Culture
Le Carnet de Lecture d’Aurélien Lehmann, tap dancer
Auteur : Olivier Olgan
Article revu le 4 novembre 2024
Pour tous les amoureux de comédies musicales de l’âge d’or hollywoodien, ou des musicales de Broadway, le talent de tap dancer d’Aurélien Lehmann réveille les grandes figures, de Fred Astaire à Grégory Hines, de Gene Kelly à Savion Glover. Aucun nostalgie pourtant dans ce danseur et musicien passionné, seulement l’ambition de projeter un art d’improvisation dans le XXIe siècle. Pour s’en convaincre, il est au Bal Blomet, Hands Feet Connection – « À la Table des Dieux », avec le pianiste compositeur Franck Monbayl, le 22 novembre, et au Sunset, Soul Feet – Tap Dance Jazz Quartet, le 30 décembre. Vous ne résisterez pas longtemps à l’enthousiasme et charme communicatifs de ce garçon aux semelles de vents !
« Je suis seul à faire et proposer en France ce que je fais »
Ne voyez aucune arrogance dans l’affirmation de cet autodidacte qui s’est hissé au force de travail, de passion et d’admiration parmi les grands tap dancers internationaux.
Et pour cause, « cette discipline est d’une rigueur et d’une difficulté telles qu’elle ne pourra jamais être démocratique. C’est le professeur qui vous dit cela. Les élèves de mon école le comprennent très vite. Pour devenir tap dancer, pour comprendre et en maitriser le vocabulaire, il faut au moins dix ans de pratique intensive quotidienne. Jusqu’à aujourd’hui, je n’ai jamais eu l’élève capable de tenir l’exigence de cette danse de la rue. Les seuls danseurs que je respecte sont tous américains. De plus, il n’y a ni scène, ni festival, donc peu de débouchés. »
Il faut un optimisme chevillé au corps et un brin de folie pour poursuivre cette discipline physiquement exigeante, et sans cesse trouver de nouveaux champs de création pour l’exprimer. Aurélien Lehmann a trouvé une dynamique créative qui le sort de tous les chemins battus. Il rapproche avec bonheur, son art avec la musique classique, aidé du pianiste François-Réné Duchable, et pour le jazz avec Pierre-Yves Plat, dans des spectacles aussi aboutis que virevoltants.
Quand on se lance dans une carrière de claquettiste, il n’y a pratiquement pas de débouché ou très peu. L’amusement commence au moment où l’on se sent libre de faire ce que l’on veut et d’y prendre du plaisir. Il faut aussi savoir créer ses propres opportunités.
Aurélien Lehmann
Un monde entre la claquette façon Broadway et le tap dancing
On le comprend Aurélien Lehmann est ni un nostalgique, accroché à un temps révolu, ni un Don Quichotte en smoking se battant contre les moulins de la dance académique. Il se vit comme le réinventeur d’une discipline artistique exigeante autant techniquement et créativement. « Le grand public ne voit pas la différence entre les danseurs de claquettes façon Broadway et les solistes de claquettes instrumentales. » L’ambition de cet artiste polyvalent est de révéler cette différence d’exigence, de rigueur mais aussi de technicité et d’originalité créatrice.
Il y a un monde entre le niveau que des danseurs des comédies musicales – des chorus lines aux pas standardisés et l’improvisation d’un « Hoffer » ou d’un tap dancer qui conçoit sa chorégraphie comme un vocabulaire créatif. Cette différence entr ele collectif et le soliste se retrouve dans tous les arts, quel que soit l’instrument.
