Culture
Stéphane Thidet, à la fois maître et manipulateur de réel
Auteur : Marc Pottier, Art Curator basé à Rio de Janeiro
Article publié le 11 septembre 2020
[Découvrir les artistes d’aujourd’hui] Stéphane Thidet revendique que la nécessité de faire de l’art vient de notre inadaptation au monde réel. Celui qui assume d’emprunter à beaucoup s’oblige selon ses termes à « emboiter les choses autrement ». Après un stimulant échange, Singular’s le voit autant comme un maître qu’ un manipulateur du réel, comme en témoigne son ‘Rideau’ pour le théâtre Graslin à Nantes jusqu’au 27 septembre.
Produire des histoires dans l’ interstice hybride de la réalité et de la fiction
Cet artiste poète né en 1974 à Paris travaille à Aubervilliers est proche de la sculpture mais va bien au-delà. Son travail est particulièrement prolifique comme en témoigne la richesse de son site, indispensable pour suivre ce conteur attachant.
Tout comme les nombreux espaces qu’il investit, Stéphane Thidet souhaite modifier l’existant. Ses œuvres doivent « transpirer, déborder ». Le son, l’odorat, l’atmosphère… font partie intégrante d’installations-architectures magistrales où jouent et cohabitent eau et pluie, feu, sable, bois, pierres, plantes et animaux lâchés sans bride… Ce qui compte sont les histoires qui se produisent dans un interstice hybride. Sa vision de la réalité s’imprègne de ses fictions, de ses détournements où la nécessité de perte de contrôle est fondamentale.
« Quand tout est donné, il y a peu de place pour l’émotion » précise-t-il en citant aussi le ‘hors champ’ de son travail, le fait de ne jamais vouloir tout livrer. Il va au-devant de frustrations et veut devenir lui-même extérieur et public de ce qu’il a libéré.
De nombreux détournements au sens propre et figuré
Peu d’éléments sont soumis ou produits de sa main. Vent, eau, loups entrent dans ses ‘inventions’ ou il plonge le public dans ses illusions au sens propre et figuré. Tout en effet chez Stéphane Thidet est d’abord une question d’énergie, de vivants et de forces telluriques.
C’est par exemple le cas du « Refuge » (visible aujourd’hui chez Pommery) où le public regarde par les fenêtres ou la porte, une cabane traversée d’une pluie incessante dont les murs, les meubles et les quelques livres épars sont inexorablement inondés par ce déluge que rien ne semble pouvoir arrêter.
Ou encore la très spectaculaire performance-installation ‘La Meute’ où il imagine en 2009 dans le cadre de l’événement Estuaire Nantes <> Saint-Nazaire au Château des ducs de Bretagne à Nantes, de lâcher une meute de loups qui occupèrent les douves pendant trois mois, restituant une part de l’imaginaire du Moyen Âge et de ses mythes au cœur de la ville.
Détournement est d’ailleurs le titre d’une de ses œuvres de 2018 où il détourne l’eau de la Seine en la guidant entre les colonnes de l’immense salle des gardes de la Conciergerie, pour la laisser se déverser en une cascade comme s’échappant de ce haut lieu de détention de la révolution française, rappelant aussi la grande crue historique de 1910.
L’eau est donc très présente dans ses œuvres.
Même s’il essaye de s’en échapper en fait l’artiste n’en a jamais vraiment fini avec cet élément liquide. Comme avec ‘Les Pierres qui pleurent’ en 2019, à Chaumont-sur-Loire où il fait pleurer littéralement de lourdes pierres suspendues au plafond de la Grange aux Abeilles. Comme dans de bien nombreuses légendes, derrière les cascades se trouvent une grotte, ou un trésor. Le public pouvait s’y glisser et découvrir l’envers du décor. Il s’agissait dans ce projet de libérer un flux, une énergie, pour réveiller un bâtiment : « Le masquer autant que le révéler.” confiait à l’époque Stéphane Thidet.
Aujourd’hui le public peut découvrir « le Rideau » du théâtre Graslin à Nantes jusqu’au 27 septembre. Pour lui l’eau l’amène à cette dualité entre l’abime dans lequel on se jette et le fluide vivifiant créant les rires des enfants qui jouent avec. « Le monde a un potentiel plus large qu’on ne veut le croire. Constate-t-il. On peut transformer beaucoup plus de choses en lui avant même de se poser la question de l’art ».
“Imaginer, c’est hausser le réel d’un ton.”
Cette citation de Gaston Bachelard (1884-1962) convient parfaitement à Stéphane Thidet. Comme le grand philosophe poète, son œuvre refusant les frontières renouvelle l’approche philosophique de l’imagination, sous l’angle de la création. Il interroge les rapports entre l’imaginaire et la rationalité, leurs conflits ou leurs complémentarités. C’est sans doute ce qui le rapproche, entre-autres, d’autres grands artistes amis comme Pierre Huyghe, Claude Lévêque ou Pierre Ardouvin. Tous interrogent les rapports équivoques entre le réel et la fiction. La relation au temps, au spectateur et à la mémoire collective fait partie intégrante de leurs approches artistiques. Chacun veut repousser les limites du « cadre » de l’exposition en inventant à chaque fois un autre format où le visiteur comme eux-mêmes deviennent acteur d’une réalité suggérée ou « augmentée ». Stéphane Thidet est-il inadapté au monde réel ? Ce maître es-manipulations sait le transformer et nous le raconter superbement à sa manière.
Et Singulars laisse aux spécialistes le loisir de trouver la case où le ranger même si cela risque de ne jamais être la bonne.
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Actualité :
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