Auteur : Mohamed Najim et Etienne Gingembre
Article publié le 2 avril 2024

[Les pépites de la révolution viticole] Issu au VIIe siècle de la viticulture monastique, le petit terroir des Vikings avait disparu juste avant la Grande Guerre, tué par le phylloxéra. Le bouleversement viticole observé par Mohamed Najim et Etienne Gingembre – Quand le vin fait sa révolution, aux Editions du Cerf – est à l’origine de sa résurrection, il y a une demi-douzaine d’années. Le duo a mis un coup de loupe sur les vins normands des Arpents du Soleil, LM Effervescence, Domaine de Saint-Expédit d’Edouard Capron.

La vigne, présente sur les bords de la Manche depuis les abbayes du VIIe siècle jusqu’au phylloxéra.

« Un cru de Normandie parmi les meilleurs vins de France reste un sujet d’étonnement », a récemment écrit le Guide Hachette. Le compliment s’adressait aux Arpents du Soleil, un domaine dont la première vendange date de 1995. Gérard Samson, le notaire de Saint-Pierre-sur-Dives devenu vigneron dans la même commune, est en effet le précurseur de la renaissance normande.
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Ce redémarrage n’a toutefois pas suivi de près la création des Arpents du Soleil, le ministère de l’agriculture ayant décidé de ne plus attribuer de nouveaux droits de plantation, en raison de la crise de surproduction du début des années 2000. Ce n’est que lorsque cette mesure a été levée que les Normands ont commencé à vouloir se faire vignerons. En ordre dispersé, il faut bien le reconnaitre, sans cahier des charges précis, les uns voulant traiter la vigne, les autres pas, certains ayant recours à des cépages parfois exotiques, comme les producteurs hybrides directs.
Mais les débuts d’une aventure font toujours un peu Far West, il faut bien essuyer les plâtres.

vu du vignoble des Arpents du Soleil Photo DR

Une cinquantaine de projets sont en cours de réalisation.

Une vingtaine d’autres verront le jour l’an prochain. Les caractéristiques de notre révolution viticole sont souvent bien visibles, depuis la formation des viticulteurs, à la restauration des sols, sans oublier les effets du réchauffement climatique.

On a planté à Beaumont-en-Auge, à Marolles et à Blangis-le-Château, dans le Calvados, au Plessis-Sainte-Opportune et à Ferrières-Haut-Clocher, dans l’Eure, à Fresne-le-Plan et à Dieppe, en Seine-Maritime, à Saint-Pair-sur-Mer et à Genêts, dans la Manche.
En tout, 38 hectares, avec l’ambition de doubler la mise en 2024.

Les Arpents du Soleil Photo DR

Avec déjà quelques pépites, comme le montre notre petite sélection.

Les cartes de César-François et Jean-Dominique Cassini ayant révélé la présence d’une vigne, au XVIIIe siècle, au lieudit Le Soleil, sur la commune de Saint-Pierre-sur-Dives, Gérard Samson y découvre une parcelle de la même géologie calcaire que des terres comme Chevalier-Montrachet dans la Côte de Beaune ou la Romanée-Conti dans la Côte de Nuits.

Etienne Fournet (à gauche) a racheté les Arpents du Soleil à Gérard Samson, qui continue néanmoins d’épauler son jeune successeur. Photo DR

Le notaire achète le coteau pour planter 6,6 hectares de chardonnay, pinot gris, auxerrois qui produisent des blancs réputés pour leur grande finesse et leur typicité normande. Le pinot noir y fait également merveille, avec des vins rouges très différents de la Bourgogne, de l’Alsace ou de Sancerre qui gagnent à être découverts.

L’an dernier, Gérard Samson a passé la main à Etienne Fournet, un jeune passionné qui a tout de suite engagé le domaine en conversion bio. Mais l’ancien notaire n’a pas totalement décroché. « Gérard est toujours là pour me prodiguer ses conseils et nous travaillons main dans la main », se réjouit le nouveau propriétaire.

Quatre parcelles de craie qui jouent à la Champagne

Ludovic Messier est un spécialiste des vins qui pétillent. Après quinze ans d’initiation en Champagne, il s’est bien sûr mis à produire d’excellentes bouteilles dans la région reine des vins à bulles.
Mais une idée l’obsédait car sa ville natale de Sainte-Adresse, pointe avancée de la Seine-Maritime au nord-ouest du Havre, était construite sur une géologie ressemblant beaucoup à la Champagne : pourquoi dès lors ne pas y implanter son savoir-faire viticole ?

C’est ainsi qu’en 2014 la cité célébrée par Eugène Boudin accueillit un petit vignoble. Plantés au creux d’une épingle à cheveux du boulevard Félix Faure, sur de la craie blanche comme celle de la Côte des Blancs, ses chardonnays viennent de Hautvillers, près d’Épernay, commune connue pour l’abbaye bénédictine où officia Dom Pérignon.

Mais Ludovic Messier qui est un aventurier a par la suite planté trois autres parcelles, tout aussi crayeuses : à l’abbaye de Graville (Le Havre), où il expérimente la biodiversité avec les herbes folles, les vers de terre et les coccinelles, à Fontaine-la-Mallet (un peu plus au nord) et au flanc d’une falaise d’Étretat, face à l’Aiguille creuse, tellement pentue qu’il lui faut vendanger en rappel…

A l’arrivée, un blanc de blanc très proche d’un champagne et qui n’a pas grand-chose à leur envier, avec une touche de saveur marine, iodée, qu’on ne retrouve évidemment pas du côté de Reims, qui a séduit une grande table de Versailles comme le ministre de l’Intérieur. Un bon début. LM Effervescence qui sort jusqu’à 1 800 cols par an les propose au tarif de la Champagne, sans qu’il y ait scandale à cela.

Freneuse est une bourgade proche d’Elbeuf, en Seine-Maritime

A une quinzaine de kilomètres au sud de Rouen, c’est là, sur un coteau calcaire orienté sud de la Seine, qu’en 2015, Edouard Capron a planté 2 hectares de Fromentel et de Chenin pour créer son Domaine de Saint-Expédit . Le néo-vigneron avait préalablement consulté un ouvrage sur la « Culture de la vigne en Normandie » dont l’auteur, l’abbé Coché, prétendait en 1844 que « le vignoble de Freneuse était regardé comme le meilleur de toute la région ».

Le meilleur… jusqu’à ce que le phylloxéra ravage la Normandie.

Les caves du Domaine de Saint-Expédit d’Edouard Capron Photo DR

Les premières vendanges de la résurrection ont eu lieu en 2018. Depuis cinq ans, le Domaine de Saint-Expédit produit du blanc et du gris.

Un vin blanc sec et minéral qui offre une robe claire et lumineuse. Pureté et élégance caractérisent ce millésime aux notes d’agrumes et de fruits blancs, avec un bel équilibre en bouche qui se termine par une finale tendue et saline.
Edouard Capron

Un vin qui accompagnera à merveille les poissons cuisinés à la mode normande.

#Mohamed Najim et Etienne Gingembre