Culture
« Se voir en l'autre » : la Saison de la Lituanie s’invente en France
Auteur : Thierry Dussard
Article publié le 16 septembre 2024
Pays mystérieux, nation bousculée, et peuple courageux : la Lituanie a été la première des quinze républiques soviétiques à quitter le rideau de fer en proclamant son indépendance en 1990. La plus méridionale des trois républiques baltes a rejoint l’Europe et l’Otan depuis vingt ans, cela vaut bien un hommage et une fête, pour Thierry Dussard que célèbre La Saison de la Lituanie, ‘Se voir en l’autre’ jusqu’au 12 décembre. Un festival d’activités culturelles à travers plus de 200 événements partout en France : du Centre Pompidou au Théâtre de la Ville, et de Brest à Nimes, comme autant d’actes de résistance face à l’invasion de l’Ukraine qui menace « Une Autre Europe », l’un des titres du prix Nobel de littérature, Czeslaw Milosz, qui fit ses études à Vilnius.
Thème de la Saison : Se voir en l’autre
La capitale de la Lituanie, amputée par les pogroms et les déportations du XXe siècle, compte aujourd’hui 600 000 habitants, et fait preuve d’une vitalité inouïe. Le thème de la Saison de la Lituanie, « Se voir en l’autre », en témoigne.
« Nous ne chercherons pas à nous ressembler, mais à nous enrichir mutuellement »
Gitanas Nauséda, le Président de la république lituanienne
L’art n’est plus ainsi un outil idéologique, mais un moyen d’expression personnelle. Les artistes n’ont plus besoin de s’exiler, tel Kazys Varnelis (1917-2010) dont les peintures cinétiques ont apporté à l’op art une vision très originale. Les 15 toiles exposées au Centre Pompidou (peintes au pinceau et non à la bombe), s’inscrivent entre Fernand Léger (visible au 4 ème étage) et Victor Vasarely.
Marionnettes, vidéo, mur peint, tout est art
Deux installations vidéos de deux pionnières de l’art performatif
Deux vidéos de pionnières de l’art performatif, à l’intersection entre les arts visuels et les arts du spectacle explorent le pouvoir de persuasion du collectif, la vulnérabilité de l’environnement comme des corps, et les
relations entre ceux-ci.
Au Centre Pompidou, dans la donation du Mo Museum de Vilnius qui associe œuvres historiques et récentes, « For Guilty without Guilt. Trap. Expulsion from Paradise », la première performance d’Eglé Rakauskaitė (né en 1967) montre treize jeunes femmes vêtues de robes blanches, reliées entre elles par leurs cheveux. Progressivement et collectivement, elles vont se libérer symboliquement de toute entrave. Cette métaphore évoque également le corps de la jeune femme, du passage à l’âge adulte et à la maturité dans un contexte religieux.
Originaire d’une ville qui ne compte pas moins de 28 églises et dont l’horizon fourmille de clochers, l’artiste aborde le poids de la religion dans la société lituanienne contemporaine et tous les paradoxes qui en découlent dans sa série Chocolate Crucifixes (1995), en mettant en scène la religion comme objet de consommation.
En parallèle, le Frac Île-de-France au Plateau jusqu’au 23 février 2025, De sang chaud et de terre, de sa compatriote Eglė Budvytytė est une performance vidéo tournée dans différents paysages de Lituanie notamment les paysages industriels des carrières d’argile et de calcaire dans le nord et le sud de la Lituanie, près de la rivière Ūla. Elle s’inspire librement du travail de l’archéologue lituanienne Marija Gimbutas et de ses recherches sur la période néolithique et la découverte de traces témoignant des cultures matrilinéaires de l’époque.
« L’ancienne religion balte, peuplée de déesses et de dieux de la terre et de la forêt, a perduré jusqu’au 20e siècle, retardant considérablement l’arrivée de la modernité et sa relation réductrice et exploitante avec la nature. Marija Gimbutas conclut que des éléments de la sensibilité religieuse des déesses ont survécu dans les modes de vie de
la Lituanie rurale »
Eglė Budvytytė
L’installation filmique d’un panthéisme envoutant brosse une tentative spéculative de traduire la patience de la manipulation archéologique et le respect de ses matériaux — tels que les figurines d’argile et les vestiges des temples et des sites funéraires — en poésie, en images en mouvement et en chorégraphies dans une relation intime entre le corps et la terre.
Ce ne sont que des échantillons de cette Saison riche de 200 projets, associant 500 artistes dans 80 villes de France.
Sur les murs, 107 rue Oberkampf à Paris, où le street artist Linas Kaziulionis illustre sa solidarité avec l’Ukraine. Ou le Théâtre des marionettes de Kaunas qui investit Toulouse du 27 septembre au 13 octobre. Ou bien encore, le nouveau cinéma lituanien à Poitiers, du 29 Novembre au 6 décembre, ainsi que le court-métrage à Brest entre les 12 et 17 novembre.
