Culture

Pour la liberté d’expression ! Livre du Centenaire du PEN Club français (éditions Le Bord de l’Eau)

Auteur : Jean-Philippe Domecq
Article publié le 27 mars 2023

 « Dans un monde où les voix indépendantes sont de plus en plus réduites au silence, PEN n’est pas un luxe, c’est une nécessité », revendiquait Margaret Atwood en 1984. Pour la liberté d’expression ! Le titre du Livre du centenaire du PEN Club français, dirigé par Antoine Spire, Laurence Paton et Sylvestre Clancier, (éditions Le Bord de l’Eau) définit la vocation de ce « PEN (poets, essayists, novelists) Club » qui est tout sauf restreint. Jean-Philippe Domecq, président du Comité de défense de la liberté d’expression rappelle la grande aventure confraternelle à l’échelle du monde en faveur de celles et ceux dont le seul tort est d’utiliser librement leur plume, au nom de Droits humains qui partout sont bafoués.

Né du désastre de la Première guerre mondiale

Le PEN Club international est né d’un même réflexe de conscience que la Société des Nations (SDN) initiée par le 28ème président des Etats-Unis, le progressiste Woodrow Wilson, Prix Nobel de la Paix en 1918. Au lendemain de la Première guerre mondiale en effet, il se fit un grand « Tout mais plus cela » ; les consciences politiques et culturelles sentirent la responsabilité de créer des instances qui prennent désormais les devants des agressions des nations les unes contre les autres. Les politiques eurent pour priorité l’échelle internationale ; et il est bon à ce propos de se rappeler, car nous avons tendance à voir dans la philosophie abstractions sans conséquences pratiques, que la SDN, puis son enfant moins impotent qu’est l’ONU, eurent pour tremplin de pensée le Projet de paix perpétuelle d’Emmanuel Kant qui, dès 1795, conçoit qu’il est possible de mettre les hommes d’accord pour qu’ils canalisent juridiquement leurs pulsions agressives ; son propos n’a rien d’idéaliste et a tout de lucide puisqu’il le base sur ce paradoxe : les hommes s’organisent par « insociable sociabilité », se socialisent d’autant plus qu’ils se savent insociables, insatiables.
Freud ne dira pas le contraire en arcboutant l’effort civilisationnel sur la lutte contre nos pulsions « inhumaines », diraient les idéalistes pour le coup, trop humaines doit-on dire pour n’être ni ange ni bête. Preuve en est que la Première guerre mondiale ne fut que la première, et nous ne nous penchons pas par hasard aujourd’hui, en 2023, sur le retour de barbarie qui trouve ses prétextes et a la foi mauvaise.

Une Société des Nations culturelle

Encore l’effort pour que s’entendent les nations au lieu de s’écharper devait-il impliquer le même effort sur le plan intérieur aux nations, à savoir le respect des Droits humains. C’est à ce souci que répond une femme de lettres pacifiste et féministe, Catharine Amy Dawson Scott, qui en 1921 cherche à fédérer les écrivains des pays en conflits et pour cela commence par organiser des rencontres de discussions amicales et des formes d’hospitalité, que l’on retrouve aujourd’hui dans l’essentiel des actions des PEN Clubs nationaux autour du PEN International.

Eclairant à cet égard est le chapitre du Livre du Centenaire que vient de publier le PEN Club français, où le politologue Nicolas Racine, qui fut spécialiste de l’histoire des intellectuels, restitue la naissance puis le développement de cette ONU de la culture à travers les vicissitudes et bouleversements géopolitiques du XXème siècle.

On imagine l’extraordinaire effort de sociabilité, par intelligence donc de notre insociabilité, qu’il fallut aux écrivains du PEN Club de « tous les pays », si l’on permet d’associer ce refrain de l’Internationale à un Club qui dut lutter, par exemple, pour ne pas séparer les auteurs d’un bord à l’autre du Mur de Berlin et de la Guerre froide…
L’idéologie peut n’être pas moins barbare que le lâcher-tout pulsionnel, on le le sait.

