Voyages
Mont-Saint-Michel : “J’ai traversé la plus belle baie du monde”
Auteur : François Collombet
Article publié le 29 août 2018 à 11 h 41 min – Mis à jour le 1 septembre 2018 à 11 h 16 min
Réputée la plus belle, la plus grande mais aussi la plus dangereuse du monde, la baie du Mont-Saint-Michel est traversée tous les ans par des marcheurs, pénitents ou impénitents, bravant des dangers à la fois réels et fantasmés. Nous avons rejoint cette année le pèlerinage diocésain des grèves, dont voici le périple pour qui, croyant ou non croyant, souhaite voir « s’écarter les eaux »…
Pour cette traversée de la baie du Mont-Saint-Michel, nous étions, ce jour du 20 juillet 2018, plus de mille. Une immense foule à fouler pieds nus cette baie. Croyants, non croyants, hommes femmes, jeunes vieux, enfants, une incroyable procession à s’étirer sur des kilomètres vers le Mont de l’archange, vers le Mont Saint-Michel*, la Merveille, sans doute l’un des monuments les plus connus au monde. Etions-nous le peuple des Hébreux traversant la baie au péril de la mer, vers ce rocher et son abbaye au sommet de laquelle trône à 80 m de haut sur une flèche, la statue dorée de l’archange Saint-Michel (4,50 m de hauteur et 500 kg, remis en place en 2016 après sa dernière restauration). Devant nous, une baie immense aux contours insaisissable et la crainte (toute relative !) de terrifiantes marées qui atteignent la vitesse de 62 m par minute (celle d’une charge de cavalerie comme a pu l’écrire Théophile Gautier). « Alors, Moïse étendit sa main sur la mer, et l’Éternel fit reculer la mer, toute la nuit par un vent d’est impétueux, et il mit la mer à sec, et les eaux furent divisées. Les enfants d’Israël entrèrent au milieu de la mer, dans son lit desséché, les eaux se dressant en muraille à leur droite et à leur gauche » (Exode, versets 21 et 22). Mais l’archange ce jour-là nous protégeait. Il avait mis à notre disposition sa cohorte d’anges, tous guides attestés de la Baie, plus quelques pompiers secouristes pour une traversée qui se fit sous le regard des caméras TV d’un programme culturel français (Des racines et des ailes).
*Le Mont-Saint-Michel et sa baie sont classés au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1979.
Les oriflammes au vent
Le rendez-vous avait été fixé à 7 h 15 au pont de Genêts au nord de la baie, près du Bec d’Andaine. Un léger vent nord-ouest avait rafraîchi une chaude nuit d’été. Contre 5 €, nous voici muni du petit carré jaune : Pèlerinage Genêts Mont-Saint-Michel qui jouera le rôle de crédencial pour la journée. Bénédiction, mot de l’évêque, prières, chants et mise en garde pour la traversée (ne pas s’éloigner, suivre les consignes, ne pas dépasser la corde jaune, aller à son rythme…) et nous voici, nous pèlerins d’un jour* franchissant la ligne de départ, oriflammes au vent à l’emplacement des anciens quais lorsque le village de Genêts, face à l’îlot de Tombelaine (inhabité) était un port de pêche (sables et marais ont depuis longtemps effacé toute trace de cette activité). Première étape, les prés salés sans les célèbres agneaux (en général des béliers de race Suffolk). A leur place, quelques paisibles vaches bien curieuses qui viennent humer ces drôles de paroissiens si matinaux.
*Combien sommes-nous jusqu’à nos jours à mettre nos pas dans ceux du moine franc, Bernard ? Il fut le premier à se rendre au Mont-Saint-Michel vers 867 après un voyage à Rome et au Mont-Gargan (au Sud de l’Italie), lieu de la plus célèbre des apparitions de l’archange, le 8 mai 492. C’est ensuite qu’il apparut à Aubert d’Avranches (3 fois) au tout début du VIIIe siècle, lui demandant de construire une église en son honneur sur le mont Tombe (Mont-Saint-Michel) ce qu’il fit en 709 (dédicace le 16 octobre).