Concilier claquettes et rugby
L’admirateur de Fred Astaire et de Grégory Hines a découvert les claquettes, très jeune, séduit par toutes les comédies musicales de l’âge d’or, pour « cette dimension légère, pleine de bonne humeur et de simplicité naïve ». Il lui fallait aussi compter sur son amour du rugby. « Adolescent, je surjouais le rugbyman, taillé pour le rugby. » Aussi, il a eu du mal à entrer dans l’univers de la danse. Et ce n’est pas le cours suivi quelques mois avec un danseur classique et des femmes âgées qui l’y arrime, sauf peut-être les ovations d’un gala de fin d’année après un solo qui marquèrent longtemps celui qui ne connaissait que les encouragements du bord de terrain de son père. Faute de modèles, il poursuit l’entrainement seul et apprenant les pas en autodidacte.
Le tap dancing est un instrument que l’on porte sur soi. Je me suis retrouvé partout à chercher mon propre vocabulaire de combinaisons ou de rythmes.
Une grosse parenthèse de 18 ans à 23 ans
En préparant, puis en rentrant à Science-Po Lille, il laisse le rugby et ses claquettes de côté, pour une aventure intellectuelle exaltante, qui l’emmène en 3e année à Zagreb en Croatie. Cet amoureux de la culture slave – il apprend le serbe croate puis le russe par la musique et le cinéma – découvre tout l’univers exacerbé de Emir Kusturica. Adopté par une famille tzigane qui l’initie à la musique tzigane et des Balkans « des musiques qui continuent à me transporter, tellement jouissives » Le traducteur pour l’Ordre de Malte de jour apprend l’accordéon la nuit dont il adore la clarté : « Quand je ne vais pas bien j’écoute la musique serbo-croate ».
A son retour à Paris, le jeune diplômé réussit au bluff à entrer chez Laurent Ruquier, remarqué pour des chansons humoristiques. De fil en aiguille, Zlatko (son premier nom de scène) devient brièvement chansonnier au Caveau de la République à 22 ans. Les claquettes étaient presque oubliées, jusqu’à la découverte et le choc d’un spectacle de Savion Glover au Théâtre de la Ville en juin 2012 « un génie des claquettes, un récital extraordinaire qui me transporte dans un univers de rythmes, de musique, et d’engagement physique, tout ce que j’aime ».
La fascination de Savion Glover
En rentrant chez lui, il retrouve ses claquettes d’adolescent « sorties de son existence » et renoue avec cette passion enfantine qui désormais ne le quitte plus. « Je décide le lendemain que les claquettes seront ma vie. Et commence à m’entrainer des heures. J’étais doué, sans savoir énoncer un seul pas, même le ‘shuffle’, le pas de base. J’ignorais aussi l’existence de Duke Ellington, et du jazz. La plupart des taps dancers sont afro-américains, Astaire et Kelly sont une exception. »
Celui qui s’entraine partout ne vois pas même aujourd’hui le tap dancing comme un métier. Mais plutôt d’une esthétique qu’il veut partager, et qui condense tout ce qu’il aime. Son gagne-pain à l’époque, c’est donner des cours de français, et de jouer dans la rue, en parallèle à ses cours de lettres modernes à la Faculté de Lille.
Les claquettes, c’est de la musique avec ses pieds et on peut danser sur toutes les musiques, un coté très universel et œcuménique qui correspond à ma personnalité ; j’aime aussi le coté physique de frapper la musique. Et s’appuyer sur un pouvoir de fascination universel.
S’il reconnait avoir fait toutes les erreurs, notamment d’avoir voulu aller trop vite, « mon art ne volait pas très haut même avec toute la bonne volonté du monde« , il garde la conviction que le travail paie, et qu’il peut atteindre ce moment de maitrise lui permettant de prendre du plaisir dans toutes ses prises de risques artistiques.
Dans les claquettes la dimension artistique exige une recherche plus profonde, plus pointue aussi. Par contre, on peut jouer de la fascination quasi viscérale pour le rythme des claquettes pour sortir des stéréotypes.
Aussi, les spectacles et les clips le montrent, Aurélien réussit à hisser son art, loin des stéréotypes standardisés du ‘chorus line’ pour une véritable expression créative de soliste, et de la projeter dans le XXIe siècle.
