Culture

Jean Zay, un homme complet, de et avec Xavier Béja (Essaïon - Espicene Avignon)

Auteur : Patricia de Figueiredo
Article publié le 20 janvier 2024

En cette année du 80ème anniversaire de la mort de Jean Zay (1904-1944), le comédien Xavier Béja brosse et incarne avec incandescence le visionnaire qu’était l’ancien ministre de l’Éducation nationale et des Beaux-Arts du Front populaire. Ce seul-en-scène poignant s’inspire des « Souvenirs et solitude » écrit par Zay pendant son incarcération de quatre années à la prison de Riom, condamné à la déportation par le régime pétainiste. Après l’ Essaïon, la mise en scène immersive de Michel Cochet reprise à l’ Episcène à Avignon du 29 juin au 21 juillet, renforce le tragique d’un destin brisé pour ses idées, mais lumineux pour Patricia de Figueiredo par l’humanisme d’une conscience exemplaire. Bouleversant.

Une formidable leçon de présence au monde

Jean Zay, enfermé par Pétain a écrit ses « Souvenirs et solitude » pendant ses quatre ans de détention injuste. Théâtre Essaïon Photo David Ruellan

En juin 1940, Jean Zay fait partie des parlementaires qui embarquent sur le Massilia pour constituer un gouvernement en exil en Afrique du Nord. Ils sont arrêtés au Maroc puis condamnés par le tribunal militaire de Clermont-Ferrand pour « désertion en présence de l’ennemi » au mépris de toute vérité et d’un procès équitable. Alors que son ami Pierre Mendès France parvient à s’enfuir, l’ancien ministre de l’Éducation nationale et des Beaux-Arts du Front populaire est transféré à Marseille puis emprisonné à Riom pendant quatre années. C’est un homme luttant contre son anéantissement moral et intellectuel qui a la force d’écrire ses « Souvenirs et solitude », texte littéraire à ce point sensible et incarné qu’il nous permet un retour dans le temps d’une saisissante netteté.

Jean Zay nous offre ses yeux, son cœur et son corps pour vivre les déchirures et les retournements de l’Histoire. On y est. Véritablement. (…) A la lecture de son ouvrage, j’ai eu le sentiment immédiat de rencontrer une conscience exemplaire, une conscience repère, une conscience amie me permettant de prendre la mesure de toutes choses.
Michel Cochet, metteur en scène

Un dispositif immersif de chambres et de passages, sans véritable matérialité

La mise en scène de Michel Cochet s’appuie sur les vidéos de Dominique Aru, et les lumières de Charly Thicot, Théâtre Essaïon Photo David Ruellan

C’est le quotidien assommant de cet emprisonnement martyr jusqu’à son assassinat le 20 juin 1944 par la Milice dans lequel nous plonge au sens propre la mise en scène de Michel Cochet. Elle s’appuie sur la salle étroite toute en pierres du Théâtre Essaïon pour nous immerger dans un « espace mental », celui d’un homme tentant de toute son énergie et raison « de rester « complet », ce qui n’exclut en rien – telles sont ses paroles mêmes – la joie, la colère et l’humour ».

Cet espace mental est d’autant plus oppressant qu’il est habité uniquement de quelques éléments de mobilier. Il est structuré autour de la présence du prisonnier, par un travail exceptionnel sur la lumière signée de Charly Thicot, jouant avec la notion d’enfermement et le passage des saisons au diapason des créations sonores d’Alvaro Bello.  Les créations vidéos de Dominique Aru, mêlant images d’archives et séquences oniriques donnent une réalité à cette conscience aigüe à l’engagement exemplaire.

Inutile de surjouer l’exemplarité

Xavier Béja bouleverse dans son incarnation de  Jean Zay, un homme complet, Théâtre Essaïon Photo David Ruellan

Seul en scène, en proie aux démons et utopies de son personnage, Xavier Béja nous captive, nous émeut, sans jamais forcer le trait, ni sur l’émotion, ni l’apitoiement.  Au contraire, le natif  d’Orléans, de père d’ascendance juive (comme Jean Zay), incarne un homme debout, lucide, fascinant d’intégrité. Habité par cette figure historique exemplaire, le comédien  nous laisse vivre les silences et les espoirs pour mieux mettre en valeur toutes les dimensions d’un texte écrit qui porte de la conscience d’un homme « dans les déchirures et les retournements de l’Histoire » pour toucher l’universel.

« La voix qui se fait entendre dans « Souvenirs et solitude » est à ce point sensible et incarnée qu’elle nous permet un retour dans le temps d’une saisissante netteté. (…) Au-delà de la chronique souvent émouvante, bien qu’emplie de pudeur, de la vie quotidienne d’un prisonnier, Jean Zay porte un regard sur son action passée et sur la situation de la France à l’époque. C’est un livre exceptionnel, à l’image de son auteur : à la fois homme politique, résistant, écrivain et penseur d’une immense culture.
Michel Cochet, metteur en scène

Bien avant Malraux, une action indélébile comme ministre des Beaux Arts du Front Populaire

Bien entendu, comme tout le monde,  on ignore ou feint d’oublier – pour valoriser ses successeurs après la guerre – l’étendue des actions et créations que l’on doit à Jean Zay :  citons pêle-mêle, le CNRS, la Réunion des Théâtres Nationaux, le Musée de l’Homme, le Musée d’Art moderne et celui des Arts et Traditions Populaires, prépare le premier Festival de Cannes, pérennise le Palais de la Découverte, organise l’Exposition universelle de 1937… Quant la culture pour tous, il  développe la lecture publique, favorise le théâtre populaire, invente les bibliobus, propose un projet de loi sur les droits d’auteurs,…

Xavier Béja en Jean Zay captive et émeut sur un destin exemplaire et trop méconnu Théâtre Essaïon Photo David Ruellan

Il incarne tout ce que Vichy déteste : le Front Populaire, les Juifs, la Franc-maçonnerie, la République radicale, l’enseignement public, la résistance à Hitler. Ce spectacle poignant et salutaire, dédié à un humaniste visionnaire, est aussi l’occasion de retracer la situation des années 1930, d’en voir les parallèles avec aujourd’hui… sans oublier l’antisémitisme qu’il subit.

Elégance, courage, rigueur et esprit de compassion, tels sont les termes qui pour moi caractérisent son récit de captivité. Car, même quand Jean Zay parle de lui-même (comment faire autrement quand il s’agit de solitude), c’est avec le souci du partage, de la lisibilité d’une réflexion placée à un endroit d’intelligence commune, sans pathos, ni acrimonie. Son regard est en ce sens intimement politique. Au sens noble du terme.
Michel Cochet.

On l’aura compris, ce seul en scène est essentiel autant pour la conscience qu’il réveille que pour le réveil des bonnes volontés qu’il appelle.

Patricia de Figueiredo

Pour suivre la tournée de Jean Zay, Un homme complet

du 29 juin au 21 juillet, Episcène, 5 rue Ninon Vallin, Avignon, 84000 – info@episcene.be

Adaptation et jeu : Xavier Béja,
Mise en scène : Michel Cochet, Décor, Costumes : Philippe Varache, Vidéo : Dominique Aru, Lumières : Charly Thicot, Création sonore : Alvaro Bello

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