Culture
Pour la Saint-Valentin, Madame signe un M.U.R d’amour à la Bastille
Auteur : Régine Glass
Article publié le 10 février 2021
A la Bastille, quand on n’abat pas les murs d’une prison pour déclencher une Révolution, on préfère dresser un M.U.R (Modulable Urbain et Réactif) dédiée à l’amour, pour la Saint Valentin. A l’initiative de Pascale et Raphy Cohen et de Cyrille Gouyette, l’artiste urbaine Madame installe sa fresque sur le mur du 38 rue de la Roquette le dimanche 14 février à 14h. Venez vivre cet hymne à l’amour.
L’art urbain comme expression artistique, démocratique et populaire
Si les musées restent désespérément fermés, l’art de plein air urbain reste actif. L’idée du M.U.R pour “ Modulable Urbain et Réactif ” s’inscrit dans un mouvement artistique et citoyen où chaque trimestre, un artiste inscrit une œuvre dans l’espace urbain. Véritable respiration dans la ville, la démarche réveille la sensibilité esthétique du passant, stimulant l’imaginaire dans son quotidien.Pour cette Saint Valentin – si spéciale dans ces temps de ‘distanciation sociale’ institutionnalisée- un nouveau M.U.R ouvre sa brèche d’imaginaire dans Paris sous couvre-feu. C’est dans le quartier mythique de la Bastille que la street-artiste Madame (alias Moustache) va poser sa fresque dédiée à l’ « art-mour » sur le pignon de la boutique de Bastille Optic sis au 38 rue de la Roquette, le dimanche 14 février à 14h pour un happening réunissant tous celles et ceux qui veulent qu’on leur parle (enfin ou plus) d’amour.
Une initiative collective de longue haleine
Cela fait bien longtemps en fait depuis le drame du Bataclan et des rues attenantes, que Pascale Cohen et son mari Raphy souhaitaient une fresque en hommage aux victimes sur le mur de leur magasin. C’était sans compter sur le temps qu’on doit donner au temps ! Tout d’abord obtenir l’autorisation de la propriétaire, puis trouver la bonne association pouvant mener à bien le projet. La rencontre avec Cyrille Gouyette, historien et d’art, enthousiaste dès la première heure, a permis en convaincant la street-artiste Madame (alias Moustache) d’en faire une réalité. La mairie du 11ème et Loxam s’y sont associés comme sponsors.
Pascale et Raphy Cohen, engagés à Bastille depuis plus de 30 ans.
Pascale, opticienne et designer optique vend les lunettes les mieux sourcées du quartier. Raphy, son mari, architecte renouvelle avec imagination les murs de Bastille Optique, magasin où s’ exprime à merveille leur gout de la mise en scène artistique utilisée comme thérapie, « se sentir bien » et « être heureux en portant des lunettes sur son nez». Ces grands amateurs d’art utilisent aussi régulièrement l’espace de leur boutique pour des expositions temporaires, et de coups de pouce aux artistes, ainsi les lithographies d’art de Michael Woolworth y sont en vente.
Inutile de monter au ciel pour cotoyer les étoiles
La street-artiste Madame (ou Madamedepapier sur instagram) n’en est pas à sa première installation poétique. La comédienne et scénographe de formation passée aux arts graphiques déconstruit les ressorts de l’iconographie traditionnelle. Celle que le magazine L’Œil a élu comme « une des cinquante artistes marquantes du 21ème siècle » fait feu de tous matériaux – qu’elle chine, recycle, colle ou assemble pour abattre et créer de nouveaux espaces. Articulant texte, image et matière, son art reste une mise en scène. Que ce soient ses « ateliers » de petits formats en 3D ou ses affiches à installer dans la rue, ses « collages » poétiques constituent de “véritables scènes de théâtre à ciel ouvert dans l’espace public ”.
Parmi les plus spectaculaires, l’installation sur le Phare de Saint Tropez en 2019, ou plus récemment Le temps c’est comme la passion…fresque réalisée à L’ESSEC en 2020.
