Culture

Réconciliation, Henri Cartier-Bresson avec Martin Parr. Les Anglais – The English (Fondation FCB – Delpire & co)

Auteur : Patrice Gree
Article publié le 25 janvier 2023

« Je n’aime pas son travail, mais le type est sympathique » L’avis d’Henri Cartier-Bresson sur Martin Parr failli interdire l’accès du photographe britannique à l’Agence Magnum Photos. Finalement, “l’oeil du siécle” laissa faire, non sans pointer qu’ils appartenaient “à deux systèmes solaires différents”. La Fondation Cartier-Bresson a bien fait de titrer son exposition “Réconciliation” jusqu’au 12 février 2023, insiste Patrice Gree, car ils mettent un identique talent au service d’une même exigence. Témoigner, par l’image ici à 50 ans d’écart sur la classe ouvrière et la classe moyenne, en général, et britannique en particulier avec un fascinant catalogue intitulé Les Anglais – The English (Delpire & co).

Les Anglais vus par Henri Cartier Bresson, 1961. Réconciliation. Fondation HCB 22 Photo OOlgan

L’un va chercher dans les nuances du gris, le beau… l’autre explore les variétés du rose bonbon pour en extraire…le laid

The English, vus par Martin Parr, 2020 Réconciliation, Fondation HCB Photo OOlgan

L’un travaille le noir et blanc, l’autre la couleur.

L’un témoigne, l’autre dénonce…

Criardes, crues et cruelles les photos de Martin Parr ne sont pourtant pas dénuées d’affection pour ses personnages pris au piège de la laideur moderne et sucrée. Ses cadrages faussement approximatifs donnent l’illusion de la spontanéité. Et en même temps quelque chose d’irréel se dégage des foules de touristes, saisies au vif dans les joies crades de la société de consommation! Parr est un orfèvre du rose fluo ! Pour Parr, le monde ressemble à une fête foraine…

Il transforme le laid en bijoux scintillant et le tragique en merle moqueur ! Cartier Bresson, ce maitre de l’image, lui, sublime… le tragique n’est pas drôle chez lui, il est magnifique ! Le cadrage est soigné, la géométrie recherchée, le sujet respecté. La tentation d’opposer le prolo et l’aristo est forte. Mais ce serait une erreur, que la fondation HCB nous épargne.

The English, vus par Martin Parr, 2020 Réconciliation, Fondation HCB Photo OOlgan

Si en apparence, sur la forme tout les oppose, sur le fond les points communs que cette belle exposition révèle, dominent.

Les réunir s’imposait, donc ! Même sujet, la classe moyenne anglaise au travail et dans ses loisirs, même région, le Nord de l’Angleterre, trois époques différentes – 1962, 1986 et 2010 traitées, par deux immenses photographes. En parcourant “the Tube” la nouvelle extension tout en longueur de la Fondations Cartier-Bresson, on n’apprend avec amusement, que leur relations ne furent pas toujours au beau fixe. Martin Parr, qui admirait Cartier-Bresson, représentait par le génie de son style débraillée, tout ce que Magnum, qu’il souhaitait intégrer, rejetait ! HCB en 1989, ne fut pas le dernier à lui claquer la porte de cette célèbre agence, avant, fort heureusement, de revenir en 1994, sur sa décision.

Les Anglais vus par Henri Cartier Bresson, 1961. Réconciliation. Fondation HCB 22 Photo OOlgan

Deux conceptions éloignées de la photographie,
mais un identique talent au service d’une même exigence. Témoigner, par l’image.

Ce qui les  rapproche fondamentalement, c’est le désir de dire…en s’appuyant sur l’image ! La photographie révèle trois choses : le sujet évidemment, le photographe bien sur, mais aussi, l’oublié…le passager clandestin : celui qui la regarde !

The English, vus par Martin Parr, 2020 Réconciliation, Fondation HCB Photo OOlgan

La photographie agit alors comme un miroir devant lequel on s’interroge… sur nous, sur le monde, sur nous dans le monde, sur le monde sans nous !

Les Anglais vus par Henri Cartier Bresson, 1961. Réconciliation. Fondation HCB 22 Photo OOlgan

Henri Cartier-Bresson ne se départ pas d’un point de vue
– et d’un commentaire – connoté de la bourgeoisie française,
alors que Martin Parr, lui, n’a cessé de se revendiquer comme un «middle class photographer ».
Les deux photographes partagent la même ironie amusée.

François Hébel. Commissaire. Réconciliation. Fondation HCB

#Patrice Gree

Références bibliographiques

Jusqu’au 12 février 2023. Fondation Cartier-Bresson, 79, rue des Archives • Paris 3 • 01 40 61 50 50 •

Catalogue. Les anglais – The English. Commissariat de François Hébel, bilingue français/anglais. éd. Delpire & Co, 216 p. 42 €.

Magnifique rapprochement de deux reportages à Black Pool à 50 ans d’écart par deux maîtres, l’un du noir et blanc, l’autre de la couleur. En 2021, la Cinémathèque française exhume un film réalisé en 1962, dans lequel Henri Cartier-Bresson fait un portrait amusé des Anglais au travail et lors de leurs loisirs… dans le nord industriel de l’Angleterre. En 2010, Martin Parr reçoit une commande d’Emma Chetcuti, directrice de l’organisation Multistory, pour retourner dans le « Black Country », il se rend sur la même plage de Blackpool pour photographier leurs loisirs. Il ignore alors qu’Henri Cartier Bresson y a fait un reportage similaire cinquante ans plus tôt.

S’il est une différence flagrante entre les photogra – phies de Martin Parr dans les années 2000 et celles d’Henri Cartier-Bresson en 1962, c’est la présence d’une immigration heureuse aux côtés d’«Anglais » désabusés, ainsi que la disparition annoncée des der[1]nières industries, au profit de sociétés de services. Le reste, la tour Eiffel de Blackpool, les jeux de bord de mer, faute de pouvoir se baigner, l’envie de s’amuser et de danser, quel que soit le climat, semble inchangé. Ce sont donc deux écritures photographiques pour décrire une même société et son évolution au travail et à la plage: les photos d’Henri Cartier-Bresson pour le film en 1962, et de Martin Parr, des images provenant essentiellement de ses photos Black Country Stories réalisées à partir de 2010.
François Hébel. Les Anglais

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