Son imagination vous fera oublier les pas d’antan, pour une nouvelle dynamique esthétique et musicale sans limite.
#Olivier Olgan
Le carnet de lecture d’Aurélien Lehmann
Sammy Davis Junior – Mister Bojangles
Cette chanson popularisée par Sammy Davis Junior, évoque la figure mélancolique d’un tap dancer se faisant appeler « Mister Bojangles ». Frappé par la misère au crépuscule de sa vie, il raconte avec nostalgie ses souvenirs de danseur dans les Minstrels Shows … Le titre de la chanson fait allusion à Bill Bojangles Robinson, illustre danseur de claquettes de Harlem dans les années 30. Cette chanson est un hymne au Tap Dance, un hommage à ces générations de tap dancers anonymes ou oubliés. C’est aussi un rappel des origines marginales de cette danse (la rue, les honky-tonks, les minstrels shows…). Le Tap Dance demeurera toujours un art à part, libre, nomade, échappant aux étiquettes et aux conventions.
Sammy Davis Junior avait un rapport personnel à cette chanson. Lui-même tap dancer de génie, immense chanteur et entertainer du XXème siècle, était constamment angoissé par la peur de finir sa carrière oublié, rejeté, abandonné comme la plupart de ses paires et mentors « black performers ». Son succès jamais démenti était un contre-symbole dans l’Amérique du XXème siècle. Avec humour, Sammy Davis ne manquait jamais de rappeler qu’il était non pas le meilleur, mais « le seul artiste noir, portoricain, borgne et juif ».
Sammy Davis Junior est mon modèle de l’artiste accompli : danseur, acteur, chanteur, musicien, il savait tout faire avec une classe suprême. En tant que Tap Dancer, il était l’ héritier des « flash acts » (numéros acrobatiques) issus du Vaudeville, mais aussi le digne successeur des hoofers (au style plus percussif). Une grande inspiration.
Baby Laurence – Dance Master
Appréciez ces frappes syncopées, ces uppercut de riffs, ce swing bondissant, ces rythmes ciselés qui vous transpercent comme des directs de Mohamed Ali, c’est le Tap Dance comme je l’aime, où quand la danse devient musique ! Si vous souhaitez approfondir votre connaissance du Tap Dance, je vous conseille d’écouter cet enregistrement mythique de Baby Laurence, maître du Tap Dance Jazz. Il vous dévoilera la face sacrée de cet art : celle de l’improvisation. Pour Baby Laurence, le Tap Dancer est un soliste de jazz, son esthétique est celle du son ! Avec lui, le Tap Dance est un instrument d’expression musicale, il n’est plus question de danse mais de musicalité qui se transmet par l’écoute. Baby Laurence ne chorégraphie jamais (à l’inverse d’un Fred Astaire ou d’un Gene Kelly), il improvise comme un musicien de jazz, échange (trade) avec le Band, et nous fait apprécier son art exquis de la « syncopation ». Baby Laurence eut une grande influence sur les musiciens de l’ère Be-Bop.
François-René Duchâble – Beethoven
Les disques de François-René Duchâble m’ont accompagné pendant toute mon adolescence. Ce CD où il interprète Beethoven est probablement celui que j’ai le plus écouté. Pour moi, Duchâble, c’est la perfection. Rigueur, intensité, virtuosité, profondeur, technique, sans excès et sans affects. Une interprétation qui rend grâce à la lumière, l’amour et à la bonté qui finissent toujours par triompher chez Beethoven.
Rolling with Bolling
Ce CD fut ma première rencontre avec le Jazz (et demeurera longtemps la seule). La simple vision de la pochette de l’album, avec ses couleurs explosives me replonge en enfance : du rythme, des cuivres, des mélodies inspirées et des arrangements décapants, merci Claude Bolling !
