Culture

Bijoy Jain Studio Mumbai, Le souffle de l’architecte (Fondation Cartier)

Loin du tumulte parisien, la Fondation Cartier s’est transformée en havre réflexif jusqu’au 21 avril 2024 grâce au « souffle de l’architecte Bijoy Jain ». Balayant les frontières entre l’esprit et la main, entre l’artisan et l’artiste, le créateur de Studio Mumbai pense d’abord un bâtiment comme un corps vivant, pour mieux le faire respirer, en explorant les matériaux les plus simples pour faire interagir lumière, air et espace. De cette expérience immersive, le mythique bâtiment de Jean Nouvel gagne une nouvelle dimension, plus poétique pour Olivier Olgan. Cette invitation à revenir à l’essentiel, offre une expérience sensorielle immersive et méditative, à la fois fugace et infinie.

En tant qu’architecte, j’apporte la plus grande considération à la façon dont sont créées les choses. L’essentiel est d’être attentif à l’environnement naturel, aux matériaux et aux habitants.
L’espace et l’architecture doivent être inclusifs.
Bijoy Jain, dialogues dans le catalogue

La fonction de l’œuvre est d’évoquer le silence

Pour mieux intégrer le visiteur dans son univers, le parcours est présenté sans cartel (sinon par l’intermédiaire de médiateur dans chaque salle, plus passeur que commentateur ). Et cette sobriété apporte une force supplémentaire; ne pas chercher à expliquer. Le monde de Bijoy Jain invite chacun à repousser ses « catégories » et les « bruits » dans tous les sens du terme, ce qui interrompt ou pollue pour mieux apprivoiser « le silence », auquel l’architecte indien confère un rôle essentiel de lien entre les pleins et les vides que nous Occidentaux ne cessons de vouloir gommer.

vue du Souffle de l’architecte Bijoy Jain, Studio Mumbai (Fondation Cartier) Photo OOlgan

Le silence a un son, nous l’entendons résonner en nous. Ce son connecte tous les êtres vivants. C’est le souffle de la vie. Il est synchrone en chacun de nous. Le silence, le temps et l’espace sont éternels, tout comme l’eau, l’air et la lumière, qui sont notre construction élémentaire.
J’espère que les spectateurs apporteront leur présence et, étant là, se dissoudront.
Bijoy Jain, dialogues dans le catalogue

vue du Souffle de l’architecte Bijoy Jain, Studio Mumbai (Fondation Cartier) Photo OOlgan

Retrouver l’attention

C’est bien à une expérience aussi physique qu’émotionnelle, immersive que réflexive que Bijoy Jain a conçu en investissant la dimension holistique du bâtiment de Jean Nouvel, extérieur/intérieur, jardin compris. Elle invite le déambulateur à se poser, à prendre le temps de se laisser absorber par l’espace, à saisir plus qu’à comprendre ce que l’entoure, le dérange mais aussi le transforme. Si l’ immersion est si délicate à restituer, elle est facile pour chacun à ressentir.

L’essentiel est d’être attentif à l’environnement naturel, aux matériaux et aux habitants. (…) l’architecture doit être ciselée de telle manière qu’au final on puisse balayer le sol avec les cils.
Bijoy Jain, dialogues dans le catalogue

vue du Souffle de l’architecte Bijoy Jain, Studio Mumbai (Fondation Cartier) Photo OOlgan

Une expérience de l’acteur-cueilleur d’une civilisation composite

Transcendant les lignes entre l’art et l’architecture, « l’installation » de la Fondation Cartier permet aux architectes conviés de réinventer le bâtiment de Jean Nouvel.  L’architecte indien propose une immersion dans une collection d’objets conçus par le Studio Mumbai, intégrant ceux de la céramiste danoise d’origine turque Alev Ebüzziya Siesbye et la peintre chinoise Hu Liu, sont-ils témoins  ou alertes d’une prise de conscience d’une civilisation composite qui ne prend pas ses responsabilités ?

Dans cette forêt de signes – dégagés de toute référence patrimonial, en dehors des matières qui les constituent – chaque spectateur devient acteur-cueilleur d’une « architecture faite d’eau, d’air, de lumière, une alchimie entre des entités liées par une affection réciproque et partageant un même mode d’expression. »

vue du Souffle de l’architecte Bijoy Jain, Studio Mumbai (Fondation Cartier) Photo OOlgan

« Tout ce qui est présent est fait d’un souffle. Il résonne en chacun de nous »

La gravité se libère, l’attente de sens s’épanouit dans le relief de formes, … Tout l’écho d’une archéologie poétique en train de s’exhumer résonne « Ma pédagogie, c’est l’architecture. Quant à savoir ce que cela implique, je dirais qu’il s’agit avant tout de créer de l’espace. Derrière les artifices, il y a cette notion d’habitation de l’espace.

vue du Souffle de l’architecte Bijoy Jain, Studio Mumbai (Fondation Cartier) Photo OOlgan (51)

Faire chanter les matériaux

vue du Souffle de l’architecte Bijoy Jain, Studio Mumbai (Fondation Cartier) Photo OOlgan

Fidèle aux gestes d’antan, ne cherchez ni rivets, ni mortiers, … Chaque est tranché, épongé, peint, tissé à la main. L’instinct haptique de l’architecte est un marqueur de sa pratique.

