Culture

Nathalie Junod Ponsard se joue de la lumière, des lieux comme du regardeur

Auteur : Marc Pottier, Art Curator basé à Rio de Janeiro

Article publié le 1er mars 2021

[Découvrir les artistes d’aujourd’hui] Fiat Lux ! Nathalie Junod Ponsard habille de lumières de nombreux lieux aux quatre coins du monde. Installations permanentes ou éphémères, cette magicienne s’appuie sur la puissance de la lumière, c’est à dire ses effets sur notre mental, notre physiologie et physique pour mieux les montrer. Une prochaine expérience sera à vivre à l’occasion du 20éme Parcours Saint-Germain en juin à Paris.

Une artiste à la palette illimitée

C’est en 2004, aux conférences préparatoires de Luzboa, la Biennale de l’art de la lumière de Lisbonne que nous l’avions rencontrée la première fois. A l’époque, Nathalie Junod Ponsard travaillait avec l’artiste Christl Lidl sur la proposition ‘LightingAirWay’ en partenariat avec la compagnie portugaise Air Luxor. Il s’agissait de transformer l’atmosphère lumineuse des avions qui amèneraient au Portugal le futur public de la Biennale. La couleur interne aurait évolué du décollage à l’atterrissage, passant d’un bleu calmant à un rose ouvrant l’appétit, puis un orange aurait facilité la digestion pour revenir au bleu à l’arrivée.  Les artistes avaient prévu des filtres rouge brique sur les vitres des hublots. Les charriots des repas auraient été gainés de miroirs tirés par les stewards et hôtesses de l’air habillés en blanc. Tout était imaginé pour plonger les voyageurs dans une expérience sensorielle unique préfigurant l’univers artistique de l’événement. L’ambition fut hélas écartée car le temps nécessaire à l’installation de l’œuvre immobilisait trop longtemps les avions au sol. Le projet -heureusement répertorié dans les témoignages du ‘making-of’ réunis dans le catalogue – aurait pu révolutionner les conditions lumineuses de tout voyage aérien.

Crépuscule persistant, Place André Malraux, Paris © Nathalie Junod Ponsard ADAGP

Une œuvre prolixe qui s’inscrit dans l’espace

Si l’utopie lisboète n’a pas vu le jour, elle reste une exception dans un carnet de commandes bien rempli. Si Claude Lelouch refaisait de nuit son célèbre plan-séquence d’une traversée de Paris à tombeau ouvert, toutes les œuvres de lumière permanentes signées de Nathalie Junod Ponsard défileraient : de la fontaine place Malraux en face de la Comédie Française, à la façade de la Galerie des Gobelins du Mobilier National, en passant par la place de l’Europe Simone Veil, de l’ immeuble Austerlitz, proche de la gare l’Austerlitz… Sans oublier au niveau forum O du Centre Pompidou, Phénoménologie de la lumière, qui transforme l’Espace polyvalent actuellement en maintenance. Celle qui se définit comme « artiste visuelle » dissémine ses œuvres partout en France, en Europe et dans le monde : Chine, Inde, Russie et Maroc.

Phénoménologie de la lumière. Installation lumière permanente. Centre Georges Pompidou. Paris Photo © Nathalie Junod Ponsard

Quand la lumière devient « pharmakos » 

Partout où la lumière prend un sens, vous devriez y rencontrer Nathalie. « Mon œuvre est liée à toute sorte d’espaces, elles sont très souvent conçues dans un esprit in situ, sont spécifiques aux lieux qui les reçoivent, l’œuvre et le lieu ne font plus qu’un, et un certain nombre d’entre elles sont permanentes. » Née en 1961 à Compiègne, reconnaissable à ses cheveux long noir de jais avec une coiffure taillée à la Sonia Rykiel, l’artiste avant d’installer son atelier à Ivry-sur-Seine travaillait à Paris dans le Marais et a eu un atelier à Hong Kong, puis à Singapour.
« La différence entre une ‘œuvre de lumière’ et un éclairage est la même qu’entre un mur peint et une œuvre de peinture, il existe un médium commun mais le résultat est très distant et ne produit pas le même effet sur le spectateur ! » dit-elle rieuse en nous demandant si on a posé la question à un artiste peintre ?  Derrière le sourire, il y a aussi le fossé entre l’artisanat de l’éclairagiste dont l’habillage répond à une charte et, l’œuvre de l’artiste qui inscrit sa lumière dans une réponse unique qui ne peut être interchangeable.

