Culture

Planète(s) Decouflé, scénographie de Marco Mencacci (CNCS Moulins - Éd. Cinq Continents)

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 10 novembre 2024

Partir pour les Planète(s) Découflé, c’est accepter de plonger dans un univers métaphorique, fantastique, toujours ludique. Depuis Codex en 1986 et premier triomphe international, aux Nouvelles Pièces courtes (2017), en passant par l’acmé de l’ouverture des JO d’hiver de 1992, les inspirations du chorégraphe Philippe Decouflé surfent entre métamorphoses et irrévérences, rêves et cartoons. Son croisement précipité entre fantaisies déjantées et humour poétique prend une dimension jubilatoire pour Olivier Olgan dans la somptueuse mise en scène de Marco Mencacci au Centre national du costume et de la scène (CNCS) jusqu’au 5 janvier 25 et son catalogue CNCS / 5 Continents. Pour un véritable feu d’artifice formel et visuel.

La danse est devenue mon vocabulaire, mais je pense pouvoir dire que ce n’est pas le seul. Tous les arts de la scène m’intéressent. Il y a un réel croisement d’influences et d’idées. Parfois cela fonctionne, parfois non.
Philippe Decouflé

Une invitation à sortir de tout cadre

Nourri de toons (de Tex Avery en particulier) et de comics, de comédies musicales, de danse disco et… d’Oskar Schlemmer, chorégraphe du Bauhaus dont les photos du Ballet triadique a été une révélation pour le jeune Découflé : « Le dessin est souvent au départ de mon processus de création » revendique-t-il.

Introduction de l’exposition Planète(s) Decouflé (Musée du costume, Moulins) Photo OOlgan

Une scénarisation réinventant les formes, les corps, et les rythmes.

Le chorégraphe joue sur les formes géométriques simples : un cube, un triangle, … autant que sur toutes les règles élémentaires de l’optique et du mouvement dans une recherche de gestes a priori impossibles à réaliser. Il lui reste toujours quelque chose de ce désir, une bizarrerie dans le mouvement, quelque chose d’extrême ou de délirant. Il recherche une danse du déséquilibre, toujours à la limite de la chute. Avec des modèles comme les Marx Brothers par exemple, et en particulier Groucho Marx, il a cultivé la prise de risque malicieuse, la répétition comique de l’erreur….

Une scénographie qui relève le défi de l’onirique

Pour restituer cet univers, il fallait une scénographie à la hauteur pour magnifier la créativité de Philippe Decouflé et ses complices. La réussite immersive de Marco Mencacci permet à chaque visiteur de passer d’étoiles en étoiles pour repartir en en ayant plein les yeux. Les textes des cartels écrits par Philippe Noisette – que nous avons repris – nous entrainent dans les multiples « Planètes« , à la manière de Saint Exupéry dans le Petit Prince, la référence n’a rien de galvaudé ! Chacune aborde un thème cher à l’enfant « prodigue » ou « terrible » de la danse française.

Des intuitions chorégraphiées

Dés l’accueil le ton est donné. Sur un grand podium circulaire est exposé un des costumes emblématiques de la chorégraphie Shazam !

Planète Métamorphose

« Je cherche dans le costume des éléments qui vont, en quelque sorte, modifier le corps humain. Donc celui du danseur. »
Philippe Decouflé

Chez Philippe Decouflé, le corps – du danseur – en voit de toutes les métamorphoses.
Robes siamoises, mains en trop, effets de manche, les éléments du vestiaire de la compagnie DCA se (dé)multiplient à souhait. Une manière d’épouser la gestuelle du chorégraphe et ses multiples évolutions au plateau. Sous les yeux des visiteurs, une « collection » inédite se déplie façon tableau vivant puisant dans le répertoire Decouflé matière à rêver.

Planète Métamorphose Planète(s) Decouflé (Musée du costume, Moulins) Photo OOlgan

Planète Matière

 Approchez ! Derrière la vitre, un monde précieux se révèle fait de soie, de papier, de surprises. Les collaborateurs de la compagnie DCA/Philippe Decouflé ont travaillé les foulards Hermès pour en faire des kimonos, les papiers enduits pour leur conférer une allure couture, les patchworks de matière pour surprendre notre regard. Un défilé de sensations à l’image de la danse du chorégraphe, en constante évolution.

Philippe Decouflé a souvent une intuition, une idée. Il en a même beaucoup ! Cela peut venir de façon imprévue.
Jean Malo costumier, collaborateur de Philippe Decouflé depuis 1991

Planète Matière de l’exposition Planète(s) Decouflé. CNCS Photo Titania

Planète « Vivaldis »

Imaginées par Laurence Chalou pour le spectacle Courtepointe, ces combinaisons tricotées aux couleurs chatoyantes ont trouvé leur rythme sur Les Quatre Saisons de Vivaldi.
En accompagnement, un film réalisé par Philippe Decouflé met en mouvement la compagnie. Tourné dans le parc national de la Vanoise en Savoie, ce film à la beauté et la lumière incomparables se déploie entre paysages fleuris et montagnes enneigées sous un ciel bleu.

