Culture

Le carnet de lecture de Véronique Durruty, artiste visuelle

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 22 juillet 2024

Des pièces brodées aux collages, Véronique Durruty se définit comme « révélatrice d’invisible » à travers des voyages réels ou imaginaires. En près de 30 ans, l’artiste plasticienne française a publié plus de 40 ouvrages d’auteur. Récemment « La vie en bleus« , pièce unique autour de la violence conjugale s’est prolongée par « V, une Vie de femme, de la Violence à la Victoire », où ses pièces brodées ont été exposées à Villa Violet (mai 2024). Ses premiers « Billets doux » commencés en 2014 se sont multipliés depuis 10 ans. Exposés à la Galerie Rachel Ardouin jusqu’au 31 aout 2024, ils captent et agrègent des rebonds mémoriels, des rêveries poétiques, ou des souvenirs intérieurs, mais aussi ses indignations. Elle confie à Olivier Olgan un carnet de lecture nourrit de cette quête de « sortie de la réalité, pour percevoir une autre réalité, pour vivre mieux. »

En croisant différents médias, je cherche à révéler l’invisible
Sortir de la réalité, percevoir une autre réalité, pour vivre mieux.

Mon travail est nourri par mes expériences personnelles mais aussi, beaucoup, consciemment et inconsciemment, par les lectures, la musique, les films, les peintres, qui m’ont ouverte à ces univers invisibles.

La liberté de l’exercice autour de ce « carnet de lecture » (pas de limite ni en nombre, ni en taille), est vertigineuse. Alors, je me suis imposé une contrainte : en montrer 10, seulement 10.
J’ai choisi de garder des œuvres fondatrices, découvertes dès l’enfance ou à l’adolescence, à partir lesquelles un lien direct peut être fait avec mon travail.
A l’exception de la dernière, car il me semblait important de rester tourné vers l’avenir.

Je réalise qu’il manque des œuvres fondamentales : Quoi ? Aucun photographe ? Ni Brassai, ni Plossu, ni William Klein ? Aucun film ? Ni « 2001, Odyssée de l’Espace », ni « Johnny got his gun », ni « Orange mécanique » ? Pas de « voyage sur la lune », pas de « chien andalou » ? Et les BD ? Jodorovski, Comès, Tardi ? Où est Michaux ? Où sont Charles Baudelaire, Jack Kérouac, William Burroughs, Boris Vian ? Où sont Basquiat, Frida Kalho, Matisse et Magritte ?

Stop ! Choisir, c’est renoncer, on le sait bien, et voici mes 10 choix.

Horses, de Patti Smith.

J’ai découvert “Horses » plusieurs années après sa sortie. Je vivais en Tunisie, les disques étaient soumis à une censure implacable, comme les livres, les journaux ou les films, parfois tellement tronçonnés (exit le moindre baiser, un morceau de cuisse entrevue…) qu’un long métrage se métamorphosait en un drôle d’objet au scénario ouvert et sautillant.

Alors, bien sûr, dans les bacs des rares disquaires tunisois, je n’avais pas vu « Horses”, que l’on devait prendre ou laisser en entier.

C’est, je crois, en 1978 qu’une amie me l’a rapporté de France. A l’époque, j’attribuai la fascination que le disque exerçait sur moi entièrement à l’approche musicale – ce son inédit, cet entrechoc des rythmes, des registres vocaux, les textes qui secouaient et hypnotisaient à la fois.

Ce n’est que des années plus tard que j’ai compris qu’au-delà du monument musical qu’est “Horses” j’avais été marquée par sa capacité de générateur d’évocations : “Horses” crée un nouveau type d’espace, que chacun peut remplir différemment, selon son vécu, son imaginaire, ou selon le moment où on l’écoute.

Pour moi qui veut travailler, au delà du sens, sur les sensations, ce fut fondateur.