Zoltan Orosz and his friends – Balkan Tune
Une autre passion, l’accordéon. C’est un instrument fascinant, les possibilités d’un orgue dans une boîte à bretelle… J’adore tout le répertoire musette (Gus Viseur, Tony Murena, Joseph Colombo), jazz, classique, GALLIANO, évidemment ! Mais j’aime particulièrement jouer la musique slave, le folklore russe et des balkans. Voici l’un de mes accordéonistes préférés, Zoltan Orosz, virtuose hongrois. Si vous aimez ce répertoire, je vous invite à découvrir les compositions de Ljubisa Pavkovic, un des plus grands accordéonistes serbes (mes titres préférés : « Medeno Kolo » et « Rumunska Pesma »).
https://www.youtube.com/watch?v=E-lM8CK3C7w
Dzej – Da si moja Dejvocica (Lubenica)
J’ai eu la chance de vivre deux années extraordinaires avec une famille tzigane sédentaire à Split en Croatie et d’explorer à fond le répertoire, la culture et la langue serbo-croate. La musique serbo-croate est toujours marquée d’une passion incandescente, l’âme s’y exprime dans des paroles simples, des harmonies et modulations envoûtantes, où l’on retrouve des influences orientales. Parfois kitsch, souvent exubérante, à la fois joyeuse et sentimentale, cette musique me fait littéralement décoller ! Ajde ! (À écouter aussi : « Ciganim sam al Naljepsi », hymne à l’amour tzigane, que je me ferai une joie de vous chanter si vous me le demandez, accompagné d’un verre de Rakija).
Dans un style plus sentimental : https://youtu.be/PlTBOzsABKU
L’épopée de Gilgamesh
Une histoire de héros, d’amour, d’amitié, de vie, de mort, de quête de la sagesse… à priori rien d’exceptionnel, sauf qu’il s’agit de l’oeuvre littéraire la plus ancienne de l’humanité (rédigée au XVIIIe s av JC) et que ses enseignements ont survécu à l’épreuve du temps. Écoutons les voix lointaines de nos ancêtres… (amateurs de coaching en « développement personnel », passez votre chemin)
Vassili Axionov – Une saga moscovite
C’est une saga monumentale embrassant la vie de toute une famille soviétique sous la période stalinienne. On suit avec avidité ces destins frappés par le poids de l’histoire et les affres d’une d’une époque tragique. C’est du très grand style, de la grande littérature, d’une grande valeur historique, une oeuvre rare et universelle (dans la lignée de Guerre et Paix de Tolstoï ou Vie et Destin de V.Grossman)
Kandinsky – Du spirituel dans l’Art, et dans la peinture en particulier
J’ai fait beaucoup de « fiches de lecture » pendant mes années d’étudiant à Sciences Po… encore plus en tant que prof vacataire à la fac. Mais ce livre, je l’ai littéralement taillé en pièces, annoté, écorné, souligné dans tous les sens . C’est la Bible de l’artiste créateur. La théorie de la création artistique de Kandinsky rejoint le domaine du spirituel et de la mythologie, un autre de mes sujets de prédilection. Pour Kandinsky, la création d’une oeuvre c’est la création du monde. « La cosmogonie est le modèle de la création artistique ».
Quelques extraits du livre saisis à la volée :
« L’art est le langage de l’âme ».
« Projeter la lumière dans les profondeurs du coeur humain, telle est la vocation de l’artiste » (Schumann)
« Comprendre, c’est éduquer le spectateur afin de l’amener au niveau de l’artiste »
Pour suivre Aurélien Lehmann
le site d’Aurélien Lehmann
sur facebook et instagram
Agenda
- 22 novembre, 21h20, Hands Feet Connection – « À la Table des Dieux », avec le pianiste compositeur Franck Monbaylet, Bal Blomet, 33 Rue Blomet, 75015 Paris
- 30 décembre, 19h30, Soul Feet – Tap Dance Jazz Quartet, Sunset, 60 Rue des Lombards, 75001 Parishttps://www.youtube.com/watch?v=QL5VivlAUE0
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