Tous ses collages associent images et mots dans un langage poétique, spirituel ou militant. Ses titres ses parlent d’eux même, pour devenir des mantras ou des répliques aux questionnements de nos vies : Puisque les murs n’arrêtent pas les oiseaux construisons des perchoirs plutôt que des cachots, A condition d’y voir impossible de se perdre dans le noir, ou encore Inutile de monter au ciel pour cotoyer les étoiles….. Fuyant le culte de la personnalité, Madame préfère en experte de la commedia dell arte, ne pas montrer son visage pour mieux exposer et partager à la vue de tous sa présence poétique et créative. En période de confinement son ode à la vie et à l’amour est une magnifique réponse à nos chamboulements intérieurs
Madame regardée par l’historien d’art
Celui qui coordonne l’événement, l’historien d’art, Cyrille Gouyette, auteur de Sous le street art, le Louvre (éditions Alternatives) aime métisser dans une chronologie personnelle chaque événement des œuvres, des époques, des artistes sélectionnés pour créer une émotion urbaine. Cet iconographe disruptif revient sur le choix de Madame, et le titre de l’œuvre à venir
« Et l’on boira le calice jusqu’à la lie, pour enfin se repaitre de la vie » :
On peut admirer le visage aux yeux clos et les membres élastiques qui enlacent le corps de l’aimé. A lui le pelage, à elle le plumage.
De cette embrassade fusionnelle nait une métamorphose des corps, l’amour est animal.
Les flèches qui transpercent ces deux oiseaux de nuit ne sont pas celles d’Eros mais de Saint-Sébastien, martyr et guérisseur, invoqué pour éradiquer la peste. Piqués au vif, bravant les interdits et les gestes barrières, ces amants d’une nuit fauve, s’embrassent pour mieux s’étreindre
Auréolés d’or, ces saints profanes d’une société moderne, s’unissent en une fusion syncrétique. Si leur hybridité nous vient des tréfonds de l’Antiquité, ils empruntent leurs attributs à l’iconographie chrétienne et héritent leurs postures des cadavres exquis surréalistes.
Confectionné à partir d’images du passé, l’art de Madame est résolument contemporain. Il sonde, interroge et met en abyme nos modes de vie, nos façons d’être, nos aspirations et nos envies
C’est une Bastille nocturne et festive qu’elle célèbre ici. Celle des bars et des bals, des rues de Lappe et d’la Roquette. Mais ici nulle nostalgie. Les temps heureux sont temporairement suspendus. Madame nous incite à garder espoir car la parenthèse sanitaire bientôt se fermera.
Du M.U.R à la lithographie
L’imprimeur d’art Mikael Woolworth s’ associe aussi à cet évènement éphémère en ouvrant son atelier 2 rue de la Roquette 750 11 dans le passage du Cheval Blanc pendant le week end des samedi 13 et dimanche 14 février. Le compagnon d’impressions de nombreux créateurs contemporains (de Bertrand Lavier à Lee Ufan ) réalise à l’ancienne des lithographies de Madame, directement associées au MUR Bastille.
Une visite s’impose à toutes celles et ceux qui veulent comprendre la magie de l’impression sur presses manuelles, et la difference entre les supports et les techniques : lithographie, bois gravé, monotype, linogravure, eau-forte, etc. “Ce qu’on peut faire avec une presse à bras est inégalable en qualité, en souplesse et en joie de vivre. rappelle Mikael Woolworth. Le travail est plus lent et plus physique mais le résultat de l’encrage manuel et du passage en pression est fascinant.”
Pas de meilleur guide pour saisir les secrets de ce métier d’art millénaire. Le happening sera l’occasion de rentrer par les grilles de la cour du cheval blanc dans cet atelier qui sent l’encre et le papier.
En savoir plus sur Madame and friends
- Le site de Madame et instagram
- Sa première Monographie, Editions H’artpon Mai 2019, 312 p. 35€]
Instagram de l’architecte Raphy Cohen et de Bastille optic
A lire : Cyrille Gouyette, Sous le street art, le Louvre (éditions Alternatives)
Atelier Mikael Woolworth, 2 rue de la Roquette 750 11 impressions exclusivement sur presses manuelles (lithographie, bois gravé, monotype, linogravure, eau-forte, etc.).
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