10 expos pour enchanter la reprise : des Cheveux à L'Argent, du Surréalisme féminin à Françoise Petrovitch
Célébration Picasso, la collection prend des couleurs, par Paul Smith (Musée Picasso)
Le 8 avril 2023 marque le cinquantième anniversaire de la disparition de Pablo Picasso. Au-delà des débats sur la « réception » actuelle du peintre, sa directrice Cécile Debray a donné carte blanche au designer Paul Smith pour un nouvel accrochage « une invitation ludique et joyeuse à redécouvrir tous les domaines de création de Picasso, peinture, sculpture, céramique et arts graphiques, à travers l’œil affuté et espiègle d’un grand créateur contemporain. »
Indissociables de l’univers créatif de Paul Smith, les rayures forment par ailleurs la signature de la griffe du styliste britannique qu’il s’amuse ici à mettre en scène dans un jeu d’échos et de dialogue formels. (…)
Prendre part au «jeu visuel» que Paul Smith identifie comme central dans le processus créatif de Picasso nous enjoint à libérer notre regard et d’une certaine façon, à désacraliser le rapport à l’œuvre.
Le moins que l’on puisse dire est que la rencontre casse les conventions, très spontanée, sans lien avec l’histoire de l’artiste mais qui aborde et éclaire son œuvre de la façon la plus fraiche qui soit, avec un mode visuel décomplexé que n’aurait pas renier Picasso.
Et qui permet de sortir du débat « Picasso l’infâme » par un dialogue sur le fond !
Alors, au lieu de honnir une œuvre qui se maintient, solide, inlassablement substantielle, repensons notre rapport à l’artiste : homme faillible, homme d’un siècle révolu dont la longévité le conduit au terme du XXe siècle.
Refusons les mythologies, toutes éculées, la romance aussi, rebattue.
Laurence Madeline, Picasso 8 femmes, Ed. Hazan. 2023.
Jusqu’au 27 août 23.
Basquiat x Warhol A quatre mains (Fondation Louis Vuitton)
Pas de risque de duel entre Jean-Michel Basquiat (1960-1988) et Andy Warhol (1928-1987), puisqu’ils réalisent à quatre mains environ 160 toiles ensemble de 1984 à 1985. Pour Dieter Buchhart, commissaire de l’exposition (et celle terminée de Basquiat Soundtracks), c’est « certainement la plus réussie des collaborations de l’histoire de l’art entre deux grands artistes, jamais égalée à ce niveau et dans ce laps de temps »
C’est aussi la naissance de la dynamique de l’art contemporain, en un « paradigme spécifique », comme l’a si bien conceptualisé Nathalie Heinich, dans Le Paradigme de l’Art contemporain (Gallimard, 2014)
Le ‘mix’ comme on dit d’une musique qui « sample » ou d’un cocktail roboratif fusionne la « rage et de l’engagement de Basquiat à faire exister la figure noire » avec l’ironie « plus distanciée, de Warhol, et qui a cassé beaucoup de règles, inscrivant l’art populaire dans la modernité classique » selon la commissaire Suzanne Pagé. Le visiteur est happé par le malstrom de signes et des gestes, jeté sur d’immenses toiles, déconstruisant tout sur son passage, marques, visages et références de la pop culture.
Pour en ressortir un peu groggy, compte tenu de cartels plutôt légers.
jusqu’au 28 août
Surréalisme au féminin (Musée de Montmartre)
Plus de 50 artistes féminines souvent négligés par l’histoire de l’art qui ont participé au mouvement surréaliste sont (enfin) présentées. Le parcours invite à constater non seulement à l’ambivalente position des femmes dans le surréalisme, mais aussi à l’ ‘incapacité’ d’un des courants majeurs du XXe siècle à y intégrer du féminin. Mais il y a encore tellement à faire pour mettre plus de lumières sur leur travail souvent mis de côté. C’est aussi en se dégageant de ce qui devint parfois une doxa surréaliste qu’elles s’affirmèrent. « Tout contre » le surréalisme, c’est ainsi que Fanny de Lépinau, directrice du Musée définit leurs positions diversifiées et complexes à l’égard du mouvement.
L’affranchissement que ces femmes manifestent dans leurs arts fait écho à la quête d’indépendance et l’esprit contestataire, si caractéristiques de l’histoire de Montmartre. Cette exposition témoigne de ma détermination à faire connaître des artistes souvent négligés par l’histoire de l’art.
Fanny de Lépinau, directrice du Musée de Montmartre
Françoise Petrovitch : Aimer. Rompre (musée de la Vie Romantique)
Fidèle à ses propres recherches (paysages et entre-deux), Françoise Petrovitch nous fait passer de l’autre coté du miroir du romantisme, où l’amour et la rupture se déploient son rythme selon des espaces du musée : « Pour les paysages de la salle dans laquelle j’ai peint des îles, il me semblait important de travailler avec les lavis d’encre, qui permettent de dessiner des endroits, comme la forêt ou l’eau, d’indécision ou de perte de visibilité. Cette technique se dilue et se conduit seule, aussi ; c’est presque quelque chose qu’on laisse faire. On voit moins bien quand la forêt s’obscurcit ou quand on regarde son propre reflet dans l’eau. Par rapport au romantisme, cela m’intéressait de me situer dans ces zones de provisoire. Je comprends profondément les romantiques quand ils évoquent les paysages comme étant de grands réservoirs d’imagination. »
Jusqu’au 10 septembre 2023.