Puis j’ai creusé, découvert l’approche globale de Patti Smith, musicienne, photographe, poète, écrivaine, la façon dont tout cela se tisse et s’entrecroise, sans qu’on sache très bien où finit la poète, où commence la photographe… Il y a l’autour, Antonin Artaud et Arthur Rimbaud, ses anges et les couleurs des voyelles – l’obsession de tout mon travail photographique : photos qui ont un son, une odeur, faites pour caresser et parler aux oreilles avant que d’être vues.

My cross Hommage à la chanson Gloria, album Horses, de Patti Smith, 2015 Série Horsevivions

Aujourd’hui, je goûte et je regarde “Horses” de Patti Smith autant que je l’écoute.

“Horses” a été le point de départ d’un de mes travaux importants ( “Horsesvisions” avec le peintre Jacques Benoit, une exposition monumentale d’une centaine de pièces à l’espace Niemeyer à Paris)

Lors d’autres travaux, j’ai demandé à plusieurs reprises à des musiciens d’écrire des morceaux inspirés par mes images (ou à de grands « nez » d’en inventer le parfum).

Faire l’inverse, en partant d’une œuvre aussi majeure que Horses, d’une artiste aussi complète que Patti Smith, aurait pu (aurait du ?) me tétaniser. Car en travaillant sur Horses, au delà des morceaux de l’album, je pense aussi aux photographies de l’artiste.

Mon approche formelle si différente de la sienne (couleur, construction…) me permet de m’en affranchir, et de tenter de construire des œuvres en miroir aptes à faire entendre les morceaux de « Horses » encore autrement.

L’amant de la Chine du Nord, de Marguerite Duras

Je croyais que c’était pour la musique unique de ses mots, que ses textes me touchaient tellement. Au Vietnam, avec un amoureux, j’avais emmené L’Amant de la Chine du Nord, et, après avoir fait l’amour, je lui lisais les mots de Marguerite, qui semblaient avoir été écrits pour nous.

« le bruit de la ville était si proche qu’on entendait son frottement contre les persiennes comme si des gens traversaient la chambre».

C’étaient les mêmes bruits dedans la chambre, la même lumière sur la peau. Dans la nuit, à midi, et petit matin après petit matin, nue sur les draps, je lisais. Il eut droit presque aux œuvres complètes. Au Vietnam, j’enchaînai avec Un barrage, au Japon, Hiroshima mon amour, en Inde Le Vice-Consul et, en France, Moderato Cantabile et Le parfum des magnolias.  Il souriait et s’en foutait, « je n’aime pas Marguerite Duras ».

C’est bien après la fin de notre histoire d’amour que j’ai réalisé tout ce qui, dans l’univers de la grande dame – le carcan familial, l’amour du frère, l’alcool, la violence… – faisait résonance au mien.

Je suis allée au Vietnam et au Cambodge, sur les lieux de l’enfance de Duras, en 1991, quelques mois après la sortie deL’Amant de la Chine du Nord. C’était la ré-ouverture du Vietnam, comme une évidence, je suis partie sur les traces de la dame qui faisait chanter les mots dans ma tête. Saïgon, Cholon, Vinh Long, Sadec, Phnom Penh, Kampot.
Puis j’y suis retournée et je suis allée aussi dans l’Asie rêvée de Duras, Inde, Hiroshima, la Birmanie de la mendiante.
J’ai vu le collège de Saïgon, le Continental, « le plus bel hôtel du monde », l’école de madame Donnadieu. Ils ne sont pas sur ces photos, je n’ai pas voulu faire un travail d’archive.

Ce que je voulais, c’était partager le sensoriel de ces lieux. Capter la qualité de lumière bien sûr, puisque c’est ça une photographie, mais je voudrais aussi avec mes images partager l’odeur du fleuve, les rires des villages de jonques, la frontière incertaine entre le dedans et le dehors, entre l’espace public et les zones privées.

