Vins & spirits

Cahors, Madiran et Marmandais réinventent, eux aussi, le Sud-Ouest

Auteur : Mohamed Najim et Etienne Gingembre
Article publié le 9 janvier 2022

[Les pépites de la révolution viticole (11)] En Aquitaine comme en Occitanie, il n’y a pas que Bordeaux pour faire des nectars. A Cahors, Madiran et même Marmande, c’est bien fini les « vins rustiques » comme le constatent Mohamed Najim & Etienne Gingembre, auteurs de Quand le vin sa révolution. Là aussi, des vignerons comme Matthieu Cosse & Catherine Maisonneuve, Simon Ribert (Stratéus), Elian Da Ros et Sandrine Farrugia font des merveilles dans le rouge. Explication…

Les vins du Haut Pays rivalisent en qualité avec Bordeaux

Depuis l’Antiquité, Bordeaux est la capitale viticole du Sud-Ouest. Reste qu’une myriade de vignobles émaillent depuis des siècles les régions d’Aquitaine et d’Occitanie. On peut citer Gaillac, Bergerac, Cahors, Fronton, Jurançon, Marmande, Pacherenc-du-vic-bihl, Irouléguy, Tursan, Madiran, Saint-Mont, Buzet, Duras… Aliénor d’Aquitaine, cependant, donnait la priorité à Bordeaux. Les premiers vins à être exportés étaient les Bordeaux. Les autres attendaient. Au Moyen Age, on les appelait les vins du Haut Pays, parce qu’ils descendaient les cours d’eau sur des gabares, des barques à fond plat qui les conduisaient jusqu’aux embarcadères de Bordeaux. Aujourd’hui, ces vignobles tentent de gagner leur autonomie et réussissent, pour certains, à produire des vins de grande qualité.

Des cahors, des madirans et des marmandais mènent la fronde

Cahors et Madiran ne pouvaient se soustraire au vent nouveau de la ‘révolution viticole’, d’autant que le pape Jean XII, né en 1244 à Cahors, fit un temps de sa ville la capitale du vin de messe, et que Madiran était la patrie du professeur Emile Peynaud (1912-2004), l’un des grands inspirateurs de notre ‘révolution’. L’une et l’autre de ces deux communes avaient la réputation de produire des rouges rustiques, concentrés, riches, puissants, costauds et sans finesse.
La première, en s’appuyant sur le malbec, un cépage local qu’elle a exporté en Argentine, la seconde avec le tannat, un cousin du précédent qu’elle a exporté en Uruguay.

Cahors sort de l’impasse des vins « surmaturès »

La couleur sombre du cahors le désignait comme un « vin noir », au point d’en faire un argument commercial : dans les années 1970 et 1980, les bouteilles bas-de-gamme de la marque Carte Noire inondaient les rayons premiers prix des supermarchés.
Comme partout en France, une nouvelle génération a débarqué dans la décennie suivante, avec la ferme intention de tourner la page. Mais ses premiers pas furent des faux pas. Influencées par la mode qui demandait des vins « surmaturés », confiturés et trop boisés, les jeunes vignerons ont voulu faire la même chose. C’était une impasse.
Depuis, ils ont corrigé le tir.

Les côtes-du-marmandais des estaminets à l’AOC

L’histoire de Marmande est différente. Le vignoble local ne remontait pas aux croisades. Il n’avait pas davantage connu un âge d’or. Dans la région de Marmande, les paysans cultivaient la vigne pour leur propre consommation et celle des estaminets de cette bourgade. Cette viticulture a failli disparaître, emportée par le phylloxéra puis par le terrible gel de 1956. Mais elle a survécu et recommencé à se développer, grâce à ses deux caves coopératives de Beaupuy et Cocumont. Si bien que le vignoble a obtenu une AOC en 1990 et que les côtes-du-marmandais couvrent désormais un peu plus de 1 300 hectares.

Les cahors du domaine Cosse-Maisonneuve qui sortent de l’ordinaire

Catherine Maisonneuve et Matthieu Cosse hissent le cahors en vins ‘de dentelle’, fins, délicats.

Fini les rouges massifs, vineux et tanniques qui ne s’assagiraient qu’au bout de quinze ou vingt ans. Désormais, Cahors nous propose des ‘vins de dentelle’, fins, délicats, élégants, sur le fruit, à boire tout de suite. Catherine Maisonneuve et Matthieu Cosse sont des vignerons talentueux, des artisans « estampillés de la révolution viticole ». Catherine est titulaire d’un BTS de viticulture-œnologie, puis elle a fait ses classes au prestigieux Château Cos d’Estournel à Saint Estèphe. Quant à Matthieu, il est diplômé de l’Institut d’œnologie de Bordeaux. Tous les deux se sont installés en 1999 à Cahors pour créer le domaine Cosse-Maisonneuve. Lui, le super baraqué, le rugbyman du Club d’Agen, le taiseux qu’on s’attendrait à voir produire un cahors comme les autres. Et bien non ! L’habit ne fait pas le moine.
« Depuis que nous avons fait revivre le sol, pour que la vigne aille chercher loin en profondeur de quoi s’alimenter et s’imprégner du terroir, on élabore des vins avec de la fraîcheur, digestes et d’un grand équilibre, pouvant être dégustés jeunes », revendiquent Catherine et Matthieu. Ils élaborent quatre cuvées (de 13 à 30 euros) qu’on peut boire jeunes ou garder en cave.