L’empreinte anglaise

La fondatrice convainc un romancier plus connu qu’elle, John Galsworthy, de mettre sa notoriété au service du premier PEN Club, anglais par conséquent, dont il assume la présidence ainsi que celle de la Fédération internationale qui se crée dans la foulée logique de ce projet par définition sans frontières et n’ayant d’autres pays que les langues, leurs potentialités infinies de découvrir ensemble ce réel que l’on fraie et arpente au fur et à mesure de la passionnante aventure humaine.

Les principes de la charte du PEN – qui, à partir du mot anglais « pen » comme outil d’écriture, est l’acronyme de « Poets, Essayists, Novelists » – n’ont pas varié, pour qui veut y adhérer ; notamment, en ce qui concerne notre planète de langues, cette nécessité d’indépendance de l’art par rapport aux idéologies.

La littérature, si elle connaît des nations, ne connaît pas de frontières
et les échanges littéraires doivent rester en tout temps indépendants de la vie politique des peuples.
Charte du PEN

L’universalisme des valeurs

Pour donner idée de l’implication littéraire dans les affaires publiques, l’un des premiers grands auteurs impliqués à l’origine fut Thomas Hardy (1840-1928), qu’on ne lira jamais assez, en commençant par Tess d’Uberville, Jude l’Obscur, La Bien-Aimée, A la lumière des étoiles

A partir du noyau britannique, vont se créer, essaimer et agir en solidarité, hospitalité, dialogues et colloques partout de par le monde, les PEN Clubs nationaux qui, aujourd’hui, diffusent entre eux leurs bulletins d’informations précises sur les exactions que subissent auteurs, journalistes, artistes, universitaires, là où la liberté d’expression est considérée aujourd’hui encore comme une « valeur occidentale », comme nous ne l’entendons que trop.

Il faut bien que tout vienne toujours de quelque part,
il n’y a pas d’universalité sans origine.

La numérotation qui nous est bien pratique a été créée par la civilisation arabe et nous ne sentons pas « arabo-centrés » de l’utiliser. Le gouvernement marocain reproche pourtant et à tort d’imposer nos valeurs lorsque le PEN Club français prend la défense d’universitaires qu’il accuse de viols ou/et d’évasion fiscale ( !…) alors qu’ils portent cravates aussi sérieuses que leurs travaux, empreints il est vrai de l’esprit critique sans lequel il n’est pas d’esprit.

L’universalisme a plusieurs options.

Les Droits humains n’ont pas exactement la même acception, ni donc les mêmes applications, que l’on invoque l’initiale empreinte anglaise ou celles des Droits de l’Homme ‘à la française’, et cela se retrouve tout au long du siècle du PEN Club.
Avec quelques oppositions et luttes d’influence, qui ont été particulièrement sensibles avec le triomphe idéologique du libéralisme à l’anglo-saxonne du temps de Ronald Reagan et de l’effondrement du Mur de Berlin. Les Droits humains, nés des Bill of Rights de la Révolution d’indépendance américaine, donnent à la société civile de forts pouvoirs contre l’unité de l’Etat ; ce qui induit une revendication d’apolitisme qui, ruse de toute idéologie conservatrice, occulte et renforce l’idéologie déjà là. L’actuel Président du PEN Club français, Antoine Spire, dont on lira l’historique dans le Livre du Centenaire, est particulièrement conscient d’un tel tour d’occultation politique. Sans parler du fait que les présidents du PEN Club français doivent lutter pour la défense de la langue française face à l’hégémonisme de l’Anglais.

La spécifique histoire du PEN Club français

Anatole France fut, de 1921 à 1924, le premier président du Pen Club français à la création de celui-ci. Cette prestigieuse figure de l’humanisme progressiste, figure du « Grand Ecrivain » telle que Robert Musil dans L’Homme sans qualité l’épinglera savoureusement mais injustement à propos de Thomas Mann, eut droit à des funérailles nationales mais aussi, au même moment, au tract « Un Cadavre » jeté à la face de la France par les jeunes dadaïstes bientôt surréalistes. Ce n’est pas anecdotique car cela signifiait que l’autre grande réaction à la première boucherie mondiale fut le désespoir et la révolte contre une culture européenne qui avait été incapable de l’éviter et qui, même, restait passive comme un décor.

