Culture
Pour Miguel Rio Branco, quand Dieu perd le pouvoir, l’homme n’est plus à son image
Auteur : Marc Pottier, Art Curator basé à Rio de Janeiro
Article publié le 1 décembre 2020
[Découvrir les artistes d’aujourd’hui] La représentation de l’irreprésentable motive Miguel Rio Branco. Le photographe franco-brésilien prélève la matière de son écriture visuelle dans les déserts du monde, à la limite la plus ténue entre le vivant et le non vivant, entre l’humain et l’inhumain, entre la forme et l’informe où s’« asphyxie la réalité ». Il aiguise votre curiosité jusqu’au 6 décembre à la gare de l’Est, au BAL jusqu’en mars 2021.
Un travail sur le temps et les marques qu’il apporte
« Toute photographie est par nature un document mais mon intention n’a jamais été de documenter, confie Miguel Rio Branco. Je capture par la photographie des fragments dissociés, épars de réel, tentant de répondre viscéralement à une question : pourquoi la vie doit-elle être cela ». En guise de réponse, l’artiste reste les yeux ouverts devant l’irreprésentable, qu’il saisit par des chemins inconnus. Sans cesse au-devant du monde, il (re)trace des lieux où il exerce sa liberté de voyant.
Entendre le moindre bruit du monde comme un nomade du désert.
Plutôt connu pour ses photographies, l’artiste franco-brésilien est, en fait, un vrai peintre. Ses photographies, ses films, ses installations multimédias captent une incroyable matière picturale et montrent combien il est un coloriste de premier plan. Ses cadrages sont souvent serrés avec un arrière-plan qui perd toute profondeur, mettant ses personnages et le regardeur dos aux murs.
Abolir en art le principe de l’expression de soi
Quand il parle de ses influences, ce sont des peintres auxquels il fait référence. Il pense à l’audace de Robert Rauschenberg (1925-2008) qui disait vouloir travailler dans l’intervalle entre l’art et la vie. Les deux artistes ont ce point commun de vouloir abolir en art le principe de l’expression de soi. Les surfaces de leurs compositions-assemblages hybrides sont des miroirs prêts à accueillir le reflet du monde. Chaïm Soutine (1893-1943), bien entendu vient dans le haut de sa liste, avec son mythe de l’artiste maudit et sa fascination pour la chair et le sang du cadavre dans son ultime nudité.
Un caméléon attentif
Ce fils de diplomate, né à Las Palmas en 1946 a pris l’identité de tous les pays ou grandes villes où il a eu l’occasion de vivre : Argentine, Portugal, Suisse, New-York… Marginal, victime de brimade au Brésil parce qu’il parlait portugais avec l’accent du Portugal. Très exigeant avec les autres mais surtout avec lui-même, Miguel Rio Branco, agacé par la vulgarité du monde politique ambiant, vit aujourd’hui retranché en famille dans sa grande maison d’Araras (Petropolis dans les hauteurs de Rio) avec sa fille Clara, sa femme, l’artiste serbo-hongroise Isidora Gajic et leur jeune fils Dimitri. Il dirige désormais à distance ses expositions qu’il nomme en riant de ‘posthumes’. Il saura ainsi comment cela se passera après lui !
L’indépendance et la curiosité avant tout
Toujours un pied dehors, ce déraciné, petit-fils de la grande aristocratie brésilienne n’a pas hésité à vivre dans les quartiers pauvres de l’East Village de New-York, où Il s’est lié d’amitié avec son compatriote Helio Oiticica (1937-1980), plasticien et théoricien bien connu, entre-autre, pour son interrogation « Marginaux ou héros ? Marginaux et héros ? ». De retour au Brésil, Miguel Rio Branco a vécu successivement dans le Nordeste défavorisé, avec les chercheurs d’émeraudes, puis dans le quartier insalubre du Pelourihno, à Salvador de Bahia, qui abritait alors, des familles déshéritées et des prostituées.
