Culture
Le Musée d’Art Moderne (MAM) de Troyes rénové et repensé
Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 15 avril 2024
Après plus de cinq ans de (longs) travaux, le Musée d’Art Moderne (MAM) de Troyes a réouvert le 16 avril. Niché dans le somptueux palais épiscopal, à l’ombre de la cathédrale, cette rénovation est exemplaire à double titre pour Olivier Olgan : la scénographie limpide éclaire les chefs d’œuvre de la collection de Pierre et Denise Lévy et la valorisation de l’architecture patrimoniale facilite l’ accueil du public. Avec deux destins d’artistes réhabilités: le verrier troyen Maurice Marinot (1882-1960), la diversité du touche-à-tout André Derain (1880-1954). Le mois inaugural de gratuité se poursuit jusqu’au 12 mai 24.
A une heure et demie à peine en train de Paris, la destination Troyes offre un véritable creuset patrimonial. La Capitale historique des Comtes de Champagne est riche d’une dizaine d’églises, d’une Cité du Vitrail et six musées de France : des Beaux-Arts à celui de la maille à la Maison de l’Outil et de la pensée ouvrière… La réouverture du Musée d’Art Moderne (MAM) constitue un véritable aiguillon à découvrir cette ville carrefour des arts et des arts appliqués, à ciel et à cœur ouvert.
Le dialogue entre un site historique et une vision de l’art moderne
Oublions les importantes difficultés traversées – délais, COVID, coûts – pour n’exprimer que notre admiration pour cette rénovation exemplaire ; elle hisse désormais le MAM de Troyes parmi les plus belles institutions d’art moderne, et renforce la symbiose d’une vision de l’art moderne avec le monument historique qui lui sert d’écrin. Appuyée sur la donation des époux Pierre et Denise Lévy, ses collections se sont agrandies – par les donation Jeanne et Raymond Buttner, puis Isabelle et Claude Monod, et celles de Parvine Curie sans oublier quelques acquisitions : Ousmane Sow, …
Capter l’esprit moderne
L’ensemble permettre au visiteur d’embrasser l’essentiel de « l’esprit de l’art moderne » (1870-1950), sous le prisme du regard (et des moyens) de collectionneurs privés.
Pour l’essentiel, le MAM fut ouvert en 1982 dans l’ancien palais épiscopal de Troyes, construit aux XVIe et XVIIIe siècles à la suite de la donation d’une bonne partie de sa collection à l’État en 1976 de l’industriel du textile Pierre Lévy, sous réserve qu’elle soit présentée dans sa ville de Troyes.
Une histoire de passion, d’amour de l’art nourrie moins d’une vision encyclopédique que sur la notion de sensibilité.
De l’aveu même de Pierre Lévy dans ses mémoires : « Ma simple ambition, c’est que le visiteur comprenne bien qu’une collection se fait avec le cœur ». L’esprit ouvert, leurs centres d’intérêt s’étendent de l’art extra-occidental à celui de leurs contemporains, de la seconde moitié du 19e siècle au milieu du 20e siècle. La question de la modernité dans l’art est un fil rouge, en filigrane chez la majeure partie des artistes collectionnés.
L’indépendance d’esprit des Lévy à l’égard des modes dominantes du goût les fit s’intéresser à Balthus vers 1960 alors que triomphe l’abstraction, mais aussi à des artistes un peu moins connus comme le sculpteur Marcel Gimond.
Juliette Faivre-Preda, conservatrice du musée, et Éric Blanchegorge, directeur des musées de Troyes
La cohérence d’un œil
Il ne s’agit pas de regretter les absences ou de contester les rapprochements. Mais au contraire, saluer l’œil du collectionneur engagé qui privilégie le sens de chaque œuvre, qui traque le chef d’œuvre et sa complémentarité. Le cheminement est contextualisé et valorisé par l’intelligence collective pluridisciplinaire de l’équipe scientifique (Juliette Faivre-Preda, conservatrice du musée, et Éric Blanchegorge, directeur des musées de Troyes) et su scénographe (Philippe Maffre, Maffre Architectural Workshop). Pour réussir cette symbiose, le parcours comme les espaces ont été repensés et agrandis facilités par le départ de services administratifs portant les surfaces à plus de 2000 m2 et 2800 œuvres exposées.
Le choix de la chronologie et des cimaises des couleurs utilisées comme un outil de sens
Des combles reconquises au vaste premier étage, le parcours est chronologique pour mieux « lire » la peinture lorsque celle-ci voit ses canons académiques et carcans idéologiques s’effondrer pour n’être plus renvoyée qu’à elle-même.
Pédagogique et éclairante, l’invitation au voyage offre un décryptage comme une méditation active, pour reprendre une expression de Cézanne quand il définissait la peinture comme « une méditation le pinceau à la main » à travers la mise en valeur des réalistes, impressionnistes, postimpressionnistes, des fauves bien sûr, des nabis, du cubisme ou encore de l’art africain.
