Culture

(Artistes en résidence) Odyssées urbaines, commissariat de Marie Maertens (Fondation Fiminco)

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 28 juin 2023

Après un an de résidence et avoir partagé leur quotidien ou leur atelier durant plusieurs mois, les 12 artistes de 9 pays différents sélectionnés par la Fondation Fiminco et accompagnés par la commissaire invitée Marie Maertens,  présentent leurs œuvres in situ et en résonance avec un environnement en perpétuelle mutation. Sur le thème Odyssées urbaines, le parcours est savamment construit en fonction de la fascinante topographie de la « chaufferie ». Marie Maertens y associe et métamorphose les sensibilités au risque des rencontres, de l’appropriation du site, et de discussions sur les mémoires collectives pour une vaste réflexion sur les origines et les perspectives de la représentation artistique.

L’immeuble de la Fondation Fiminco héberge la résidence et les ateliers des artistes avec au sous sol les ateliers de spécialités Photo OOlgan

A quelques mètres du FRAC Ile de France, et au cœur d’un vaste projet de « quartier culturel » qu’elle développe, la Fondation Fiminco s’est donné mission (en plus de la transmission) « d’accompagner les artistes sur une longue durée de 11 mois et de leur proposer de travailler sur tous les types de médiums grâce à des infrastructures et des maîtres artisans de grande qualité » selon les mots de sa directrice Katharina Scriba.

La fondation Fiminco n’a pas et ne vise pas à construire une collection. Nous accompagnons les artistes dans leur processus de création, sans contrepartie.
Katharina Scriba, directrice

Un dialogue artistique de la 3ème promotion d’artistes en résidence

Marie Maertens, commissaire de l’exposition de la 3e Résidence d’artistes Fiminco Photo OOlgan

En attendant d’autres facettes de sa mission attachée à l’épanouissement de cet écosystème de la création contemporaine, de la conception à la diffusion de l’œuvre », la résidence d’artistes commence par une sélection d’une douzaine d’artistes sur plus de 800 candidatures provenant de tous les pays.

Les heureux élus peuvent s’installer dès septembre. Ils bénéficient d’un studio et d’un atelier, et l’appui de spécialistes de multiples techniques (de la sérigraphie à la découpe laser, de la gravure à l’impression 3D) pour ainsi approfondir leur recherche et leur production, individuellement et collectivement.

L’originalité de ce dialogue créative – outre qu’elle ne vise pas la constitution d’un patrimoine – a l’originalité d’être accompagné dès le début, puis mensuellement par le commissariat de Marie Maertens, qui leur propose et anime une thématique, Odyssées urbaines « comme une portée musicale où chacun vient librement apporter sa note ».

Mue par cette idée de voyage, de découverte, parfois de déracinement, mais aussi d’ancrage, Odyssées Urbaines retrace une partie du parcours des 12 résidents, dans lesquels nombre ont réalisé des pièces spécialement pour les trois niveaux du bâtiment Chauveau. au sein d’un environnement en constante mutation, fait de déconstructions et de constructions, de chutes et d’élévations, la bâtisse accompagne la chronologie temporelle de l’exposition.
Marie Maertens, commissaire d’Odyssées urbaines, 3e promotion d’artistes en résidence Fiminco

L’espace cathédrale de la Chaufferie de la Fondation Fiminco permet d’associer des installations spectaculaires. Photo OOlgan

Odyssées urbaines, des soubassements … à la cathédrale de fer et de béton de la chaufferie

Nous avons la chance de faire le parcours d’Odyssées Urbaines – à interpréter au sens propre et figuré, de l’imaginaire  mythologique aux réalistes d’une Cité en pleine mutation avec la commissaire. Intégrant topographie et évolution du lieu, ses analyses bienveillantes sont éclairantes, vécues et muries avec l’apprivoisement réciproque de chaque artiste.

