Résonance : Jean-Michel Basquiat et l’univers Kongo (Galerie Gradiva)

Jusqu’au 19 novembre 2022, Galerie Gradiva. 9, quai Voltaire, 75007 Paris
Lundi-samedi 10h-18h30

Le rapprochement – de niveau muséal – de dessins de Jean-Michel Basquiat (1960-1988) avec les figures de pouvoir nkisi nkonde de la sphère culturelle kongo fut le coup d’éclats de l’édition 2022 du Parcours des Mondes. Cette « Résonance » à la Galerie Gradiva jusqu’au 19 novembre 2022 ouvre « des positions d’équilibre ou des points de bascule vers d’insondables gouffres » selon Bernard Dulon, co-commissaire d’exposition, et éclaire les parts d’ombre fascinantes de l’artiste autodidacte new yorkais avec l’Afrique.

Jean-Michel Basquiat, Sans titre, 1987Nkisi nkonde (culture kongo/sundi de l’Ouest. Résonance Galerie Gradiva. Photo OOlgan

Une résonnance propédeutique

« Communiquer avec les ancêtres ou redessiner le monde ne participe que d’une seule ,obsession qui est de vaincre la mort. Point de déni, mais un combat de chaque instant pour les sorciers, les mages et les artistes ! «  éclaire avec force les enjeux de cette « Résonance » avec profondeur Bernard Dulon, le co-commissaire. Cette magnifique exposition, fruit de deux années de travail, initiée avant sa disparition en 2020 par Enrico Navarra rapproche une vingtaine de dessins réalisés entre 1981 et 1987 de Jean-Michel Basquiat à une vingtaine de remarquables statues anthropomorphes et zoomorphes nkisi nkonde provenant des collections du musée de Tervuren.

Nkisi nkonde (culture kongo/vili) – Jean-Michel Basquiat Sans titre, 1984-1986 & 1983 Résonance Galerie Gradiva Photo OOlgan

« fétiches à clous », les nkisi nkonde, objets de pouvoir

Les nkisi nkonde étaient des fétiches/charmes (nkisi) puissants connus de certains groupes kongo occupant les actuels pays d’Angola, de la République démocratique du Congo et de la République du Congo.
Objet rare et onéreux à créer, le nkisi nkonde était employé par un nganga (ritualiste) pour servir les besoins de la communauté. Cumulant plusieurs fonctions, il pouvait notamment être utilisé pour jeter un sort ou conjurer le destin, traquer des malfaiteurs et des ndoki (sorciers) ou encore aider à guérir certaines maladies. Intimement liée au pouvoir politique, la présence d’un nkisi nkonde efficace au sein d’un village représentait une source de prestige et de richesse.
Ainsi, le chef d’un clan pouvait accepter de « louer les services » de son nkisi nkonde à un autre village n’en possédant pas. En dehors des cérémonies publiques aux quelles il participait, le nkisi nkonde était placé dans une habitation spécifique et confiée à la garde d’une ou plusieurs personnes.

Nkisi Nkonde (culture kongo) – Jean-Michel Basquiat. Sans titre, 1985 Résonance, Galerie Gradiva Photo OOLgan

Le pèlerinage visuel de Basquiat en Afrique à 25 ans

Nourri d ‘un héritage culturel mixte (haïtien et portoricain), Jean Michel-Basquiat a puisé dans l’histoire africaine, le symbolisme et les stylisations dans ses œuvres d’art, pour proclamer sa solidarité avec ses racines noires, pour lutter contre le racisme et créer sa vision artistique unique. « On peut y entrevoir, s’il en est encore besoin, la grandeur culturelle et intellectuelle que revêt l’Atlantique noir, et ressentir ainsi pleinement la force palpable de toute une mémoire, des rives du fleuve Congo à celles du Mississipi » écrit Romain Brun, dans l’un des textes qui composent le catalogue édité à cette occasion.

Jean-Michel Basquiat Sans titre, 1985Nkisi nkonde (culture kongo/sundi) Résonance Galerie Gradiva Photo OOLgan

Notre mémoire culturelle nous suit partout, où que l’on se trouve.
Jean-Michel Basquiat

Héraut de la cause des artistes noirs.

À l’existence de l’homme afro-américain menacée par le racisme, l’exclusion, l’oppression et le capitalisme, il oppose ses guerriers et héros. « Jean-Michel Basquiat se confronte ainsi à des influences qui contribuent à le révéler à lui-même, dans une double pratique artistique qui s’appuie tant sur une maîtrise profonde du modernisme que sur tout l’apport de la symbolique des cultures africaines et de leurs déclinaisons diasporiques. C’est transporter en soi une appartenance immémorielle. » ajoute Romain Brun.
Jean-Michel Basquiat écrit ainsi avant son séjour à Abidjan : « Je ne suis jamais allé en Afrique. Je suis un artiste qui a été influencé par son environnement new-yorkais. Mais je possède. Je n’ai pas besoin de la chercher, elle existe. Elle est là-bas en Afrique. Ça ne veut pas dire que je dois aller vivre là-bas.»
Irrigués d’une impulsion juvénile et portés par une véritable rage, ses dessins libèrent et transcendent comme un exorcisme la brutalité qu’il a vécu ou dont il a été témoin.

Résonance Jean-Michel Basquiat et l’univers Kongo, Galerie Gradiva Photo OOlgan

Un primitivisme très syncrétisme

Jean-Michel Basquiat. Sans titre, 1985 Résonance, Galerie Gradiva Photo OOLgan

Ne pas confondre résonnance et correspondances. Si on retrouve dans différentes œuvres de Basquiat des personnages semblables aux statues transpercées de pointes ou brandissant un objet dans une attitude agressive que l’on observe sur de nombreux nkisi nkonde ; des personnages tendant une main vers le ciel et l’autre vers la terre ; des planches en bois littéralement couvertes de clous qui présentent quelques analogies avec les pratiques rituelles liées aux nkisi nkonde. Romain Brun alerte qu’ « il serait délicat d’établir plus de rapprochements entre ces deux univers dans la mesure où la ressemblance que l’on croit pouvoir déceler dans certaines œuvres est somme toute très suggestive et ne constitue pas une preuve irréfutable ».

«  Basquiat a ma­nifesté des ­dis­positions ahurissantes pour l’appropriation de “suggestions” et d’“influences”, proches ou lointaines, d’où qu’elles viennent, toujours avec le désir et la faculté “alchimiques”, dès le début, de transformer ces sources d’inspiration en un langage pictural qui fut le sien – à la fois en dépit et en raison du fait que ce langage prenait racine dans une pratique du graffiti qui était, qui est encore, à certains égards, collective. » écrivait Francesco Pellizzi, ­anthropologue et historien de l’art, dans le catalogue de la fondation LVMH en 2018.

« Il n’est pas impensable qu’on voit un jour, au voisinage immédiat de la Joconde ou, pourquoi pas, juste face à elle, ce qui rendrait son sourire plus « énigmatique » que jamais, l’une de ces pièces anthropomorphes, yeux hagards, bouche ouverte et poing droit levé brandissant une arme manquante, tout encombrée de cordes, de nœuds, de cloches, de chaînes, de sacs avec un nombril proéminent en forme de boîte fermée d’un miroir, mais surtout lardée, depuis le bas des jambes jusqu’à presque dévorer le visage, de pointes et de lames de fer enfoncées dans le bois ».
Jean Bazin, Des clous dans la Joconde

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