Esquisse de l’oeuvre Précieuse brillance, installée place de l’Europe-Simone Weil Photo © Guillaume Thomas

Un long processus de création du dessin à l’hypnose finale.

Le processus créatif – exigeant et minutieux – conforte le statut d’œuvre. Pour le détailler, l’artiste est intarissable et n’hésite pas à confier toutes ses recettes à Singular’s « Chaque projet commence par des esquisses au trait accompagné de notes, puis des dessins en couleur : crayons, feutres, aquarelle (celle-ci possède la qualité de fluidité comme la lumière), en parallèle j’écris un texte d’après mes notes, et enfin je créé des visuels numériques. Ensuite vient la recherche de la technique adéquate, le choix des projecteurs, et ensuite la création de la programmation qui va déterminer le changement des couleurs et leurs rythmes. Cette création est dessinée selon des schémas qui font penser à des tableaux avant d’être numérisée. »

Un concept entre lieu et œuvre

Vous l’aurez compris, les dispositifs lumineux de Nathalie Junod Ponsard cherchent à ‘révéler’ les espaces intérieurs et extérieurs qu’elle investit, consciente que la lumière affecte directement la perception du visiteur :  « Au départ c’est une relation à un site, c’est le nouveau concept qui va surgir entre le lieu et l’œuvre, l’idée d’une nouvelle immersion. En amont, j’effectue des recherches et des expérimentations, des échanges avec des scientifiques. »

Orientation spatiale paradoxale, 2016 Œuvre créée par Nathalie Junod Ponsard. Réalisation Manufacture de la Savonnerie, Collection Mobilier Natoinal Salon Murat, Palais de l’Elysée Photo © Philippe Servent Présidence de la République

Nourri des recherches sur l’influence de la lumière sur les systèmes biologiques et cognitifs humains, son travail consiste à créer une expérience physique et esthétique: « M’appuyant sur la puissance de la lumière, c’est à dire ses effets sur nous, notre mental, mais aussi sur notre physiologie et physique) et de celle des longueurs d’onde (les couleurs de la lumière) j’investis ce champ afin de trouver ce qu’ensemble ou successivement ces lumières précises peuvent produire. Et souvent les œuvres sont hypnotiques car je travaille également le rythme, les passages lents, subtiles, parfois flous d’une longueur d’onde à l’autre en lien avec nos rythmes biologiques. Ceci afin de montrer que notre environnement quel qu’il soit nous influence à tout instant comme le jour et la nuit influent sur notre physiologie, l’humain n’est pas toujours au centre du monde, il en fait partie comme l’ensemble du vivant »

L’influence de ‘Light & Space’ génération

James Turrell’s “Aten Reign” installation cycles through the color spectrum in an hour. Photo ©David Heald.Solomon R. Guggenheim Foundation, New York

« L’expérience de l’espace dans sa nouvelle configuration lumineuse souligne que ces lieux investis donnent très souvent aux visiteurs une entière liberté de déambuler dans les espaces sans obstacles, vides mais emplis de la matière lumière. » complète-t-elle. L’adolescente se passionnait pour la peinture italienne et particulièrement pour les fresques de Piero della Francesca « entre humanisme et esthétique, pour l’immobilité du geste, et la brillance des couleurs ».
Mais, la véritable révélation vient de la découverte du mouvement Light and Space né dans les années 1960 dans le sud de la Californie, qui interroge et libère la sensation pure et la perception du regardeur devenu partie intégrante de l’œuvre.
Abandonnant la sculpture, traditionnelle ou minimaliste, liée à la fabrication et à la contemplation d’objets autonomes, les œuvres sont caractérisées par une attention particulière aux phénomènes de perception, tels que, la lumière ou le volume. Puisant dans les matériaux transparents, translucides ou réfléchissants tels que le verre, le néon, les lampes fluorescentes…ils créaient des installations conditionnées par l’environnement de l’œuvre et intégraient dans leur travail les dernières technologies des industries de l’ingénierie et de l’aérospatial, l’astronomie et la physiologie, l’alchimie, la phénoménologie et la méditation orientale.  Si elles échappent généralement à toute photographie fixe qui ne peut rendre justice à l’expérience sensorielle vécue, elles constituent un patrimoine esthétique qu’abonde Nathalie Junod-Ponsard.