Stratéus, la pépite de Madiran

A 28 ans, Simon Ribert véritable star montante de la révolution viticole. fait de Stratéus une réussite de Madiran. Photo DR

« Je dois beaucoup à mon grand-père », dit Simon Ribert. Son histoire commence sur la commune même de Madiran après qu’en 2017 celui-ci lui eut transmis ses vignes de quatre-vingts ans d’âge. A l’origine, Stratéus est un tout petit domaine, presque un « vin de garage » comme on appelle ces micro-propriétés de génie, à Saint-Emilion ou à Pomerol. Simon Ribert possède, lui, 3,15 hectares dont 1,15 en Madiran et le reste en Pacherenc-du-vic-bihl.

Depuis, Stratéus en a repris une demi-douzaine d’autres en location que Simon Ribert cultive aussi en bio. L’aïeul lui a appris à écouter la nature. « Observer, dit-il, c’est interpréter et c’est comprendre ». Comprendre le climat, le relief, les sols, la biodiversité, trouver l’inspiration qui permet la création. Simon Ribert est passionné par la vigne, le monde vivant et les terroirs. Selon lui, être vigneron, c’est avoir la chance de pouvoir faire parler un terroir en respectant le milieu naturel, c’est aussi produire peu mais sain, c’est trouver l’équilibre entre l’homme et le végétal. A 28 ans et secondé par son frère Charles, de cinq ans son cadet, Simon Ribert est l’une des stars montantes de la révolution viticole. Stratéus fait tourner toutes les têtes. Notre ami Fabrice Langlois, le sommelier consultant de wineconsulting, le considère carrément comme « un génie » … Son Madiran, Stratéus le vend 16 euros la bouteille.

Elian Da Ros et Sandrine Farrugia, un duo de talent à Marmande

Complices à la ville comme sur leur vignobles, Elian Da Ros et Sandrine Farrugia sortent les Côtes du Marmandais de l’anonymat.

Elian Da Ros est un viticulteur talentueux. Après une première expérience en Alsace chez Zind-Humbrecht, il lance les amarres en 1998 à Cocumont, à cinq kilomètres au sud de Marmande. En l’espace de vingt ans, il sort les Côtes du Marmandais de l’anonymat. Avec ses 21 hectares cultivés en bio de cabernet franc, de merlot, de cabernet sauvignon, de syrah, de malbec, sans oublier l’indigène abouriou, Elian Da Ros propose des rouges aromatiques et tendres qui n’ont plus rien à envier aux autres appellations de ce quart sud-ouest de la France.
Fini les tanins rustiques, son rouge « le vin est une fête » – oui, c’est bien le nom de cette cuvée – est réellement une fête pour le palais, et sans se ruiner, parce qu’à moins de 10 euros. « La puissance épicée de l’allonge appelle à un autre verre, à une autre fête », écrit d’ailleurs le guide de la Revue du Vin de France 2022.
Si on parle d’Elian Da Ros, il faut aussi parler de Sandrine Farrugia, son épouse, sa complice et qui d’ailleurs s’occupe de ses vignes, mais qui a aussi pris en fermage 0,52 hectare de jeunes vignes de sémillon et de sauvignon. Ensuite, elle y a ajouté 2 hectares de rouge. Sandrine Farrugia est de ces vigneronnes inspirées qui se sont lancées à corps perdu dans la révolution viticole, une autodidacte qui a vite appris, notamment pour passer en bio. Elle vinifie une cuvée de blanc qu’elle appelle « 52 ares » et une rouge nommée « Vague ».
Au total, moins de 7 000 bouteilles, une production digne d’un vin de garage, de l’orfèvrerie viticole à des prix qui ne dépassent pas les 15 euros.

Où trouver les vins du Haut Pays du Sud Ouest

Lire : Quand le vin fait sa révolution, Etienne Gingembre et Mohamed Najim, Ed. du Cerf, 2021, 288 p., 20€, et sa « constellation de vins d’exception, de vins de gourmandise, de vins de saveurs, de vins d’émotion »

Notre sélection

Cahors

  • Domaine Cosse-Maisonneuve, 46700 Lacapelle-Cabanac – Tél. :+33 5 65 24 22 37

Madiran

Marmande

  • Elian Da Ros, Laclotte, 47250 Cocumont – Tél. :+33 5 53 20 75 22

Partager

Articles similaires

12 bonnes adresses pour apprécier le Beaujolais nouveau

Voir l'article

Le prix des primeurs bordeaux en chute libre

Voir l'article

Frédéric Berne : « avec le bio l’image du Beaujolais a radicalement changé »

Voir l'article

La renaissance du vignoble normand

Voir l'article