Culture

Le carnet de lecture de Benoit Chapon, artiste multimédium, « United Nations »

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 22 juillet 2024

L’artiste multimédium intranquille Benoit Chapon le confie sans ambage à Olivier Olgan : « C’est un foutu challenge pour moi que de définir la géodésie de mon travail, notamment l’œuvre réalisée sur billets de banque depuis bientôt presque deux ans, tant mes points cardinaux artistiques partent en tous sens. » Son « United Nations »  exposition à la Galerie Rachel Hardouin  jusqu’au 31 aout 2024 intègre avec gourmandise les jeux de la subversion et du détournement ludiques du fiduciaire. Le visiteur est transporté dans un « surnuméraire » où se découvre de multiples récits de vies pour de stimulants « détournements de fonds ».

Benoit Chapon, De l’air, United Nations, Galerie Hardouin Photo Benoit Chapon

D’un point de vue obstétrical, je dirai que mon travail baigne dans un liquide amniotique où voisinent pèle mêle Matisse, le Caravage, les dessins de Picasso (plus que les peintures), Oskar Kokoschka, toute l’œuvre de Marlene Dumas, des toiles éclatantes de Cy Twombly avec en sourdine les échos d’un concert de Nick Cave ou d’Arvo Pärt.

Livres et auteurs foisonnent également dans ce bouillon de culture, avec une égale importance, qu’il s’agisse d’Herman Hesse, Gracq, Lautréamont, Cioran ou encore Pessoa et la poésie en règle générale.

gravure sur bois de Valloton choisie par Benoït Chapon

Le rapport aux mots, aux livres est aussi présent dans ce travail sur billets (tant dans les  «billets doux » que dans les « billets d’humeur ») puisque – si je ne devais retenir qu’un nom- il s’agirait de Felix Valloton pour toute son œuvre gravée, qui servit très souvent d’illustration à nombres d’ouvrages.

La nécessité (comme dans la gravure sur bois de Valloton) d’une ligne claire sur un billet déjà chargé d’histoire(S) a certainement fait ressurgir cette influence dans mon travail, comme le souvenir de nombreux ex-libris.

Mon choc de jeune adulte -avec Le Rivage des Syrtes, de Julien Gracq– qui m’accompagne encore.

“Comment ne pas être un loup des steppes et un pauvre anachorète au milieu d’un monde dont je ne partage pas les fins, dont aucun des plaisirs n’attire mon attention ?”

Dans ce court roman, utilisant la corde du manuscrit trouvé, avec son protagoniste principal Harry Haller. Après de longues années, je m’identifie encore au personnage avec sa distanciation au monde qui l’entoure, à nos sociétés modernes. Le roman a beau avoir été écrit à la fin des années 20, presque cent ans après, je pense qu’il n’a rien perdu de sa pertinence, bien au contraire à l’aire de l’uniformisation portée par -entre autres les réseaux sociaux. Heureusement pour moi, j’ai eu la chance de pouvoir trouver mon théâtre magique et mon Hermine.

Marlene Dumas

Une découverte à la Tate Modern, « The image as a burden », en même temps que Paula Rego. La fluidité de son œuvre, libérée de toute contrainte, sans arrière-plan m’a saisi instantanément. Les corps qu’elle dépeint, « délave » laissent au regardant toute latitude pour s’approprier les thèmes universels (mort, sexualité, violence) qu’elle aborde. Son apparente simplicité de moyens, sa limpidité, sa liberté y compris en incluant mots, notes sur ses tableaux me confondent à chaque fois.

La danza de la realidad, d’ Alejandro Jodorowsky

Bien au-delà du cinéma, « La danza de la realidad » et sa suite « Poesia sin fin » sont un monument de poésie à la hauteur du bonhomme Jodo. Je reste encore halluciné par l’inventivité de cet octogénaire qui dans ses deux films autobiographiques célèbre la vie comme aucun cinéaste n’a -à mon sens- pu le faire. Chaque plan, chaque image me chamboule littéralement dans ce chant d’amour infini à la vie, à la poésie.
Salvateur et indispensable.

Henry’s Dream, de Nick Cave

Découvert via le film de Wim Wenders « Les ailes du désir », c’est probablement l’artiste que j’ai vu le plus en concert.

Nick Cave n’est pas fait pour être écouté tranquillement sur son canapé, de la même façon que des motets de Dufay ou Charpentier ne sont pas faits pour être écoutés les uns à la suite des autres. Il y a une forme de violence tribale -mêlant sacré et profane- dans les concerts de Nick Cave qui n’a pas d’équivalence pour moi. L’album « Henry’s Dream » et ses refrains assénés comme des mantras « Papa won’t leave you Henry » reste une expérience unique, scandée par la voix de baryton d’un auteur entier et perturbé.

Mes souhaits en cas de richesse soudaine et improbable : avoir une toile/laque de Loïc Le Groumellec (figurant des monolithes),

une toile de Marlene Dumas

et un polaroïd de Nan Goldin.

Mais aussi

  • Le Livre de l’intranquilité, de Fernando Pessoa
  • Le loup des steppes, d’Herman Hesse
  • La maman et la putain, de Jean Eustache
  • Eternal Sunshine of the Spotless Mind, de Michel Gondry
  • Stranger than Paradise, de Jim Jarmush

Propos recueillis par Olivier Olgan le 12 juillet 2024

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