L’installation de Livia Melzi, première étape de Odyssées urbaines, conçue par Marie Maertens, Fondation Fiminco, Photo OOlgan

L’artiste Livia Melzi travaille sur les rituels anthropophages au Brésil et leur réception en dehors de ce pays. Étudiant les codes de la muséologie occidentale, notamment à travers les collections de manteaux à plume de la tribu indienne Tupinambá, ses recherches l’ont récemment menée à la découverte de Johan Maurits. Elle s’est interrogée sur ce gouverneur général des colonies hollandaises au Brésil au 17ème siècle, à l’origine de la constitution des prestigieux fonds du Mauritshuis, de La Haye, et ce qu’il nous en parvient par ses effigies édulcorées, témoignant d’un autre monde…

L’installation d’ Antonio Menchen brouille les pistes de l’image-source dans le parcours Odyssées urbaines. Fondation Fiminco Photo OOlgan

Antonio Menchen débute, la plupart du temps, par des images-sources qui témoignent d’une fascination pour les codes du modernisme dans l’architecture, les objets iconiques du design ou de la mode. A partir de ses archives personnelles, en noir et blanc et à l’esthétique épurée, qu’il a constituées depuis une vingtaine d’années, il revient à l’origine de ces représentations. Par des photographies, des projections-vidéos et des installations de structures géométriques, il déconstruit les propos narratifs de ces clichés et les notions d’appropriations.

Les gravures d’Eva Garcia se jouent du lieu en évolution permanente, Odyssées urbaines, Fondation Fiminco, Photo OOlgan

Il dialogue ici avec Eva Garcia, dont le travail de gravure s’attache à quelques formes originelles, qui se reproduisent et évoluent sur différentes échelles. Sans sujet imposé ou défini, ses estampes accompagnent la naissance, le développement, voire l’épuisement d’un vocabulaire personnel, qu’elle a aussi conduit cette année vers la sculpture. Sortes de palimpsestes ou d’images fantômes, les pièces parlent de résilience et résistance au temps, jouant d’ailleurs sur des rendus qui évoquent les matrices ancestrales de la terre et de la pierre.

Pour Odyssées urbaines, Chloé Roger a choisi la vidéo et la sculpture de sièges improbables, Fondation Fiminco, Photo OOlgan

Chloé Royer, que l’on connaît davantage pour ses sculptures, dont trois grands formats en aluminium, sortes de créatures hybrides réfléchissantes, accueillent le public en extérieur, présente ici sa première vidéo. Elle y a filmé les reflets d’une danseuse, face à des miroirs déformants qui développent ses questionnements sur les processus de mutation et de transformation, de ce qui mène du corps à l’objet. Elle creuse les origines du geste et ce qui constitue une sculpture, en explorant la porosité des médiums.

Timo Herbst recrée du Moyen-Age à 1989 le fil historique de nos révolutions sociales. Odyssées urbaines, Fondation Fiminco, Photo OOlgan

Quand Timo Herbst étudie depuis plusieurs années, par la performance et la vidéo, mais également ici par le dessin et la sculpture, les implications sociales et politiques de nos modes de déplacements et nos gestes. Comment témoignent-ils de notre implication – et accord tacite – ou de notre protestation face au monde ? Il le déploie notamment par une grande fresque, revenant sur l’histoire des manifestations en Allemagne, du Moyen-Âge à nos jours, qui nous interpelle sur la réalité de la démocratie.

Marielle Chabal multiplie les recherches pour brosser un état du monde au cœur des Odyssées urbaines, Fondation Fiminco, Photo OOlgan

Par un diorama quelque peu dissimulé et visible de l’extérieur du bâtiment, Marielle Chabal débute sa fiction sur un nouveau monde possible, grâce à la perception qu’en auraient des enfants éduqués depuis 1988 sur une île lointaine… Son récit commence par un état des lieux, plutôt fort négatif de notre société, dont les protagonistes sont isolés par les écrans et les traitements anxiolytiques, avant qu’une partie de la solution ne soit proposée à l’étage supérieur…

L’architecture de Konstantinos Kyriakopoulos s’intègre si bien dans la Chaufferie qu’elle en est absorbée, Odyssées urbaines, Fondation Fiminco, Photo OOlgan

L’ installation de Konstantinos Kyriakopoulos s’intégre avec  la salle d’une hauteur de plus de dix mètres, sorte de cathédrale de béton et de fer. Pensée au départ comme un lit, notamment conçu par l’artiste en espace d’accueil, de partage et de réflexion, cette structure réactivée d’une précédente exposition (conçue avec Hugo Laporte), scrute les fonctions documentaires des œuvres et la nécessité écologique de ne pas toujours produire à nouveau.
plus imposante dans sa verticalité, elle accentue le lien à l’architecture, aux fenêtres et à la traversée des regards. Muée en une structure autant enveloppante que menaçante, elle relie les problématiques de constructions et de déconstructions, qui sont inhérentes à l’environnement urbanistique de la Fondation Fiminco.

