(Seul en scène) Le secret de la Méduse, d'Antoine Guiraud et (avec) Geoffrey Callènes (Théâtre de la Huchette)
Un théâtre en forme de bateau ou d’atelier
Dés qu’il surgit sur cette scène plongée dans le noir, Geoffrey Callènes pied nu, troussé en costume en marin d’époque de la Méduse, capte notre attention. La présence et le verbe croustillant du gaillard habitent littéralement le tréteau quasi vide (à part une table, un livre et un broc pour tenir la distance) Son récit a de quoi frapper l’imagination ! Il ne va jamais cesser de la solliciter près d’une heure trente durant. Tous les moyens du théâtre sont investis ; le mime, le changement de rythme, et de voix. Ici le drame est incarné, avec l’ambiguïté que ce pourrait être Géricault lui même qui cherche son angle! L’acteur est totalement crédible dans les traits de Pierre-Laurent Coste, rare survivant du naufrage de La Méduse qui défraya la chronique vers 1816.
Lumières tranchées, picturales, exprimant l’exploration des abysses de la psyché humaine. Clair-obscur, sfumato, expressionnisme… Palette à la folie, à la rage et à l’impuissance ; mais à l’amusement aussi. Car il est comme un jeu d’enfant de s’imaginer une aventure, de l’embrasser de toute sa foi, fusse-t-on dans une chambre emplie de jouets ou dans un atelier de peintre.
Geoffrey Callènes et Antoine Guiraud. Note d’intentions
Le récit d’un acteur caméléon
Comme le Titanic (dont les deux auteurs ont fait un spectacle), si la fin est connue, les circonstances du drame – la défaillance et l’irresponsabilité habituelles – le sont beaucoup moins. Dans un récit alerte très bien tenu, quasi clinique que porte avec ferveur Geoffrey Callènes, le spectateur est entrainé dans l’enchainement d’incompétences et de lâchetés qui va conduire à l’une des pages les plus dramatiques de la marine française.
L’acteur caméléon se jouant des accents et des tics des personnages incarne plusieurs protagonistes du drame, surtout des matelots et les soldats, obligés de se mettre sur un radeau après l’ensablement du navire. Pour être ensuite abandonnés.
Une incarnation flamboyante
Ce qui se passe sur le radeau condense la folie des hommes qui iront jusqu’au tabou du cannibalisme. Pour la rendre vivante Geoffrey Callènes ne ménage, ni ses talents, ni sa peine pour nous plonger au cœur de l’horreur et de la sauvagerie des victimes de la bêtise aristocratique. Qui n’ont qu’un seul tort, une rage de vivre à tout prix. Habilement, il prend le peintre à témoin qui lui sera faire preuve d’engagement politique.
De ce scandale, les chiffres parlent d’eux même : sur les 147 places sur le radeau, 100 morts le premier jour, 15 survivants au 12e jour moment du « sauvetage ».
Une immersion passionnée
Maintenant que vous connaissez le vrai récit – pas celui de l’enquête officielle qui exonéra le commandement aristocratique – vous aurez envie – ce que j’ai fait – de revoir l’immense tableau du Louvre. Vous ne le regarderez plus de la même façon, des détails vous parleront mieux, grâce au puissant plaidoyer dédié à tous ces pauvres innocents, magnifiquement porté par la voix et le corps de Geoffrey Callènes. Pour une vraie expérience artistique immersive, mais ouf sans métavers.
Avec Geoffrey Callènes, Mise en scène : Antoine Guiraud, Lumières : Rémi Saintot.