« On construit avec les artistes un personnage. On peut dessiner le plus beau des costumes, si la personne qui le porte n’est pas bien dedans, cela ne fonctionnera pas. »
Laurence Chalou, costumière, collaboratrice de Philippe Decouflé depuis 2006

Planète Vivaldis Planète(s) Decouflé (Musée du costume, Moulins) Photo OOlgan

Planète Anatomique

 Un cœur par ici, un foie par-là, des intestins encore, on en voit de toutes les couleurs dans les spectacles de Philippe Decouflé. Il faut, dès lors, au costumier génial qu’est Jean Malo trouver le fil à suivre. Il ose les broderies précieuses, les coutures invisibles, les effets spéciaux. La vie palpite sous ces costumes, bodys, académiques, blousons que la danse adopte sans mal. Présentées dans le plus simple dénuement scénographique, ces pièces de choix au plus près du corps des interprètes paraissent danser dès que le regard s’en approche.

« Chez Decouflé, il y a des thèmes qui reviennent dans la danse et donc dans ce qui l’habille.
On a pu voir des écorchés dans Codex/Decodex. Et dans Iris cet intérêt pour l’anatomie ».
Jean Malo, costumier

Planète Kaléidoscopique

Dans ces deux salles, chaque visiteur devient partie prenante de l’exposition. Ici, un coffre se déplie pour dévoiler des créations du ballet Tutti, commande du Groupe de Recherche Chorégraphique de l’Opéra de Paris (1987).

Hommage à la musique, notamment le jazz, cette création porte la marque du duo gagnant Decouflé / Guillotel : costume en forme d’instrument, motifs peints, la partition, au final, subjugue.

Là, le vestiaire s’anime pour donner à voir un hommage irrévérencieux à l’Opéra de Pékin ou des pièces uniques sur fond de vidéos « decouflesques ».

« Chaque expérience, en salles, au cinéma, m’a apportée, m’apporte quelque chose.
Comme un voyage plein d’imprévus. Je ne cesse d’explorer des continents inconnus. »
Philippe Guillotel, costumier, collaborateur de Philippe Decouflé depuis 1985

Planète Interlude

Hommage, hommage. Pour célébrer le génie protéiforme des peintres, stylistes, et autres artistes des années folles, Philippe Guillotel signe des empiècements de couleur à porter comme une collection haute-couture.
Philippe Decouflé répond ici à une commande d’un grand magasin japonais. Et y ajoute son grain de folie. Complice trop tôt disparu des aventures Decouflé, Christophe Salengro (1953 – 2018) habitait ses costumes avec un génie comique XXL.
Acteur plus que danseur, sur scène ou à la télévision, celui que l’on nommait XTOF a marqué les esprits.

Dans Codex (1986), Christophe Salengro promenait déjà son impayable silhouette tandis qu’au pays de Groland, il était président ! (Groland est un pays fictif imaginé par Benoit Delépine et Christophe Salengro et apparaissant dans différentes émissions diffusées sur Canal+ à partir de 1992).

Planète Noir (et blanc)

La danse contemporaine cultive le goût des contrastes en témoigne cette planète entre noir et blanc. Le choix vestimentaire exposé reflète cette dualité qui, parfois, ne fait plus qu’un.e. Les formes et les découpes se jouent du sombre comme du clair, le temps d’un costume féminin / masculin, d’une cape en cheveux, d’une pièce façon patron de couture aux tutus de la danse classique. Noir ? Blanc ? Pourquoi choisir ? …

« Mon inventivité est dans le réel. Une création qui limite le geste, ce n’est pas réussi à mes yeux. Le costume doit rester magique pour … fonctionner. »
Philippe Guillotel

Planète Ombres de l’exposition Planète(s) Decouflé. CNCS Photo Titania

Planète Ombres

Véritable théâtre dans le théâtre, cette vitrine se joue des ombres, qu’elles soient projetées derrière un voile ou filmées sur scène.
Chez Philippe Decouflé, le danseur dialogue parfois avec son ombre dans un ballet des apparences. La lumière traverse les costumes de Philippe Guillotel telles ces créations en filet (Tricodex) – ou ciselle un détail de ces bustiers façon chandelier précieux (Petites Pièces montées).

« Avec Philippe Decouflé, le mouvement est arrivé dans ma vie.
Que le vêtement et le mouvement soient liés a été une découverte pour moi. »
Philippe Guillotel, costumier, collaborateur de Philippe Decouflé depuis 1985

 Planète Micro/Macro

Pupilles en action, le public est invité sur une planète inconnue peuplée de microbes sympathiques, de bon génie gonflable, de pastilles de couleurs.
Projetés sur les créations costumes de Philippe Guillotel, des films expérimentaux donnent vie à ce monde imaginaire. De Codex à Tricodex, Philippe Decouflé a mis en scène des créatures singulières – et dansantes. En approchant de la « scène vitrine », les visiteurs deviennent à leur tour des personnages en mouvement. Portés par une bande-son voyageuse, ces univers micro et macro sont une célébration du bizarre.