Sarri El Faitouri réinvente une Benghazi imaginaire, Odyssées urbaines, Fondation Fiminco, Photo OOlgan

Ces thèmes sont également étudiés par Sarri El Faitouri, qui, par une installation créée pour l’exposition, revient sur la destruction récente d’un quartier historique de la ville de Benghazi, en Lybie, où il a grandi. Un patrimoine architectural vieux de 500 ans y a été brutalement effacé, par des projets gouvernementaux visant à moderniser la cité. Avec ce travail ouvertement cri[tique, développé par des impressions murales, au sol ou des sculptures, il mêle les archives, les histoires et les mythes à sa propre enfance et aux résurgences des souvenirs. Il interroge ces logiques de constants renouvellements et les résistances intellectuelles et morales possibles, pour se projeter dans une autre forme d’utopie.

Angyvir Padilla reconstitue un espace intime, Odyssées urbaines, Fondation Fiminco Photo OOlgan

Pour Angyvir Padilla, la thématique du déracinement et du rapprochement face à sa propre histoire se fait par la reconstitution d’un espace familier, intime, presque chaleureux sur les murs du bâtiment. Par des impressions de photographies de sa mère et de son appartement au Venezuela, pays qu’elle a quitté depuis plus d’une décennie, et des sculptures rejouant les actions simples, domestiques et rassurantes du quotidien, elle plonge ses regardeurs et regardeuses dans une vision réelle ou fantasmée de l’ailleurs, que chacun pourra se réapproprier en fonction de son vécu.

Revenant sur la quête d’identité des diasporas, elle appuie sur la nécessité du souvenir pour s’adapter aux transhumances. Quel est le poids du bâti sur notre propre corps ? Quelle est l’importance de l’architecture dans la conscience des espaces que nous traversons ?…

Entre architecture et installation, Yoel Pytowski réinvente le socle de la chaufferie Fondation Fiminco, Odyssées urbaines Photo OOlgan

Ayant transformé radicalement la Chaufferie par une large installation in situ, Yoel Pytowski positionne, en partie, son travail aux frontières de l’art contemporain et de l’architecture. Avec des surfaces parfois volontairement abruptes, souvent réemployées d’autres œuvres, mais toujours induites par l’environnement dans lequel il s’installe, il séquence la circulation au sein de l’exposition. Il remet en question la définition et le regard que l’on porte sur un lieu, une façade, les intérieurs et les extérieurs, par son intervention, puis ce qu’en fera le public. Il remémore que tout est de l’ordre de l’impermanence.

Rosario Aninat intégre ses propres formes dans chaque lieu qu’elle investit. Odyssées urbaines, Fondation Fiminco Photo OOlgan

Rosario Aninat développe, quant à elle, un vocabulaire conçu à la suite de ses observations et déambulations au sein des villes. Ses recherches débutent par ce qui peut définir les cultures et les approches territoriales, en étant fortement axée sur l’architecture moderniste. Elle en retire des formes symboles, schématisées et synthétisées, qui accompagnent rigoureusement l’esprit de ses lieux d’exposition, mariant des références aux projets d’Oscar Niemeyer, aux logements sociaux de la banlieue parisienne ou encore aux architectures utopistes françaises du XVIIIe siècle… Ce qui représenta le futur et se révèle parfois teinté de désillusion, que l’on regarde néanmoins avec une certaine fascination. Vers un autre futur possible ? Face à un sentiment parfois d’inconfort…

Marielle Chabal propose une autre construction du monde dans Odyssées urbaines, Fondation Fiminco Photo OOlgan