La conception de la culture comme décor de l’existence et de la société avait et a de quoi susciter un autre « Tout mais pas cela ».

Il était profondément logique que Paul Valéry succède à Anatole France, de 1924 à 1934, lui qui, au début des années 1920, écrivait sur « l’Europe des esprits » après avoir énoncé, mais là il n’y avait peut-être pas besoin d’être grand clerc pour découvrir cette lune vieille comme l’humanité, que « nous savons désormais que les civilisations sont mortelles ».
Reste que Paul Valéry a approfondi la notion et la pratique fondamentales de « coopération intellectuelle ». Qu’un de ses plus lointains successeurs, l’écrivain Jean Blot, président de 1999 à 2005, élargit ensuite en lien avec l’UNESCO.

Romain Rolland fut président du PEN Club français et du PEN Club internationale de 1934 à 1941 au total, c’est-à-dire la pire période, de la montée des périls à la guerre du Crime contre l’humanité. Il joua un rôle actif pour sauver des auteurs, et sut exclure les auteurs, nazis, de la délégation allemande. Mais il est symptomatique, alors comme aujourd’hui, que son pacifisme ait affaibli son discernement au point de n’être pas loin de chercher la paix à tout prix ; face à un Hitler, comme face à un Poutine, ce n’est pas d’une intelligence…intellectuelle.

Et maintenant ! Un laboratoire de réflexion, libre et prospectif.

C’est précisément ce ressort de discernement que le nouveau président du PEN Club français depuis 2021, Antoine Spire, a réactivé en équipe. Retrouvant le premier label par lequel Anatole France et ses amis l’avait fondé – « Cercle Littéraire International », il s’agit que le PEN Club, par ses prises de position géopolitiques, éclaire et alerte en vertu de la qualité de discernement qui se dégage de la mise en commun des esprits.

C’est aussi renouer avec le fil rouge de la spécificité française : nettement progressiste, plutôt de gauche, comme on dit (et seuls le « En même temps » et les extrêmes-droites de toujours jouent à gommer la nécessité de présenter la politique comme une conceptualisation, un programme, pour qu’il y ait clarté dans le contrat social renouvelé à chaque échéance démocratique).

De même que le pacifisme peut être l’ennemi de la paix,
de même l’apolitisme est toujours une politique.
Jean-Philippe Domecq

En ce sens, il est clair qu’à force d’apolitisme revendiqué par le libéralisme politico-économique anglo-saxon, la charte du PEN empêche d’énoncer certaines propositions de paix au motif qu’une nation se sentirait visée – à juste titre. C’est se retrouver dans la même situation que l’ONU qui ne peut dénoncer une agression parce que la nation qui agresse oppose son droit de veto.
De même que la Charte de l’ONU est évolutive, sinon on en serait encore à la SDN ;
De même celle du PEN Club pourrait évoluer ponctuellement.
Vaste chantier de progrès, passionnant comme ce que l’homme fait de l’Histoire qui le fait.

# Jean-Philippe Domecq

Pour aller plus loin avec le PEN Club

  • Pour la liberté d’expression !, Livre du Centenaire du PEN Club français, dirigé par Antoine Spire, Laurence Paton et Sylvestre Clancier, éditions Le Bord de l’Eau, collection « Clair et Net », 250 p, 18 €.
  • Pen International, Une histoire illustrée, dirigé par Carles Troner et Jan Marten, Actes Sud, 2021 : Les voix de ces écrivains et celles, nombreuses, de tous ceux qui ont combattu pour défendre la devise qui ouvre la Charte de PEN – « La littérature ne connaît pas de frontières » – continuent à résonner parmi nous.

Le site PEN Club international

Le site du PEN Club Français

La chaine Youtube du Pen Club français

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