Culture

Rentrée littéraire 2020 : Metin Arditi, Nicolas Deleau, Anthony Palou, Ghazi Rhabihavi

Auteur : Patricia de Figueiredo
Article publié le 2 septembre 2020

Face aux « déjà tout désignés » des Prix littéraires, Singulars conseille quatre romans de cette rentrée littéraire : deux œuvres majeures sur la tolérance  de Metin Arditi, Rachel et les siens et Ghazi Rhabihavi, Les Garçons de l’amour  et deux romans « Finistériens »  de Nicolas Deleau, Des rêves à tenir et Anthony Palou, La Faucille d’or.

Metin Arditi, Rachel et les siens, Grasset

1917, la jeune Rachel vit avec ses parents, des juifs de Palestine qui vivent en bonne harmonie avec leurs voisins des Arabes chrétiens. Ils adoptent Ida une petite fille juive ashkénaze, dont la famille vient de mourir. Au début Rachel la voit comme une intruse, mais elles deviennent vite fusionnelles. Forcée de quitter Jaffa, la famille se retrouve dans un kibboutz, c’est le début d’une saga qui mènera la jeune fille, qui deviendra dramaturge, jusqu’à Paris.

Le souffle de l’Histoire, entre guerres et conflits, passe sur ce roman fleuve écrit par l’écrivain francophone d’origine turque. Ce superbe portait de femme se décline comme une ode à la tolérance, à la cohabitation des peuples et des religions au Moyen-Orient. L’amour du théâtre transparait également dans ce roman qui commence avec la naissance de la perception pour Rachel du pouvoir des mots sur scène : « …les applaudissements reprirent. Un sentiment étrange traversa Rachel à cet instant. Elle comprit qu’elle était l’obligée des spectateurs. C’était à elle de s’incliner devant eux pour les remercier de l’occasion offerte. »
Un livre à ne pas manquer cet automne.

Ghazi Rhabihavi, Les Garçons de l’amour, Serge Safran éditeur. 

« Ce village que j’aimais tant s’était transformé pour moi en un lieu d’épouvante et d’effroi. Comment en était-on arrivé là ? Cela devait arriver de toute façon puisqu’on m’y considérait comme un malade. Hajji avait fini par conclure que j’étais incurable. Je n’étais pas le fils qu’il attendait. »

Djamil, fils cultivé d’une bonne famille de province en Iran tombe amoureux de Najil, un faucheur de blé. Leur relation, condamnée par la famille du premier, les contraints à fuir leur ville, à travailler dans une ferme puis à s’exiler, au moment où éclate la révolution islamique.
S’ensuit alors une longue errance pour les deux hommes faîte de douleurs, de peurs, de solitude, qui les contraints de revenir en Iran alors qu’éclate la guerre avec l’Irak.

L’auteur Ghazi Rabihavi, qui vit en exil à Londres a écrit en persan Les garçons de l’amour directement traduit en français par Christophe Balaÿ. Ce roman est une dénonciation brillante et poignante des sociétés patriarcales où l’homosexualité est bannie et punie, où les femmes sont quasiment absentes. Et pourtant les frustrations, la promiscuité entre hommes, la concupiscence, le poids de la religion induisent violences et haines. Reste l’amour de Djamil et Najil qui éclaire ce roman par ses fulgurances. Une œuvre majeure à l’heure où l’homosexualité mène encore à la peine de mort dans certains pays et où l’intolérance grandit dans nos sociétés.

Nicolas Deleau, Des rêves à tenir, Grasset

Dans un petit port de pêche quelque part en Finistère, les « Partisans de la Langouste » ont déjà fait parler d’eux. Une journaliste venue enquêter se retrouve avec cette bande d’amis – entre les Pieds Nickelés et Robin des Bois – en action commando pour libérer les animaux d’un aquarium. Un marin, un charpentier, deux jumeaux prof de surf et puis il y a Gwenn, la fille de la bande.  Mais il y a aussi Job, qui réapparaît après avoir disparu 30 ans. Ce dernier noircît des pages d’un carnet et dans le même temps se dissout peu à peu à la vue du seul le narrateur.

Après les langoustes, ces utopistes veulent rejoindre un bateau en Méditerranée, sorte d’Arche de Noé de migrants, le Pride of Maersk rebaptisé ‘Shame of Europe’.

Parti sur un mode humoristique, le roman tourne peu à peu à une fable humaniste et philosophique, sur un style tout en légèreté.

Anthony Palou, La Faucille d’or, Éditions du Rocher

David, journaliste parisien, est envoyé dans le Finistère, là où enfant il passait ses vacances, pour enquêter sur la disparition en mer d’un marin-pêcheur. Accident ? Meurtre ? Ils rencontrent des hommes et des femmes durs au mal, mais aussi un peintre nain double de Toulouse Lautrec, Clarisse la femme du disparu. Tout un petit monde qui lui fait découvrir la vie des marins-pêcheurs, les côtiers et surtout les hauturiers, ceux qui passent quinze jours en mer avec la peur en ventre, celle de l’accident, de la noyade, des hommes qui noient leur mal-être dans l’alcool et la drogue. Le mal-être David le connait bien avec l’impression de végéter dans sa propre vie.

Ce roman sent le varech et les marées : Penmarch’, Le Guilvinec, Concarneau… autant de noms évocateurs de ce « bout de la terre ». Il faut entrer petit à petit dans ce livre mélancolique, parfois drôle, jamais triste qui dénonce une certaine dérive de la pêche, tout en rendant hommage à ceux qui la pratiquent.

Références bibliographiques

  • Metin Arditi, Rachel et les siens, Grasset ; 504 p. 24€
  • Ghazi Rhabihavi, Les Garçons de l’amour, Serge Safran éditeur. 432p. 23,90€
  • Anthony Palou, La Faucille d’or, Éditions du Rocher, 16€, 149p.
  • Nicolas Deleau, Des rêves à tenir, Grasset, 18€, 192p.

Partager

Articles similaires

Les Notes du blog ‘5, Rue du’, de Frédéric Martin, photographe existentialiste

Voir l'article

Le carnet de lecture d’Éric Charvet, aphoriste, L’avenir a déjà été.

Voir l'article

Des classiques à voir ou relire : Rambert, Duras, Hugo, Camus et Anouilh

Voir l'article

Divorce à la française (tout sauf à l’amiable) d’Éliette Abécassis (Grasset)

Voir l'article