Face à nous, l’îlot de Tombelaine
Face à nous, l’îlot de Tombelaine. D’où nous commençons notre progression, ce bout de terre tel un vaisseau rasé avec son drapeau semble à portée de main (il n’est qu’à environ 3 km du Mont-Saint-Michel). De son passé de forteresse, il ne reste que des tronçons de tours en ruines. Avec 4 ha, il est curieusement plus vaste que le Mont-Saint-Michel mais moins haut. Le pic de la Folie ne s’élève à 45 m au-dessus de la mer. Tombelaine, aujourd’hui réserve ornithologique est le refuge des goélands (pas de prédateurs). Environ 500 couples répertoriés chaque année s’y installent de mars à fin juillet pour y nidifier. L’îlot avait été fortifié dès 1220 et occupé par les Anglais en 1423. Ces fortifications servirent ensuite durant les guerres de religions au comte de Montgomery qui fit de l’îlot sa place forte. Tombelaine fut ensuite la propriété de Nicolas Fouquet surintendant des finances du roi. Après son arrestation, château et forteresse furent sur ordre de Louis XIV en 1666 entièrement démantelés. Il ne subsista que la chapelle du prieuré, alors dédiée à Notre-Dame et à sainte Apolline. Abandonné de ses habitants, Tombelaine servit ensuite de refuge aux contrebandiers. Puis sur les ruines de la chapelle, on y éleva un sémaphore qui n’existe plus. Alors qu’on voulait en faire un lieu de résidence pour touristes avec église et flèche à l’identique du Mont-Saint-Michel, Tombelaine fut heureusement achetée par l’État en 1933, puis classée en 1936 et 1987.
Une immensité de sable grisâtre très fin
Une fois passée la microfalaise, frontière entre le végétal et l’immensité où dans une sorte de flou, mer et terre s’estompent à l’horizon, commence la véritable traversée des grèves, une étendue sans fin recouverte à marée basse d’un sable grisâtre très fin qu’on appelle ici tangue. C’est sur cette vase sableuse et glissante qu’il s’agit maintenant de crapahuter tant bien que mal pendant près de 3 heures. Plus au sud, le temps commence à s’éclaircir avec un bleu prometteur. Mais face à nous, le Mont-Saint-Michel, pointe finement dentelée dans le granite des îles Chausey (au large de Granville), semble encore inaccessible. Encadrés par nos guides pastoraux et plus concrètement par ceux de la baie, nous commençons à faire connaissance.
Comment sans danger franchir les fleuves de la baie ?
Cédric, guide attesté m’explique le mystère des 3 fleuves qui tracent leurs chenaux dans la baie. S’ils semblent divaguer, c’est la conséquence d’interventions humaines (heureuses ou malheureuses) autant que du climat. Ces 3 fleuves capricieux, tout en méandres (la Sée, la Sélune et le fameux Couesnon*) passent me dit-il toujours là où on ne les attend pas. Et puis précise-t-il la tempête qui s’abattit sur la baie en janvier 2018 n’a rien arrangé (le Mont-Saint-Michel fut entouré d’eau pour la première fois le mercredi 3 janvier 2018 au lever du jour). Le but est de traverser sans dommage avec enfants et adultes, les deux premiers fleuves coulant en parallèle et aujourd’hui, presque au pied du mont. L’un est calme, l’autre plus impétueux. Mais pas de panique, on peut les franchir sans danger.
*Le Couesnon entre Normandie et Bretagne ! Le Mont-Saint-Michel a pu passer en alternance entre la Normandie et la Bretagne. L’embouchure du Couesnon sépare en effet les deux régions mais cette petite rivière est sujet à l’ensablement et donc à des changements de direction. Depuis 2009, un barrage sur le Couesnon sert de réservoir qui se remplit à marée haute et dégage les abords du Mont tout en se vidant à marée basse. En parallèle, l’ancienne digue d’accès au Mont a été abattue remplacée aujourd’hui par une passerelle au-dessous de laquelle la mer a libre accès.
Mars 709 : d’un effroyable séisme émerge la baie
Difficile à croire ! Cette baie est née d’un cataclysme où se synchronisa le même jour une grande marée, une effroyable tempête et un raz-de-marée (on dirait aujourd’hui un tsunami !). Il faisait suite à un séisme, le plus ancien répertorié qu’ait connu la Normandie. Son intensité, impossible à dire ! Son épicentre se serait situé près de Jersey. Il toucha toute la baie du Mont-Saint-Michel, la presqu’île du Cotentin ainsi que les îles Anglo-Normandes. Nous étions en mars 709.