« La danse est devenue mon vocabulaire, mais je pense pouvoir dire que ce n’est pas le seul. Tous les arts de la scène m’intéressent. Il y a un réel croisement d’influences et d’idées. »
Philippe Decouflé

Planète Macro Planète(s) Decouflé (Musée du costume, Moulins) Photo OOlgan

Planète JO Albervillle 1992

« Je n’aime pas faire de l’artificiel, j’ai besoin de beauté, j’ai besoin de pleurer lorsque je fais quelque chose. Je veux être touché et toucher les gens. »
Philippe Decouflé

Planète JO Chambery 1992 Planète(s) Decouflé (Musée du costume, Moulins) Photo OOlgan

Rassemblés dans la plus grande salle du CNCS, les costumes créés par Philippe Guillotel pour l’ouverture des JO d’Albertville 92 dans une mise en scène de Philippe Decouflé forment aujourd’hui un tableau vivant saisissant. Les couleurs de la Savoie, rouge et blanc, le disputent à l’imagination débridée du tandem Guillotel / Decouflé.
Déployés sur deux niveaux, ce vestiaire invite le visiteur à rêver dans une ambiance sonore inédite.
Un véritable voyage au pays des rêves… olympiques.

« Tout le spectacle était basé sur la transformation de l’eau en glace, avec un début sur la fluidité, puis cette partie suivante où on joue sur la structure d’un flocon de neige. Il y avait une certaine logique à tout cela même si on ne la voit pas forcément.

Je m’inspire beaucoup des mouvements de la nature. J’aime l’ordre et le désordre qui cohabitent 

Planète JO Chambery 1992 Planète(s) Decouflé (Musée du costume, Moulins) Photo OOlgan

On a avancé sur chacun des sports d’hiver pour en tirer quelque chose de beau, de drôle, sans moquerie. Il fallait que ce soit organique et géométriquement cohérent. Un peu comme une chorégraphie de Busby Berkeley à la grande époque des comédies musicales de Hollywood. On sait que chacun, dans le public, voit quelque chose, mais que personne ne voit la même chose. C’était un des défis d’Albertville.

Nous étions à la recherche d’une forme d’universalité, avec l’envie de parler à tout le monde.« 

Philippe Découflé, extraits de l’entretien réalisé par Philippe Noisette pour le catalogue CNCS / 5 Continents

Effectivement, Découflé parle depuis 4 décennies à tout le monde et c’est aussi ce qui fait son universalité créative.

Olivier Olgan

Pour suivre Philippe Decouflé

Jusqu’au 5 janvier 2025, Centre national du costume et de la scène (CNCS), Quartier Villars, Route de Montilly, 03000 Moulins – Tél. : +33 4 70 20 76 20 – accueil@cncs.fr
Ouverture tous les jours de 10h à 18h

Le site de la compagnie DCA Philippe Decouflé

Catalogue, de Philippe Noisette avec la complicité de Philippe Decouflé – Entretiens inédits : avec Philippe Guillotel, Laurence Chalou, Jean Malo et Philippe Decouflé. Co-édition CNCS / 5 Continents, 176 p., 35€. Pour accompagner quatre décennies de création sous la bannière DCA/Philippe Decouflé, le catalogue s’ouvre par un ABCDaire de Vingt-six lettres pour vingt-six instantanés, autant d’entrées pour un dialogue entre les créations du chorégraphe et les couturiers-créateurs que sont Philippe Guillotel, Laurence Chalou ou Jean Malo. Riche d’illustrations photographiques et de dessins, ce voyage visuel est à chaque pas et page surprenant, voir édifiant tant l’imagination ne semble pas connaitre de limites.

«Je n’aime pas faire de l’artificiel, j’ai besoin de beauté, j’ai besoin de pleurer lorsque je fais quelque chose.
Je veux être touché et toucher les gens. Avec les Cérémonies des Jeux Olympiques, on changeait d’échelle, de dimensions certes. Mais il était important de garder en tête ce besoin d’émotion… Même dans un stade ».
Philippe Decouflé, extraits du catalogue Planète(s) Decouflé, une exposition, Éditions Cinq Continents/CNCS

Partager

Articles similaires

« Paris, L’Amour et l’Espoir », de David Turnley (grilles de l’Hôtel-de-Ville de Paris)

Voir l'article

Sarah Bernhardt, Frida Kahlo, Alice Guy, Céleste de Châteaubriand : quatre biopics qui décoiffent

Voir l'article

Que reste-t-il du Surréalisme (Centre Pompidou, La Pléiade) ?

Voir l'article

Deux passeurs d’art : Hector Obalk et Anne Cangelosi

Voir l'article