Dans un moment où les déconstructions récentes des anciens modèles interrogent différemment le rapport à soi et à l’autre, en englobant les espèces animales et végétales, de nouvelles suppositions peuvent naître. Après avoir fait un état des lieux des plus dystopiques d’une situation présente, Marielle Chabal propose une autre construction du monde, galvanisée par cette société d’enfants élevés au loin, dans un écosystème vertueux et plus égalitaire, maintenant prêts à prendre notre succession…

Le Berceau du monde de Daniel Nicolaevsky Maria, Odyssées urbaines, Fondation Fiminco, Photo OOlgan

Quand Daniel Nicolaevsky Maria recrée ce qu’il appelle le Berceau du monde, soit un autre départ possible après avoir recensé un ensemble d’animaux et de peuples, eux-aussi victimes des écocides subis par la planète. Si le propos peut se révéler critique, voire alarmiste, les couleurs intenses de ses peintures et les formes dynamiques de ses céramiques, générées avec l’assistance de l’intelligence artificielle, montrent l’empathie de l’artiste face à ces questionnements et la recherche d’une cohabitation inédite entre les différentes espèces. Il permet également de renouer des liens avec un passé dont le futur a été coupé à un moment de son histoire, par la colonisation européenne en Afrique et dans le sud, pour envisager un monde nouveau, notamment par l’union de l’homme et de la machine.

Une odyssée à la cohérence presque évidente

Par la qualité du parcours et sa cohérence, la réussite de cette exposition de cette 3e promotion s’appuie sur la force du projet collectif – de la sélection à l’exposition – entièrement dédié aux artistes – encadrés et stimulés – à produire et se fondre dans un dessein et dynamique commune sans perdre leur âme. Exemplaire à tous points de vue.

Deux gravures d’Eva Garcia dans leur jus, captées dans l’atelier de gravure encadré par le chef d’atelier Edouard Wolton, Fondation Fiminco Photo OOlgan

#Olivier Olgan

Pour en savoir plus sur la Fondation Fiminco

Odyssées urbaines 

Jusqu’au 8 juillet 2023, du mardi au samedi de 14h à 18h. Fondation Fiminco, 43 Rue de la Commune de Paris, 93230 Romainville – Entrée libre et gratuite – Des visites guidées gratuites le samedi à 16h00, pour réserver

Les artistes résidents de la 3eme promotion Fiminco :

  • Rosario Aninat (Chili),
  • Marielle Chabal (France),
  • Sarri Elfaitouri (Lybie),
  • Eva Garcia (France),
  • Timo Herbs (Allemagne),
  • Konstantinos Kyriakopoulos (Grèce),
  • Livia Melzi (Brésil),
  • Antonio Menchen (Espagne),
  • Daniel Nicolaevsky Maria (Brésil),
  • Angy Vir Padilla (Vénézuela),
  • Yoel Pytowski (Israël),
  • Chloé Royer (France).

Pour suivre Marie Maertens : interviews, exposition et livres.

Du pôle culturel au quartier culturel

Créée en 2017 à Romainville, sur une ancienne friche industrielle pharmaceutique, la Fondation Fiminco anime le nouveau pôle culturel du Grand Paris, voué à être le plus important quartier culturel d’Europe.
Pensé pour les artistes, il réunit en un seul et même lieu tous les éléments constitutifs, au service des artistes du monde entier : des résidences d’artistes, des espaces d’exposition et de médiation, 7 galeries (dont Air de Paris, Jocelyn Wolff, Galerie Sator, In Situ Fabienne Leclerc, Galerie D., Maëlle Galerie et Quai 36), l’école d’art et de design Parsons Paris, l’atelier de design et fabrication de livres Laurel Parker Book, la société de production Gingerlemon, la chorégraphe Blanca Li et les réserves actives du Fonds régional d’art contemporain d’Île-de-France.
Conçue aussi comme un lieu ouvert à tous les publics, la Fondation propose aux visiteurs de faire l’expérience de la création contemporaine à travers un programme d’expositions, d’évènements et de rencontres avec les artistes en résidence.

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