Sculptures en pierre ou en terracotta, façades d’habitats vernaculaires indiens, panneaux enduits, lignes de pigments tracées au fil, structures en bambou inspirées des tazias – monuments funéraires portés sur les épaules à la mémoire d’un saint lors des processions musulmanes chiites – ces constructions transitoires et éphémères présentent un monde à la fois infini et intime et nous transportent dans des lieux aussi proches que lointains.
Hervé Chandès, commissaire de l’exposition, introduction du catalogue

Ce que vous voyez, ce sont d’abord des gestes

Cette dimension manuelle « hors du temps », investie par des formes simples et souvent géométriques qui reposent sur des principes mathématiques fondamentaux qui parachèvent cette impression d’harmonie, universelle et intemporelle, bien au-delà de tout repère civilisationnel. Sans rien altérer, avec délicatesse.

Je crois que le beau n’est pas une substance en soi, mais rien qu’un dessin d’ombres, qu’un jeu de clair-obscur produit par la juxtaposition de substances diverses. […] Nous autres Orientaux créons de la beauté en faisant naître des ombres dans des endroits par eux-mêmes insignifiants.

vue du Souffle de l’architecte Bijoy Jain, Studio Mumbai (Fondation Cartier) Photo OOlgan

Ralentir le temps pour offrir de l’espace. Physique, émotionnel et sensoriel

vue du Souffle de l’architecte Bijoy Jain, Studio Mumbai (Fondation Cartier) Photo OOlgan

Tout l’intérêt de l’exercice réside dans le fait que nous ne faisons que traverser l’espace et le temps. C’est transitoire, momentané. L’exposition peut durer un, trois ou cinq mois : ce n’est qu’une nomenclature pour désigner le temps donné, le temps habité. Mais si l’on considère qu’il s’agit d’une pensée intuitive ancrée dans une durée inconnue – ce n’est pas une question de logique ou de connaissance, de passé, de présent ou de futur – alors elle est toujours présente, toujours là, il suffit de se mettre à son diapason.

Être à la fois fugace et infini

Chaque proposition éthique du Studio Mumbai, se fait au rythme de la respiration – celle d’une humanité qui intervient sur l’espace.

Pourquoi les hommes des cavernes peignaient-ils, alors que n’existaient encore ni acheteurs, ni commissaires, ni monde de l’art ? Ils le faisaient seulement pour retranscrire la beauté de ce qu’ils voyaient.

vue du Souffle de l’architecte Bijoy Jain, Studio Mumbai (Fondation Cartier) Photo OOlgan

Vivre l’espace de l’art, sans but dans un paysage nouveau

Avec subtilité, Le souffle de l’architecte met en scène une sorte d’anthologie des formes, avec ses sources d’inspirations, les étapes et les ambitions d’un processus collectif de recherches, d’explorations sans limite, avec des moyens et des matériaux naturels limités.

vue du Souffle de l’architecte Bijoy Jain, Studio Mumbai (Fondation Cartier) Photo OOlgan

Mes projets se développent autour de notions indispensables à la vie, comme l’air, l’eau, la lumière naturelle, Quand je parle du souffle, ce souffle n’est pas seulement celui de l’architecte mais celui que nous avons en commun et qui, collectivement, peut apporter de l’espoir.
Ce souffle est à la fois fragile et fort et porte en lui la résilience.
De cette manière, on peut retrouver un sens de l’espoir même si tout ce qui nous entoure est plutôt dans le bruit et le conflit.

vue du Souffle de l’architecte Bijoy Jain, Studio Mumbai (Fondation Cartier) Photo OOlgan

En parlant peu de lui, Bijoy Jain parle d’abord de nous, de notre avenir, qu’il pense collectif. Il faut l’entendre, même si l’injonction cerne d’abord notre éthique de responsabilité.

J’avais envie d’offrir un espace sans opportunité, dans lequel on se sente très bien, de la même manière qu’on irait voir la mer.

#Olivier Olgan

Pour aller plus loin 

le site du Studio Mumbaï

Catalogue, conçu par le directeur artistique japonais Taku Satoh  autour de conversations entre Bijoy Jain et Taku Satoh, Alev Ebüzziya Siesbye et Hu Liu (Éditions Fondation Cartier pour l’art contemporain, 144 p. 49€) : N’hésitez pas à vous plonger dans les convictions de cet humaniste un peu chaman et un alchimiste.

Grâce à nos recherches continues et à la documentation de ces paysages, nous avons découvert de nombreux phénomènes discrètement présents mais inexistants dans la conscience collective. Nous sommes curieux de tester comment ces connaissances tacites peuvent être transférées. Nous aimerions présenter un paysage à travers une exploration d’études matérielles variant en échelles, formes et techniques, toutes entrecoupées d’intuition et d’intention. Ces paysages sont à la fois théoriques et réels. Nous aimerions que les observateurs les branchent et en fassent l’expérience (…)

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