Il y a aussi mes redites d’images dans cette ode à Duras. C’est important cette quantité : il fallait traduire la touffeur, le rythme, ces phrases sans virgules. Et puis ces reprises sèches pour préciser. Chaque cadre c’est une phrase. Parfois une phrase de deux mots. Traduire aussi la récurrence, ces ouvrages qui se répondent l’un l’autre. C’est ainsi qu’il y a plusieurs photos du fleuve, d’enfance, de mer.
Les titres enfin. Car, pour les mêmes raisons, « Dès que tu m’as regardé je t’ai désirée » pourrait s’appeler « Pour moi, c’était tes mains« , « C’est un tango« , ou « Modéré et chantant« .
Alors je laisse au spectateur le soin de choisir les mots à mettre sur ces photos, ceux de Duras ou bien les siens. Car ces photos ne sont plus à moi.

Mon travail hommage à Marguerite Duras a été présentée en particulier en 2016, à la Galerie Impressions à Paris et La Rotonde de l’ Hôtel de Ville de Trouville, dans le cadre des Journées M. Duras.

« Ici les gens ne sont jamais abandonnés, jamais seuls. » prise de vue argentique, 1991 Série « Duras song, Asia song »


Paysage émotionnel 5, 2010, Prise de vue argentique série Blue(s)

L’amour fou, d’André Breton

Fascinée et inspirée par tout le mouvement surréaliste, que ce soit en terme de forme, des photogrammes aux cadavres exquis) ou de fond (présence de l’invisible, force de l’imaginaire…) – ainsi que par leur pluridisciplinarité, des textes où le chemin le plus court pour aller de A à B prendrait la forme d’une spirale, et quel chemin d’ailleurs ? Quel point ?, j’ai particulièrement été touchée par les textes de Breton et sa trilogie de Nadja à l’amour fou, qui se conclut par « je vous souhaite d’être follement aimée ».

Un extrait de « l’amour fou » forme le fond de mon Blue(s), paysage émotionnel 5.

« Union Libre ». Encre sur tirage pigmentaire sur papier en coton pur. Inspiré par le poème d’André Breton, 40 cm x 60 cm, pièce unique, 2020

Un autre titre d’André Breton, « Amour libre », a donné paissance au photo-dessin du même nom, proposé par la Galerie Glineur

J’ai photographié ce jeune homme, je lui ai demandé de « danser la séduction », comme un oiseau qui tourne autour d’une femelle, qui fait le beau, qui se met en valeur, le corps seulement, sans le secours de l’esprit, de l’argent, du statut.

J’ai voulu saisir l’esprit de ce corps, la sensualité qui en émanait, en faisant cette photo-esquisse plutôt qu’une photo-graphie. Puis j’ai dessiné sur son corps, comme un tatouage, un portrait de femme rêvée, mise en image libre du poème « union libre » d’André Breton, dédié à une seule femme.

Comme souvent dans mes photo-dessins, paradoxalement (car souvent la photo est associée à la réalité et le dessin a l’imaginaire), le dessin au trait à la plume, net, peut sembler plus réel que la photographie.

La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France, de Blaise Cendrars

La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France de Blaise Cendrars Photo DR

Dans mon souvenir, la première fois que j’ai lu ce texte, mon livre ne contenait pas les simultanés de Sonia Delaunay, seulement les textes.

Aujourd’hui, plusieurs livres de l’ailleurs emblématiques de ma bibliothèque sont indissociables des dessins qui les accompagnent.

Moi qui traque le moindre gramme dans mon sac-à-dos de routarde, «L’usage du monde » dans son format original m’a accompagnée dans mon plus long voyage en Inde (plus d’un an) pour que je puisse déguster en taille réelle les dessins de Thierry Vernet. Et aux côtés de « Éros dans un train chinois », j’avais bien sûr emporté « La prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France » dans le voyage en train de Moscou à Pékin, où, prenant les chemins de Traverse, j’avais fait durer le voyage sur deux mois, m’arrêtant à peu près partout.

« Dis Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre ? « .