« Out of nowhere »
Sa collaboration avec l’agence Magnum dans les années 1980 a été un moyen d’affirmer son œuvre personnelle. Il garde surtout un bon souvenir de son projet chez les Caiapo au sud de la région du Parà. C’est ce qui lui a donné l’occasion de créer sa première installation de projections d’images « Dialogo com Amaù » qu’il a montré à la 17ème biennale de São Paulo (1983). Il s’agit d’une série de portraits d’Amaù, un indigène paria de la tribu, car sourd et muet, dont Miguel a capturé la douceur et la mélancolie. Dans cette installation, viennent se mêler des images qui retracent le Brésil de l’extraction de l’or.
Invitation immersive du pavillon d’Inhotim
On retrouve cette œuvre dans le pavillon d’Inhotim qui lui est consacré dans le fameux jardin botanique-institut d’art contemporain (expérience incontournable pour tout amateur d’art venant au Brésil) que Miguel a conçu comme une expérience d’immersion dans un espace sombre sans aucune communication avec l’extérieur. Le public, sans aucune autre ‘distraction’, est mis face au ‘diptyque de l’enfer’, ‘la touche du diable’, ‘masque de douleur’, mais aussi sa superbe série de 34 photographies ‘Maciel’ (1979), nom d’un quartier de Salvador de Bahia quand il s’est intéressé à dépeindre la prostitution et les histoires de violence qui y régnaient.
‘Blue Tango’ (1984) série dont on retrouve quelques clichés agrandis accrochés aux grilles de la gare de l’Est à Paris, vient apporter un peu d’’humanité’. On y voit deux adolescents dansant la capoeira, un art martial afro-brésilien, une forme de combat stylisé où personne n’a le droit de se toucher, qui aurait ses racines dans les techniques de combat des peuples africains du temps de l’esclavage au Brésil. Elle se distingue des autres arts martiaux par son côté ludique et souvent acrobatique.
Gratter la peau du temps
Marquée dans son adolescence autant par l’érotisme latent de Playboy Magazine et les récits noirs des camps de concentration qu’il a trouvé dans la bibliothèque de son père, son œuvre ‘purgatoire’ charrie des corps trop humains, leurs gloires comme leurs fatigues, avec leurs rides et leurs cicatrices, leurs pudeurs comme leurs impudeurs exhibitionnistes. Comme chez Le Caravage (1571-1610), les enfants ont les mains sales. Comme chez le photographe anglais Bill Brandt (1904-1983) qu’il admire, le corps de la femme nue peut être tronqué ou distordu. Toutes ces images sont admirablement mises en scènes dans les livres, carnets de notes, qu’il conçoit comme un support d’expression essentiel et qui font partie de son discours poétique sur les ruines du monde.
Entendre le moindre bruit d’un monde dépeuplé de Dieu
« Seul un petit nombre d’entre nous, au milieu des grands agencements de cette société, se demande encore naïvement ce qu’ils font sur le globe et quelle farce leur est jouée. Ceux-là veulent déchiffrer le ciel ou les tableaux, passer derrière ces fonds d’étoiles et ces toiles peintes, et comme des mioches cherchant les fentes d’une palissade, tâchent de regarder par les failles de ce monde. » Le soleil noir de Georges Bataille (1897-1692) revient souvent quand certains tentent de cerner le « réalisme exorbité » de Miguel Rio Branco.
Yeux grands ouverts dans un monde qui perd ses repaires, son œuvre s’impose comme le témoignage de « l’impossible ». Une expérience où on ne sort pas toujours indemne Mais qui justifie de se plonger dans l’espace d’exposition du BAL jusqu’à début mars.
Pour suivre Miguel Rio Branco
Son site
Son agent Tolucafineart
Expositions « posthumes »
- Jusqu’à début mars 2021, Miguel Rio Branco – Photographies 1968-1992, LE BAL 6, Impasse de la défense, 75018, Paris
- Jusqu’au 6 décembre 2020, Blue Tango et Santa Rosa Boxing Club, à la gare de l’Est, agrandissements photographiques sur les grilles extérieures et suspendues à l’intérieur
A lire
Miguel Rio Branco, Oeuvres photographiques 1968-1992, Co-édité par LE BAL & TOLUCA Editions/Editorial RM, 120 p. Texte : Jean Pierre Criqui, Français/English, 35€
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