la peinture à la caséine (à base de lait) au lieu de l’huile. Comme s’il accordait le choix de ses techniques à la simplicité rustique de ses sujets. Ilustrateur, du Raboliot de Genevoix ou du Pêcheur d’Islande de Loti, et graveur, sur bois ou sur linoléum, rien n’arrête son trait qui submerge ses carnets de croquis et déborde dans sa correspondance. Il pratique même la céramique, avec la faïencerie Henriot de Quimper, ainsi qu’à la manufacture de Sèvres.
Chemins escarpés de l’imaginaire
Certains pourraient lui reprocher d’être resté au ras du réel, et de ne s’être guère aventuré sur les chemins plus escarpés de l’imaginaire. Ce serait oublier cette céramique de Sirène, et cette gouache de Femmes pagures lovées dans des coquilles de bernards-l’hermite, ou bien encore cette licorne dans une lettre à son élève et sa grande amie Yvonne Jean-Haffen. Licorne que l’on retrouvera dans les décors du Georges Philippar, l’un des neuf paquebots avec le Normandie qui ont pu se prévaloir d’œuvres signées de son monogramme au double M.
L’empreinte de Mathurin Méheut, entre Lucien Simon et Marin-Marie, s’est ainsi imprimée durablement dans l’histoire de la peinture de mer. Mais c’est aujourd’hui le seul à avoir un musée à son nom, à Lamballe, qui témoigne de son rayonnement et de sa postérité.
#Thierry Dussard
Pour mieux connaître Mathurin Méheut
- Jusqu’au 31 déc. Musée de Pont-Aven, Place Julia, 29930 Pont-Aven
- Catalogue. sous la direction de Denis-Michel Boëll et Sophie Kervran, Edition Faton. 208 p. 29€
- jusqu’au 3 janvier 23, Paquebots à la croisée des arts décoratifs. Musée Mathurin Méheut, 15 place du champ de foire, 22400 Lamballe-Armor : Entre 1923 et 1950, Méheut réalise des travaux de décors et d’illustrations pour les deux grandes compagnies maritimes françaises : les Messageries maritimes et la Compagnie générale transatlantique (la Transat ou French Line). Du tableau mobile au panneau de décor intégré dans l’architecture, en passant par le carton de mosaïque ou de tapis, Méheut répond à toutes sortes de commandes. En tout, il réalise une centaine de panneaux de format et de sujet très variés. Ses œuvres embarquées pour la plupart disparues sont révélées à travers les photographies, croquis et autres études disponibles.
A lire
- Mathurin Méheut, itinéraires, de Denis-Michel Boëll, éd. Locus Solus, 48 p. 12,90 €
- Mathurin Méheut, impressions gravées, éd. Locus Solus, 110 p. 20 €
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