Le côté hypnotique de cette phrase associé au balancement du vieux train serait une première expérience de transes. En Sibérie, le train s’est arrêté à Ulan Ude, en Bouriatie. Nous étions en 1999, les pratiques religieuses reprenaient droit de cité en Russie après la période soviétique, et aux côtés des monastères bouddhistes qui piquetant le paysage, je découvrais mes premiers cercles chamaniques. Un choc. Moi, l’indéfectible athée, au bac section scientifique, fille de deux profs de maths, un plus un égale deux.

Il est vrai que cela faisait un moment que je tournais autour. j’aime les religions des autres, et en particulier celles où l’on n’a pas besoin d’un Dieu Tout Puissant, celles à partenaires multiples, des grands sorciers africains aux animistes du Pacifique, celles où l’on communique en direct, sans pyramide hiérarchique, des religions « B to B », en quelque sorte. j’admirais leurs pratiques fascinantes et leurs abracadabrants récits, avec un scepticisme qui s’émoussait au fil de mes voyages. En Bouriatie, j’avais pris quelque photos, oui Blaise, nous étions bien loin de Montmartre, et j’étais remontée dans le transsibérien, prochaine étape Ulan Bator.

Il me fallut presque 20 ans pour vivre une véritable immersion dans le monde des chamanes.

Entre-temps, j’avais  raté une rencontre en Mongolie au début des années 2000 ; une autre fut annulée quelques années plus tard pour cause de FARC tout proche dans la forêt amazonienne de Colombie.
Là, c’était le moment. Chez moi, j’avais subi un incendie aux causes inexpliquées. Des milliers de mes photos, irrémédiablement perdues, s’étaient envolées en fumée, dont j’apprendrais par la suite qu’elle était l’aliment de base des esprits, cela console.

Dans la foulée, j’avais été la proie d’une maladie archaïque. J’en venais péniblement à bout, après de longs mois de quarantaine, puis de traitements allopathiques. Un détonnant cocktail de molécules chimiques, accompagné d’une farandole d’effets secondaires variés et délétères, que je ne souhaiterais pas à la plus malfaisante des âmes errantes, mais qui m’a sûrement sauvé la vie.
« Tu as été maraboutée » ironisaient, ou non, les amis qui me prêtaient main forte.

« L’esprit au tambour », encre sur tirage pigmentaire 40x60cm série « transes chamaniques »

Alors, je suis partie aux sources. Au fin fond de la Sibérie, là d’où nous viennent les chamans. Saman, Shaman, Xamān, selon les transcriptions et les dialectes, c’est en effet le nom que se donnaient, avant que les occidentaux ne découvrent leur existence, les médecins-magiciens de ces régions de langues altaïques. Un mot visuel et pratique, à l’image de ce que je découvrirais, plus tard, lors des pratiques chamaniques. « Sam » signifie en effet « s’agiter en remuant les membres postérieurs », et le chaman, « celui qui s’agite et bondit », est aussi « celui qui sait », celui qui peut entrer en communication avec les esprits. Le terme fut introduit en Europe au XVIIe siècle à travers des récits de marchands et d’explorateurs, et entra officiellement dans notre langue au milieu du XVIIIe siècle.

Quant à la pratique, rien n’est véritablement sûr, mais il est vraisemblable que tout soit parti de là-bas : les peuples de Sibérie, en essaimant et passant le détroit de Behring, auraient emmené avec eux leurs hommes-médecine lors de leurs pérégrinations – un acte de protection basique, somme toute.

J’y suis restée deux mois, j’ai accompagné 4 chamans, et ai créé une nouvelle série de photo-dessins autour de transes de femmes chamans, exposée en 2021 à la galerie Rachel Hardouin (face à la transe de « My Cross » de Patti Smith, comme pour boucler la boucle)

Grande baigneuse au livre, de Pablo Picasso Photo DR

Grande baigneuse au livre, de Pablo Picasso

Oui, Picasso est un sale con. (Breton aussi, si homophobe qu’il ne voulait pas de Cocteau chez les surréalistes, aïe aïe aïe je n’ai pas gardé Cocteau dans ces « carnets de lecture », honte à moi, il faudrait ajouter « Les enfants terribles » et les « Dentelles d’éternité », « Antigone » et « La belle et la bête ». Mais je vous ai promis de m’en tenir à 10 références, des carnets de lectures et pas une Bible, alors laissons Cocteau).