Muzika et débats, demandez le programme
La musique n’est pas en reste et s’invite dans le superbe Musée du Louvre Lens, et au Théâtre Olympe de Gouges de Montauban. Ainsi que le 28 novembre au Petit Bain à Paris, le 29 à Vendôme, et le 30 à l’Antre Peaux de Bourges. L’Orchestre de chambre de Lituanie se pose, lui, à Aix-en-Provence avec Vivaldi, Bach et Philp Glass.
Tandis que Les Rendez-vous de l’Histoire de Blois accueillent films et conférences du 9 au 13 octobre ; tout comme Les Champs Libres, à Rennes, qui ouvrent leurs portes aux débats du 27 novembre au 1er décembre.
Et pour ceux qui ont encore faim, Vilnelé une cantine lituanienne ouvre du 12 au 27 octobre, au Plural Café, 17 rue Julien Lacroix, Paris 20e. Au menu : sève de bouleau, avec canapés aux carottes et aux champignons !
Lire « Vilna Tango », pour partir à Vilnius
« La vieille ville de Vilnius a la forme d’un cœur », lit-on dans l’excellent « Vilna Tango », publié chez Stock, dont l’auteur reprend le mot yiddish pour qualifier la Jérusalem du Nord. « Mon cœur bat toujours à l’Est, et il y bat plus fort », confesse Thierry Clermont, journaliste au Figaro Littéraire et écrivain, fasciné par cet orient transi, dont seule la langue lituanienne, paraît-il proche du sanskrit, a quelque chose d’oriental.
« S’offrir au langage d’un lieu, et…s’y abandonner »
Thierry Clermont, Vilna Tango
Et on le suit avec bonheur dans les rues et les cafés de cette Babel de la Baltique qui tourne le dos à la mer. Mais pas à la littérature, Stendhal y a séjourné avant la retraite de Russie, Mérimée y a consacré une nouvelle « Lokis », Simenon y situe son roman « Outlaw », et Romain Gary est né à Vilnius (alors annexée à l’Empire russe), sous le nom de Roman Kacew. « En Lituanie, les communistes ont davantage déporté que les nazis », affirme Thierry Clermont, soulignant que tout insigne nazi ou communiste y est interdit sous peine d’amende.
Découvrir Sutkus, le photographe inoubliable
La photographie lituanienne est particulièrement riche, de Moï Ver qui a portraituré les Juifs de Vilnius dans les années 1920, à Ramuné Pigaité, en passant par Antanas Sutkus. Ou plutôt en s’arrêtant à Sutkus, le géant de la photo balte né en 1939, dont les images en noir et blanc retiennent la magie de quelques instants incisifs dérobés à l’histoire
On connaît de lui la silhouette de Sartre, mains dans le dos, qui avait fait la une de Libération à la mort du philosophe, mais il ne faudrait pas oublier l’inoubliable, comme ce visage d’un jeune aveugle à Kaunas en 1965, ou ce dortoir de Vilnius en 1959 d’une stupéfiante modernité.
A voir à Paris Photo du 7 au 10 novembre ou sans attendre à la galerie de Liza Fettisova ou sur Arte TV, « Le photographe qui humanisait l’URSS«
Thierry Dussard
Informations pratiques
Si l’effervescence de la culture lituanienne vous a donné envie de la vivre sur place
Un riche patrimoine culturel, une nature préservée, une cuisine savoureuse, un peuple fier et accueillant,… les raisons ne manquent pas pour partir à Vilnius. d’autres destinations ou parcours avec Lithuania Travel
Comment aller à Vilnius ? dès cet automne, ou sous la neige juste avant Noël
- après 2.30 h de vol depuis Paris notamment avec Air Baltic le dépaysement est total.
- Et les écolos soucieux de leur bilan carbone peuvent même prendre le train (via Berlin et Varsovie)
En France : jusqu’au 12 décembre 2024, La Saison de la Lituanie, ‘Se voir en l’autre’ : A travers plus de 200 événements au gré de trois grandes thématiques – voisinage global, diversité et identités, imagination débridée – la programmation couvre un large éventail de phénomènes culturels contemporains, de media et de thèmes d’actualité, en suscitant des explorations créatives et une réflexion sur le passé, le présent et les futurs possibles et en abordant les valeurs essentielles de l’Europe : la dignité humaine, la liberté, la démocratie, l’égalité, les droits humains, la créativité et la résilience face au changement climatique.
du 26 septembre 2024 au 23 février 2025, Eglė Budvytytė, De sang chaud et de terre, 2024 au Frac Île-de-France, Le Plateau, 22 rue des Alouettes 75019 Paris
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