Des cheveux et des poils (Musée des Arts Décoratifs – MAD)
Après La Mécanique des dessous, Une histoire indiscrète de la silhouette (2013), Tenue correcte exigée. Quand le vêtement fait scandale (2017), Marche et démarche, Une Histoire de la chaussure (2020), le MAD poursuit et étend le champ de la mode par une réflexion passionnante sur les relations qu’entretiennent le corps et sa représentation avec les pratiques sociales. En s’attachant aux cheveux, en général et, aux poils par extension, l‘exposition (et le magnifique catalogue qui la prolonge – souligne qu’ils « participent pleinement à la construction d’une apparence, d’une silhouette, d’une identité« . « On limite trop souvent la mode au vêtement, explique Denis Bruna, commissaire de cette thématique historique. Je préfère parler d’histoire des apparences. Nous avons tous des cheveux et des poils – même si certains en ont plus que d’autres – et nous sommes bien obligés d’en faire quelque chose. »
Le cheveu, matériau corporel de loin le plus convertible – il peut en effet être étiré, coupé, tressé, frisé, complété, coloré, orné, caché ou exhibé –, est un médium essentiel de la mise en scène de soi.
Denis Bruna
Perruques, postiches, machines à permanente électriques, instruments de barbiers, peintures, affiches : c’est une véritable exploration, à travers plus de 600 œuvres de 1450 à nos jours, sur les questions liées à la pilosité et à la coiffure. « Si les cheveux sont souvent liés à un seul sexe, les poils sont rattachés à différentes identités de genre selon les cas. Leur évocation, bien que très taboue, est éloquente pour signifier le féminin ou le masculin ». rappelle Sophie Lemahieu, dans son essai, Les cheveux dans la mode contemporaine.
Sujet « touffu » à l’évidence, que le parcours détricote, interrogeant les définitions et les frontières poreuses de la féminité, et de la virilité et de leurs représentations.
jusqu’au 17 septembre 2023
L’Argent dans l’Art (Monnaie de Paris)
Qui mieux que la Monnaie pouvait faire cette exposition sur les rapports (rarement abordés) entre l’art et l’argent ? « L’art et l’argent partagent une origine sacrée, tous les deux fascinent et sont objet de sublimation. rappelle Jean-Michel Bouhours le commissaire qui a rassemblé plus de 200 « représentations » de l’argent. Depuis les maîtres de l’Antiquité jusqu’au NFT, l’argent nourrit indéfiniment l’imaginaire collectif.
L’enjeu est d’ engager une réflexion tout azimuts parfois dérangeante sur les mécanismes de l’argent, en général et du marché de l’art en particulier, dès lors que ceux-ci sont immanents à l’œuvre d’art. Les thématiques telles que « La morale chrétienne de l’argent », « Le monde de la finance », « Que vend l’artiste ? » ou encore « L’Argent exhibitionniste » appellent à sortir des chemins trop balisés. ET y réussit pour nous tendre un miroir sur son omniprésence dans notre quotidien.
L’artiste ne se contente plus de représenter les thèmes et les personnes liés à l’argent, il engage une réflexion sur ses mécanismes, en valorisant son propre geste, en revendiquant l’art comme moyen de faire de l’argent ou en en faisant un outil de scandale et de provocation.
Marc Schwartz, Président de la Monnaie de Paris
Remarquablement scénographié dans le somptueux Hôtel de la Monnaie, le parcours se prête aux surprises et digressions, avec en toile de fond, un renvoi permanent au visiteur, sur la question de la valeur de l’art, et réciproquement.
« L’Argent dans l’art » se fait l’écho non seulement des questionnements sur la valeur de l’art mais aussi d’une acception plus large du concept de monnaie, hors sa fonction d’échanges économiques, là où Georges Bataille évoquait la notion de «dépense» non productive, là où Pierre Klossowski sous l’angle des affects définissait une «monnaie vivante», mesurant le prix de nos émotions et venant réveiller les fantasmes humains. La signature de l’artiste (Picasso, Duchamp ou Meireles…) vient se substituer au sceau du pouvoir dans une extension illimitée du concept de monnaie.
Jean-Michel Bouhours,commissaire et éditeur du catalogue
sans oublier nos chroniques :
- Pierre Dac, le parti d’en rire, MAHJ, jusqu’au 27 août,
- Spirou dans la tourmente de la Shoah, Mémorial de la Shoah, jusqu’au 30 août,
- Médecines d’Asie, l’art de l’équilibre, MNAAG – Musée Guimet, jusqu’au 18 septembre,
- Avant l’Orage, par Emma Lavigne, Pinault Bourse du commerce, jusqu’au 18 septembre,
- La Musique dans les camps nazis, Mémorial de la Shoah, jusqu’au 25 avril 2024.
De quoi stimuler toutes les curiosités,
sinon leurs catalogues sont remarquables !
#Olivier Olgan