Un sale con, oui, mais un génie. On va dire qu’on sépare l’homme de l’artiste, c’est bien pratique, et hop.

Inventer, réinventer, réinventer, réinventer, réinventer encore. Et taper juste, fort, toujours. Transformer une selle de vélo en portrait de toro, une pute en déesse africaine (je réalise en écrivant ces mots que c’est peut-être des « Demoiselles d’Avignon » que sont nées mes « madones du Bangladesh », femmes prostituées que j’ai métamorphosées en icônes.

Mais ma référence assumée au travail de Picasso est cette baigneuse issue de la série » Naissance des spectres » où je visualise les esprits qui nous entourent, nous inspirent et nous protègent.

 

L’esprit de Picasso, 60×60 cm série Naissance des spectres

 

Les Marquises, de Jacques Brel

Brel, il m’a accompagnée depuis ma naissance. Je vivais à Bruxelles et, par le plus grand des hasards, maman était le professeur de math de ses enfants (Jacques, francophile, avait mise ses enfants au lycée français). Mais surtout, mon père écoutait ses albums en boucle et toute petite, je chantais « Le plat pays ». (Plus tard, je chanterais « Bruxelles » de Dick Annegarn qui, lui, avait été l’élève de mon père à l’École européenne, mais cela est une autre histoire, et j’ai dit : 10 carnets de lecture, pas plus !)

Quand « Les Marquises » est sorti, nous n’habitions plus à Bruxelles mais à Tunis, l’intégrale des vinyles de jacques Brel continuait à tourner sur la platine, papa avait un bateau, me parlait du tour du monde qu’il ne ferait jamais mais m’avait passé le virus de l’ailleurs.

Alors, les Marquises, j’en demandais, j’en redemandais.

En 2010, je pus enfin partir sur ses traces  et réaliser un travail de photographies et photo-dessins intitulé « Gémir n’est pas de mise », dont la première exposition eut lieu à Genève en 2017

« Le cœur est voyageur », hommage à Jacques Brel (« les Marquises ») Encre sur tirage 60 cm x 90 cm sur papier Canson fine art numéroté et signé Série « Gémir n’est pas de mise » prise de vue argentique 2010, photo-dessin de 2017

Yellow, Pink and Lavender on Rose, de Mark Rothko

J’ai longtemps hésité entre ce tableau et l’ensemble de la chapelle de Houston. J’ai choisi celui-ci à cause de l’ambivalence des ces tableaux, lui peignait la tragédie ou la mort et dans ces couleurs lumineuses beaucoup ressentent la vibration de la joie.

Est-on un gros nul si l’on ressent autre chose que ce que le peintre a mis dans son tableau ? Je me moque bien de que qu’on est sensé y voir. Pour ma part, la force de ces grands tableaux est justement.

White Pink White de Rothko, Véronique Durruty 2018 diapositive brûlée Série Après le feu

En 2016, mon atelier a été la proie d’un terrible incendie qui a détruit toute une partie de mes archives.

Parmi les milliers de photographies calcinées, j’en ai retrouvé quelques unes ou le feu m’avait fait le cadeau d’une poésie nouvelle.

Pour ces photos -phénix dont le feu a changé l’histoire, j’ai proposé une légende, écrite à la main au dos de la photo. Légende non au sens habituel du terme pour les photos ( « intitulé de ce que représente une photographie, un dessin ») , mais au sens premier :  » récit à caractère merveilleux, où les faits historiques sont transformés par l’imagination populaire ou l’invention poétique  » (Larousse). Quoique. La première définition est, tout compte fait, peut-être la bonne.