A notre arrivée au pied du Mont, les pompiers sont là
Ça y est, à l’instar des Hébreux (mais plus modestement !) ayant franchi la mer Rouge, nous sommes enfin arrivés au bout de notre errance, au pied de cette Jérusalem céleste, notre Mont-Saint-Michel haut lieu de spiritualité voulu par Aubert en 708 et façonné par plus de 1300 ans de chrétienté. Les superlatifs ne semblent pas suffire ! Que dire d’un chef d’œuvre médiéval, merveille de l’Occident lorsque sur la grève, par sa hauteur, par son extrême audace architecturale, il nous fait prendre conscience de notre humilité ? Ici, écrivait Victor Hugo « il faudrait entasser les superlatifs d’admiration, comme les hommes ont entassé les édifices sur les rochers et comme la nature a entassé les rochers sur les édifices ».
Le lavement des pieds
Avant la fête de la Pâque, selon Saint Jean, Jésus verse de l’eau dans un bassin et se met à laver les pieds des disciples. Pour nous, gens de peu de foi, les pompiers sont là. De leurs lances, ils vont laver les pieds des pèlerins dans une cohue bonne enfant. Il faut faire vite ; se retrouver sur le parvis de la Croix de Jérusalem pour commencer la montée vers l’abbatiale où une grande messe de pèlerinage est dite. Elle sera suivie d’un pique-nique dans les jardins du Mont puis d’une prière vespérale dans le jardin des Isle des Bas. Ensuite, retour à pied par les grèves dans une incroyable lumière ! Elle vaut toutes les fatigues.
Crédits photo : François Collombet
Pour s’y rendre, trouver un guide et s’y restaurer
Itinéraires
-Par la route
Autoroute A 13 direction Caen puis A84 direction Avranches-Rennes (337 km)
Autoroute A 11 direction Le Mans puis A 81 direction Fougères puis A 84 direction Caen
-Par le train…
Itinéraires
-Par la route
Autoroute A 13 direction Caen puis A84 direction Avranches-Rennes (337 km)
Autoroute A 11 direction Le Mans puis A 81 direction Fougères puis A 84 direction Caen
-Par le train : Avranches et Pontorson se trouvent sur la ligne Caen-Rennes
-Par avion : Rennes Saint-Jacques ou Dinard Bretagne ou Caen Carpiquet (1 h pour chaque)
Une table, véritable institution à ne pas manquer sur le Mont
-Restaurant La Mère Poulard
Grande Rue, 50170 Le Mont-Saint-Michel
Tél.: 02 33 89 68 68
Hôtel Terrasse Poulard : 198 € (petit déjeuner compris)
Sélection de guides pour la traversée de la baie
-Julien AVRIL –>site Gambettes en baie
28, rue de la Halte – 50530 DRAGEY
Tél. : 06 64 28 54 40
Les Guides Nature (traversée baie nature) :
-Julien Avril et Simon Bonneville
06-64-28-54-40 et 06-88-57-28-94
Traversée en petit groupe avec un guide nature passionné, plutôt « hors des sentiers battus ». Et traversées traditionnelles ou originales (au crépuscule ou à marée montante), itinéraires variés de 2 à 15 km. Sorties jeunes enfants. Découverte ludique et conviviale.
-Romain Pilon –> Site : La baie de romain
Les contents, 50240 Saint-Senier-de-Beuvron
Tél.: 06 74 28 95 41 / romainpilon@hotmail.fr
« Je vous propose de vous raconter la baie le temps d’une marée, de mettre en valeur avec passion et convivialité la quintessence du milieu naturel ». Sorties ornithologiques.
-Sylvie Karczewski
1, rue Montoise – 50530 GENÊTS
Tél.: 02 33 70 83 49 – Fax: 02 33 70 83 33
infos@decouvertebaie.com / www.decouvertebaie.com
« Partez à la découverte de la baie du Mont Saint-Michel avec des guides passionnés qui vous feront partager leur passion et vous emmèneront à travers la baie découvrir le sable, les cours d’eau et les sables mouvants. »
-A lire, sur « Amazed », le blog de François Collombet : « Mont-Saint-Michel, visite dans le secret de ses 1300 ans d’histoire »
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