Musical Les Producteurs, d’après Mel Brooks, par Alexis Michalik (Théâtre de Paris)
Une parodie déjantée qui bouscule la comédie musicale.
Alexis Michalik frappe encore fort, là ou on ne l’attend pas. L’auteur, scénariste, écrivain, metteur en scène se paye le luxe d’avoir plusieurs pièces à l’affiche en même temps (Le Porteur d’Histoire, Intra-Muros, Une Histoire d’amour). Il propose ici une mise en scène habile et déjantée, plus fine aussi que le film dont il s’inspire.
L’humour décapant de Mel Brooks, toujours politiquement incorrect, pousse les limites de la décence. En témoigne une des répliques : « ‘Fous’ avez couvert Hitler de ridicule ! » accuse un des protagonistes nostalgique du IIIe Reich que se voit répondre : » Il ne nous avait pas attendus pour ça ! ». L’irrévérence tout azimut, les caricatures tous genres confondus (homosexuel des années 80 dans le style La Cage aux folles) sont le moteur de ce spectacle mené à 100 à l’heure qui emporte tout sur son irrésistible dynamique. Michalik sait aussi ajouter une pointe de nuances ou dégoupiller le scabreux que l’on ne retrouve plus dans son show, grâce au jeu d’une troupe, parfaitement cadré.
Les Producteurs de Mel Brooks : de l’écran (1968) à Broadway
Première réalisation de Mel Brooks (né en 1936), Les Producteurs reçut en 1969 l’Oscar du meilleur scénario original. Inspiré d’une obscure production italo-américaine, (Un Américain à Rome), cette histoire d’une amitié improbable entre un producteur véreux et un comptable passablement névrosé est prétexte à raconter les malentendus que peuvent engendrer certains spectacles.
En allant dénicher un auteur ancien nazi, adorateur d’Hitler, Mel Brooks ne rate pas sa cible et peut s’apparenter à l’ironie dévastatrice contenue dans Le Dictateur de Charlie Chaplin ou le To Be or Not To Be d’Ernst Lubisch (dont il sera le rôle titre dans le remake d’Alan Johnson en 1983). Ce premier coup d’essai fulgurant véritable brûlot contre les us et coutumes de Broadway est une parodie des comédies musicales de l’âge d’or d’Hollywood. C’est aussi la première des trois collaborations avec son acteur fétiche, Gene Wilder avec deux autres réussites magistrales toutes deux en 1974 Le Shérif est en Prison (une autre débauche de gags farfelus antiracistes autour d’un shérif afro-américain), et bien sûr l’inénarrable Frankenstein Junior, « heu Frankenstine » pour les connaisseurs.
Se donner toutes les chances de l’échec
Un producteur de Broadway veut monter, avec l’aide d’un jeune comptable, un spectacle qui ne marcherait pas pour escroquer l’assurance. Ils choisissent le pire scénario (Des fleurs pour Hitler) écrit par un nostalgique déjanté du Führer, vont chercher un metteur en scène has been, une blonde de platine pas très futée, une distribution calamiteuse… sauf que rien ne se passe comme ils voudraient.
Mine de rien, les thèmes abordés – l’extrémisme, l’homosexualité, le sexe comme moyen de parvenir à ses fins (tant du côté de Max qui fait le gigolo auprès d’octogénaires, que de la jeune première au nom imprononçable) – sont traités comme on ne pourrait sans doute plus le faire dans une pièce nouvelle aujourd’hui, et c’est rafraichissant de se dire qu’on peut encore se jouer du politiquement correct.
Rire de vieilles dames nymphomanes,
rire des névroses et des tocs d’un timide maladif,
rire de la flamboyance d’un metteur en scène plus gai que nature,
rire et encore rire d’une absurde idolâtrie au Führer et à ses congénères
sur fond de coiffes ornées de saucisses et de bretzels.
C’est tout cela Les Producteurs !
L’ hommage au Cabaret est un pur bonheur
Son dynamisme entrainant donne envie de se lever de son fauteuil pour danser, et même de se mettre à la place des « bienfaitrices » de Max dans leur numéro de déambulateurs. On le doit aussi largement au chorégraphe Johan Nus et aux danseurs tous parfaits, sans oublier les numéros de claquette.
Les décors de Juliette Azzopardi ajoutent la touche glamour. Les changements de plateau, de décors, de costumes et de personnages (La plupart des comédiens interprètent plusieurs rôles) se font dans une fluidité totale. Serge Postigo (Max), Benoît Cauden (Léo) forment un duo de producteurs savoureux mais il faudrait citer toute la distribution tellement ils sont excellents, avec des mentions spéciales pour Roxanne Le Texier, Régis Vallée, David Eguren, Andy Cocq. Et quel plaisir d’entendre de vrais musiciens en loge.
Un spectacle musical tiré au cordeau qui fait salle comble, un succès amplement mérité.
Jusqu’au 25 juin 23. Théâtre de Paris, 15 rue Blanche, 75009 Paris – Tél. : 01 86 47 72 49
Du mardi au samedi à 20h, Les samedis et dimanches à 16h
mise en scène d’Alexis Michalik – chorégraphe de Johan Nus
Avec Serge Postigo, Benoît Cauden, David Eguren, Andy Cocq, Régis Vallée, Roxane Le Texier, Alexandre Bernot, Loai Rahman, Leo Maindron, Sébastien Paulet, Hervé Lewandowski, Melissa Linton, Véronique Hatat, Eva Tesiorovski, Marianne Orlowski, Carla Hugon.