« White Pink White de Rothko », Véronique Durruty 2018 diapositive brûlée Série « Après le feu »  légende : Plus de 40 ans après que le peintre s’est donné la mort, il semblerait que deux œuvres de Mark Rothko (Pink Orange Pink et White Pink White) aient été retrouvés. » Elles ne figurent pas encore sur le catalogue raisonné de l’artiste. Alors qu’une toile du maître a atteint 86,9 millions de dollars, cette découverte met le monde de l’art en émoi. »

Tu es si belle qu’il se met à pleuvoir, de Richard Brautigan

Quand j’aime un artiste, un auteur, et cela est vrai pour tous les cas ci-dessus, je mange, j’avale. Tout. Je suis une boulimique, ma façon d’être « phile » est d’être « vore ». Si la musique d’un texte, si les vibrations d’un peintre me parlent, je prends tout.

« Nyx »série icônes de Véronique Durruty, 2013 encre de Chine sur tirage sur papier Arches frangé 640g 56×76 cm, pièce unique

Que c’est dur de choisir un titre de Brautigan ! J’ai mis du temps pour mettre de côté les titres, un par un.
A la fin, il restait « retombées de sombrero » et «  tu es si belle qu’il des met à pleuvoir ».

J’ai gardé les « vrais » poèmes. Mais « Retombées de sombrero » est un vrai poème aussi.
Ma « Nyx » est peut être elle, la femme de « Retombées de sombrero ».

Je ne l’ai pas volontairement surexposée, cette image. J’ai déclenché en vitesse, puis j’ai corrigé mes réglages. A l’arrivée le résultat était là : seule la première photo avait une âme, la blancheur extrême de la peau en faisait une déesse, presqu’un pur esprit. Les autres images de la pellicule n’étaient que les portraits d’une jolie fille japonaise.

Le deuxième sexe, de Simone de Beauvoir

V comme Ventre. Série « V  »

Dans ma liste, cet ouvrage fait exception. Tous les autres titres de ces « carnets de lecture », par ce qu’ils racontaient et par leur création formelle, m’ont emportée dans d’autres univers, des autres mondes, des autres dimensions du monde, et d’autres mondes de création. Celui-ci m’a ancrée dans une réalité lourde, m’a aidé à décrypter cette réalité.

Et puis, je ne suis ni une « phile » ni une « vore » de Simone de Beauvoir. Avant « le deuxième sexe », j’avais lu « Mémoires d’une jeune fille rangée », qui avait déclenché l’envie de m’attaquer au « deuxième sexe ».

Enfin, le personnage de De Beauvoir m’intéressait, la femme qu’elle était, le couple libre qu’elle formait avec Jean-Paul Sartre.

Je crois que le seul travail que j’ai réalisé autour du réel est celui que je fais autour des femmes. Est-ce lié ?

Pour « V comme Violence », mon dernier travail sur le sujet, j’objective mes images avec des chiffres. V comme Vérité. Cette Vérité est bonne à dire.

Réceptacle à sperme, réceptacle à enfant. En 2023, 54 % des femmes de 25 à 34 ans pensent qu’on attend des femmes qu’elles aient des enfants. Photographie reprisée 20×30 cm, pièce unique, 

Bridge to nowhere, de At Mos

Et l’avenir ? Mon dernier carnet de lecture est celui des prochaines générations, ceux qui ne sont pas encore sur le devant de la scène, dont je découvre l’univers au hasard des rencontres,  Baptiste Lecarme et ses métalepses qui résonnent avec mes chamanes, mes mer-mères et mes fantômes, Juliette Baigné et ses danses qui passent du corps au papier, et puisqu’il faut choisir…

Ce sera At Mos, dont justement l’album « Bridge to nowhere » interroge la difficulté du passage vers le futur, en s’inscrivant sur une base rap résolument actuelle mais riche de l’histoire et de la diversité des sons, classique, Klezmer, world, trip-hop.

Propos recueillis par Olivier Olgan le 12 juillet 2024

Pour suivre Véronique Durruty

Véronique Durruty, Des racines et des ailes, 2024 à la Galerie Rachel Hardouin jusqu’au 31 aout 2024)

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