Nourrir une plongée immersive
Quoi de plus pertinent et immersif que cette longue promenade tranquille au milieu des vastes « piliers » chers à Baudelaire pour mieux investir l’histoire de l’art. Le repères des ruptures est scandée par les couleurs des cimaises ; du bleu pour le réalisme de Courbet, aux gris déclinés aux avants gardes de la modernité ( des cubistes jusqu’à l’abstraction de la Seconde Ecole de Paris), interrompu et relancé par le jaune pétant qui accompagne les peintres fauves, « le choc de la couleur que représente Derain ».
Au fil des panneaux et des cartels limpides, s’ouvrent des fenêtres sur un monde apparemment clos, que ce monde se résume à la « nature », à « l’homme » et/ou la « femme », la « chose », voir à la ligne, au point, à la couleur, à la toile, … Les matériaux premiers de cet art qu’on appelle toujours la peinture, sont questionnés, même s’il est bousculé par les œuvres africaines réunies par les Lévy, et les arts appliqués, notamment les textures sophistiquées du verrier troyen Maurice Marinot (1882-1960) ou les figures sculptées d’André Derain (1880-1954), qui fut aussi le conseil du couple.
Reste une permanente tentation de trouver une peinture « primitive ou premier« , démarche à laquelle ni Derain et son retour à l’ordre, ni Cézanne ne sont étrangers lorsque l’aixois se dit le « primitif d’un art nouveau ».
À la lumière de vos discours, je viens de comprendre pour quelles raisons notre collection n’est pas abstraite. Les peintures où la figure humaine est découpée ou recomposée n’ont jamais eu mon consentement… », disait Pierre Lévy au sculpteur Marcel Gimond. Et pourtant, il rassembla dans sa collection des toiles qui tendent vers une forme d’abstraction, voire, qui la revendiquent pleinement, à l’image des œuvres de Bissière ou de De Staël. En 2011, la donation Jeanne et Raymond Buttner vient compléter la collection du musée autour de la Seconde École de Paris, entre figuration et abstraction.
Juliette Faivre-Preda, conservatrice du musée, et Éric Blanchegorge, directeur des musées de Troyes
Révéler l’esprit d’une collection
Nous n’épuiserons pas le parcours riche du meilleur de dizaines d’artistes, de Seurat, à Modigliani, de Balthus, à Vieira da Silva, Sans oublier les œuvres contemporaines de Raynaud, Martine Martine (fille du couple Léy), Cardenas ou encore Séchas. Dans la symbiose réussie du patrimoine et de la modernité, la visite s’ouvre sur le majestueux jardin de sculptures entièrement repensé.
Les paysagistes se sont inspirés du plan de l’ancien jardin épiscopal, organisé en rangées parallèles à la façade. De ce verger originel, sont conservés une treille, un cerisier et la majestueuse allée de tilleuls. Aux légumes et vignes d’antan, succèdent des arbres, arbustes et vivaces car ce jardin se veut une palette vivante en toute saison, renvoyant aux couleurs des œuvres d’art présentées à l’intérieur du palais.
Reste à franchir à nouveau la monumentale porte d’entrée du musée troyen, sculptée en bois Parvine Curie.
Ce véritable sas de décompression symbolique ouvre à la réalité du monde, enrichi de nouveaux regards. Le retour à la gare permet de découvrir tous les trésors de Troyes, aussi un conseil ne prévoyez pas un retour trop juste de votre journée dans la Capitale historique des Comtes de Champagne, vous risquez de le regretter !
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En savoir plus sur le MAM Troyes
Le site MAM Troyes, 14, place Saint-Pierre, 10000 Troyes.
Gratuité pour tous le premier dimanche du mois
Gratuité totale jusqu’ au 12 mai avec un week-end festif les 20 et 21 avril riches de nombreuses animations : du yoga dans le jardin de sculpture, une balade contée, des visites guidées, des ateliers créatifs, des jeux de pistes en famille ou encore de l’improvisation théâtrale et un concert de jazz autour d’un bar à champagne.
- 22 juin- 20 octobre 2024, Italia veloce, arts et design au XXe siècle, grande exposition l’art italien des années 1900-1960 « jamais présentée en France » de la fondation italienne Sonia et Massimo Cirulli, de l’art sous toutes ses formes pluridisciplinaires, accompagnées de projections de films italiens des années 1940 à 1960 au cinéma CGR de Troyes.
- Du 23 juin 2023 au 14 janvier 2024, Parvine Curie, un monde sculpté
Agenda du Cabinet des arts graphiques
- Du 26 mars 2023 au 21 juillet 2024, Portraits de collectionneurs, portraits de collection
- Du 6 août au 27 octobre 2024, André Derain illustrateur
Six Musées de France en des lieux historiques remarquables :
- le musée de la Maille, mode et industrie (Hôtel de Vauluisant),
- le musée de la Renaissance en Champagne (Hôtel de Vauluisant),
- le musée des Beaux-Arts et d’Archéologie (Abbaye Saint-Loup),
- le museum d’Histoire naturelle (Abbaye Saint-Loup),
- l’Apothicairerie de l’Hôtel-Dieu-le-Comte au sein de la Cité du Vitrail, gérée par le Département,
- et la Maison de l’Outil et de la pensée ouvrière (Hôtel de Mauroy, Ville de Troyes, Département de l’Aube).
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