Une expérience aussi corporelle que psychique

Bruce Nauman Green Light Corridor Photo © Solomon R. Guggenheim Foundation, New York

Les œuvres d’ artistes tels que James Turrell (1943-), Robert Irwin (1928-) ou encore Bruce Nauman (1941-) l’ont fortement marquée. Elle cite ce dernier en mentionnant ses expériences avec le corps dans ses performances mais surtout son Green Light Corridor de 1970 conservé aujourd’hui au Guggenheim de NY.  Il s’agit d’un couloir constitué de deux parois appuyées sur des perches qui le délimitent dont la largeur est suffisante pour qu’il soit possible d’y pénétrer mais insuffisante pour y circuler facilement. Une lumière verte envahit l’espace. Comme dans ses films de 1967-1968, Bruce Nauman produit l’image des contraintes corporelles engendrées par un espace construit, mais il incite cette fois à faire soi-même l’expérience en pénétrant dans le corridor.

La déréalisation des formes

Comme ses ainés, Nathalie Junod Ponsard a une curiosité et une culture encyclopédiques. De nombreux philosophes :  Wittgenstein, Heidegger (Être et Temps), Gilles Deleuze (L’image-temps), Bergson, Maurice Merleau-Ponty, Peter Sloterdijk, Jacques Derrida, le taoïsme, la question de l’instant présent… Oliver Sacks (médecin américain) sur les hallucinations (L’odeur du Si bémol) et les achromates (ceux qui ne voient aucune couleur, L’île en noir et blanc’), les ‘Instantanés de la conscience’ des recherches sur les couleurs et la synthèse additive par Josef Albers, Michel-Eugène Chevreul, John Gage ou Yvonne Duplessis (1912-2017) autrice des « Les couleurs visibles et non visibles », diplômée d’études supérieures de philosophie  sur « La coloration des sensations non visuelles« …

Un bain de connaissances du monde

Précieuse brillance, 2019. Œuvre permanente sur la place de l’Europe-Simone Veil, Paris 8e. Embellir Paris Photo © Guillaume Thomas

Autour de la vision et de la lumière, l’artiste cite aussi ‘La sinuosité du vivant » (Hermann) par Damien Schoëvaërt-Brossault (1946-), chercheur qui enseigne l’analyse d’images à l’Université Paris-Sud.  Ce dernier, écrit à propos de l’œuvre de Nathalie : « Ainsi dans son installation, les contours et les ombres, pris dans l’épaisseur d’une lumière saturée, se dissolvent dans une iso-luminance. Cette « déréalisation » des formes, au profit d’une perception « non visuelle », plonge le spectateur dans un état paradoxal où la familiarité d’un bien être côtoie une certaine étrangeté due à la perte des repères usuels. …. Dans son épaisseur lumineuse, Nathalie Junod Ponsard révèle à chacun une vision insoupçonnée, mais n’est-ce pas justement le propos de l’art que de dilater la perception du monde ? »

Son univers ne cesse de dessiner un grand voyage dans le réel. Le Parcours Saint-Germain 2021 en juin vous permettra de plonger dans un nouveau bain de lumière et de connaissances du monde. Et qui sait de rencontrer notre magicienne de lieux de lumières ?

Pour suivre Nathalie Junod Ponsard 

Le site de Nathalie Junod Ponsard

Prochains rendez-vous :

  • Juin 2021, Parcours St Germain, ‘Augure’, sculpture à mouvement ondulatoire suivra la lumière réagissant à l’environnement. Telle une couronne, Augure permettra l’observation des mouvements du ciel en fonction des rythmes du jour et de la nuit,
  • Palais de l’Elysée, les futurs heureuses et heureux invités pourront admirer un tapis créé in situ pour l’escalier d’honneur sur deux niveaux, œuvre réalisée en collaboration avec le Mobilier national en 2021,
  • Jeux Olympiques Paris 2024, une œuvre permanente est prévue au Village des Athlètes (travail en cours).

Le défi de la rétrospective

« La rétrospective Chengdu présentait une documentation sous forme de larges photographies des œuvres, et dans une salle circulaire des films ont été montés afin d’être vus à 360 degrés pour une nouvelle immersion, relayant l’aspect immersif d’un grand nombre de mes créations. Le film permet de montrer le mouvement de la lumière, la mobilité dans mes œuvres, les changements subtils et l’abréaction du public. Et surtout, parallèlement à la rétrospective j’étais invitée au musée MOCA à créer une large œuvre lumineuse in situ. Cette rétrospective a pris dans son ensemble une forme correspondant à mon travail. »

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