Prima la Vita, de Francesca Comencini, liens de sang et de cinéma
Même si la réalisatrice consomme sa rupture émancipatrice dans la radicalité politique et la drogue. Une réconciliation se tisse à travers le cinéma et la puissance de la fiction. Cette transmission rédemption offre pour Patrice Gree un pur enchantement … de cinéma
Comment sortir de l’ombre d’un père lumineux ?

Prima la Vita, de Francesca Comencini, rend hommage à son père Luigi (Fabrizio Gifuni) photo Francesca Lucdi
Par la grande porte d’entrée du cinéma…pardi ! C’est celle qu’emprunte, Francesca Comencini dans ce long métrage assumé comme autobiographique « Prima la Vita »… Le cinéma réunit ceux que la mort sépare, comme en témoigne la dernière image émouvante et magique de ce beau film sensible.
Tout commence par un cours de sculpture, où le père découvre les talents de sa fille pour créer « des personnages »… Il ne manque que les histoires pour les faire vivre ! C’est le cinéma qui lui fournira plus tard. En attendant, elle assiste silencieuse, puis boudeuse participe au célèbre film de son père : Pinocchio !
Pinocchio, c’est la morale de l’honnêteté, la quête de la vérité… Et c’est la morale du père. Celle dans laquelle il inscrit l’éducation de sa fille.
Luigi s’abaisse à son niveau pour mieux l’élever au sien.

Prima la Vita, de Francesca Comencini, avec Fabrizio Gifuni, Romana Maggiora Vergano photo Francesca Lucdi
Sa défense virulente d’un petit garçon moqué à l’école et la violente leçon qu’il donne en retour à l’institutrice stupide, offrent une idée de l’engagement moral du père au-delà du cinéaste.
Un incident humiliant sur le tournage de Pinocchio lui fait dire, en colère et avec force à son équipe « La vie d’abord, le cinéma après »… Les metteurs en scène pervers qui tyrannisent au nom de l’art, en prennent pour leur grade. Dans ce face à face affectueux père-fille, la vie continue, elle admirative et silencieuse, lui bavard et aimant….jusqu’à l’adolescence !
Nous sommes en Italie, au coeur des années 70.
Une partie de la jeunesse se révolte contre le pouvoir, une poignée dérive dans le terrorisme : ce seront les Brigades Rouges. Ils enlèvent en mars 78 le démocrate chrétien Aldo Moro, et l’assassinent froidement après deux mois de séquestration.
Une scène pénible dans une salle de classe nous montre des étudiants sages applaudirent à l’annonce de l’enlèvement d’Aldo Moro. Parmi eux, la jolie Francesca… C’est la première rupture avec le père, homme de gauche démocrate et pacifique.
Il ne comprend pas l’indulgence de sa fille pour ces révolutionnaires assassins qui justifieront leurs actes criminels au nom du peuple, dont en pseudo intellectuels déséquilibrés, ils ignorent à peu près tout. Cette ignorance signait leur mépris.
La seconde rupture plus douloureuse encore, se fera sur la drogue, qui commence à détruire la jeunesse de l’époque. Francesca se shoote…le père la surprend ! C’est le drame !
Après le face à face tendre de l’enfance, c’est front contre front, que père et fille se défient violemment !

Prima la Vita, de Francesca Comencini, avec Romana Maggiora qui joue la jeuen Francesca photo Francesca Lucdi
C’est à la fin que le film commence…
Et c’est la fiction qui permettra à Francesca d’affronter le réel ! C’est un formidable hommage au cinéma et à son père qu’elle nous offre ici !
Au-delà de l’histoire personnelle de Francesca Comencini, son film nous interroge sur la transmission.
Que transmettons-nous à nos enfants ? Comencini était un père présent, attentif, aimant…Ces trois qualités anti-dérapantes n’empêchèrent pourtant pas la fille de glisser.
L’amour est indispensable, mais est-il suffisant ?
Où sont les murs porteurs de l’éducation des enfants ? Sont-ils aussi solides que nous le pensions ? Comment résister à l’influence terrifiante de l’époque ?
On s’étonne de l’absence de la mère – ou d’une belle-mère – dans l’histoire que la fille d’une certaine façon reproduira en présentant son fils à son père…sans son compagnon ! Quand il y a un père, il n’y a pas de mère et quand il y a une mère, il n’y a pas de père…
Courez-voir ce film

Prima la Vita, de Francesca Comencini, avec Fabrizio Gifuni, Romana Maggiora Vergano photo Francesca Lucdi
Les acteurs sont formidables – avant qu’il ne disparaisse trop vite des écrans. Pourtant son ambition est singulière pour les temps que nous traversons!
Dans mon film, le père donne deux leçons à sa fille : il lui apprend le droit à l’échec, qui n’est pas le contraire de la réussite, mais la quintessence d’une possible réussite ; il lui transmet aussi la confiance de réaliser elle-même ses propres films. Mon père me voyait vulnérable, mais il m’a aussi dévoilé sa propre vulnérabilité.
Il m’a appris que pour arriver à faire des choses signifiantes, il fallait traverser l’échec et aller jusqu’au bout.
C’est une idée qu’il m’importait de transmettre à la jeune génération à mon tour, en ces temps d’injonction au succès.
Francesca Comencini, note d’intention
Scénario et réalisation : Francesca Comencini, image : Luca Bigazzi, Son : Lavina Burchieri, Décors : Paola Comencini, Costumes : Dari Calvelli, Montage : Francesca Calvelli et Stefano Mariotti, Musique : Fabio Massimo Capogrosso
Avec Fabrizio Gifuni (Luigi Comencini), Romana Maggiora Vergano (Francesca Comencini) et Anna Mangiocavallo (Francesca enfant)