Culture

Benoit Chapon, United Nations & Véronique Durruty, Les billets doux (Galerie Rachel Hardouin)

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 18 juillet 2024

En contrepoint de la vague mercantiliste qui manque à tout instant d’étouffer l’Olympisme, La Galerie Rachel Hardouin a invité jusqu’au 31 aout 2024 deux artistes intranquilles pour réintégrer les jeux de la subversion et du détournement ludiques. Benoit Chapon, et Véronique Durruty partent au sens propre et figuré du billet de banque. Dès lors rendu à son simple support papier, ils donnent à voir ou extirper des récits poétiques ou caustiques, pour Olivier Olgan, bien au-delà des histoires officielles et des apparences du papier monnaie national.

 

  

Loin du « diable »

« L’argent dans l’Art » a fait l’objet de nombreuses expositions (Jean-Michel Bouhours, Monnaie de Paris, 2023) et monographies (Nadeije Laneyrie-Dagen, Citadelles-Mazenod 2020) souvent axées sur sa représentation critique entre fièvre de possession et perte de l’âme.

« L’argent, le plaisir de le gagner, la tentation de le dépenser, la hantise d’avoir à le rendre par l’impôt, ainsi que la crainte encore plus grande de perdre son âme en faisant métier de l’acquérir : tout ceci relève de ces préoccupations et se voit dans les œuvres. »
Nadeije Laneyrie-Dagen 

Benoit Chapon, Poutine m’a tuer, Navalny « United Nations » (Galerie Hardouin) Photo OOlgan

Déclencheur en surnuméraire

Riche d’une centaine de billets de près de 50 pays éminemment personnalisées, l’exposition de la Galerie Rachel Hardouin nous offre une tout autre dimension du « Billet », celle de l’ imaginaire chargée d’histoires, à déplier ou à « découvrir » comme on le fait en archéologie.

« Je viens en surnuméraire » dit joliment Benoît Chapon, pour nous dire qu’au-delà de l’histoire concrète du fiduciaire, le billet qu’il a recueilli contient aussi des vies entières. » Véronique Durruty en quelque sorte renchérit quand elle nous confie que le billet est un « déclencheur ». Il contient l’histoire d’un pays ou d’une nation. Il devient pour elle une support de rebonds mémoriels et de rêveries poétiques, une fenêtre ouverte aux souvenirs, mais aussi à l’indignation ou la réminiscence.

La conversation entre ces séries de Benoit Chapon et Véronique Durruty offre matière à penser notre monde, sa construction, son histoire au-delà de l’histoire officiellement diffusée.
Rachel Hardoiun

Véronique Durruty, La main rouge (Turquie) 2024 (Galerie Rachel Hardouin)

United Nations, détournements de fonds

Au fil des œuvres de « United Nations », s’échappent de multiples références où l’artiste gourmand d’images intranquilles jongle avec les détournements et les allusions entre coups de griffes ou caresses voluptueuses.
Le point de départ de ses « détournements de fonds » tient dans la rencontre sur un billet de 50 francs, du Petit Prince de Saint Exupéry et du drame migratoire au large de la Turquie. En filigrane, le personnage de Saint-Ex observe le corps gisant sur la plage du jeune Alan Kurdî, réfugié kurde syrien décédé en 2015 et semble nous questionner sur notre humanité.

 « Le billet sert à tout ; il y a des milliers d’histoire individuelles derrière l’histoire fiduciaire des Nations. Je dialogue entre deux dimensions, celle de l’autorité de l’Etat et le détournement du faux monnayeur. On hésite par rapport à l’Histoire, mais pas question de ne pas la désacraliser. »
Benoit Chapon, United Nations 

Benoit Chapon, « United Nations » (Galerie Hardouin) Photo OOlgan

Des billets qui nous parlent

Benoit Chapon, « United Nations » (Galerie Hardouin) Photo OOlgan

Elles sont nombreuses, les figures qui nous parlent, de Warhol à Navalny, ou d’images iconiques, de la vietnamienne brulée aux poings levés des athlètes noirs à Mexico, Pier Paolo Pasolini côtoie Michel Houellebecq, pou un chef d’état français envoie son « bon baiser » au président Kadhafi, … Et c’est jubilatoire, d’audace, de délicatesse ou au contraire de forces.
Le médium renforce y l’expression. Le dessin, dans la pure tradition de la ligne claire – encre noire et rehaussement blanc – creuse souvent le sujet représenté sur toile de fond du billet tel un pied de nez à l’Histoire.

Le rapport aux mots, aux livres est présent dans mon travail sur « United Nations » (tant dans les  «billets doux » que dans les « billets d’humeur ») puisque -si je ne devais retenir qu’un nom- il s’agirait de Felix Valloton pour toute son œuvre gravée, qui servit très souvent d’illustration à nombre d’ouvrages. La nécessité (comme dans la gravure sur bois de Valloton) d’une ligne claire sur un billet déjà chargé d’histoire(S) a certainement fait ressurgir cette influence dans mon travail, comme le souvenir de nombreux ex-libris.
Benoit Chapo, United Nations, voir plus dans le carnet de lecture.

Des Billets doux cachent aussi leur intranquillité

Si Benoit Chapon questionne parfois la valeur marchande du billet : ce pouvoir qui ouvre toutes les portes, y compris celle du bordel, Véronique Durruty préfère au même bordel évoquer les femmes qui y travaillent, leur solitude, mais aussi leur générosité. L’engagement est aussi le moteur de cette dynamique subjectif qui constate que le monde est trop régulé par la monnaie, au détriment des femmes en particulier. Ne vous en laissez pas compter !

Véronique Durruty, Billets doux (Inde, 2014) (Galerie Rachel Hardouin)

A l’actif d’une indignation.

« Quelle sidération en découvrant l’image de la communication du lancement du parfum pour homme One million de Paco Rabanne ! Le flacon du parfum prenait la forme d’un lingot d’or. Dans le film publicitaire, après s’être aspergé avec le contenu du lingot, le jeune homme claquait des doigts, …et la jeune fille située en face de lui, se déshabillait illico. Je m’étais dit que trop c’est trop, que ce parfum ne pourrait que se planter. » One million a fait un carton commercial. »
Véronique Durruty, Les billets doux.

L’artiste glisse beaucoup d’elle-même dans cette « subversion des images ». Sa technique de collages rappelle celle des Surréalistes, autorisant à travers le jeu des associations libres, des récits multiples, ouverts, « voyant » dans chacun de ces bouts de pays un médium déclenchant l’imaginaire.

« Je ne regarde plus les billets de la même façon, En croisant différents médias, je cherche à révéler l’invisible »
Véronique Durruty, lire le carnet de lecture.  

Véronique Durruty, Belle plante 2024 (Roumanie) (Galerie Rachel Hardouin)

Autant de récits que de billets, sondez vos poches !

Au fil des pérégrinations visuelles, Il ne fait pas prendre pour argent comptant les « Billets doux » de nos deux artistes, d’autres valeurs s’ouvrent à nous.  Et surtout si vous avez de vieux billets qui trainent, n’hésitez pas à les confier lors de votre visite à Rachel Hardouin qui les  transmettra, ils pourront ouvrir  de nouveaux imaginaires.
Rien ne se perd, tout se transforme, même les billets de banque.

Olivier Olgan

Pour aller plus loin

jusqu’au 31 aout 2024, Galerie Rachel Hardouin, 15 curiosity & experiences, 15, rue Martel 75010 Paris – interphone « 15martel «  – BAT.A #4 – #15martelparis – @galerierachelhardouin15martel

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