Culture
Mexica, Des dons et des dieux au Templo Mayor (Quai Branly)
Auteur : Baptiste Le Guay
Article publié le 15 août 2024
Appelé à tort « Aztèque » par les explorateurs européens, le peuple ayant fondé en 1325 la métropole insulaire de Tenochtitlan retrouve le nom par lequel il se désignait: Mexica. Centrée sur les découvertes sur leur lieu de culte, le Templo Mayor, la magnifique exposition que lui dédie le Musée du Quai Branly, prolongée jusqu’au 6 octobre 2024 permet de découvrir une vision du monde, où êtres humains et dieux sont intimement liés. Entre divinités et sacrifices, cette immersion plonge pour Baptiste Le Guay dans une société sophistiquée qui avait atteint son apogée au moment de l’arrivée d’une poignée de conquistadors espagnols en 1519 qui la balaya.
Des dons et des Dieux au Templo Mayor
La vision Mexica se constitue à partir d’un dieu créateur : « Quetzacoatl » (serpent à plumes), divisant l’univers entre ciel et terre. La surface terrestre représente la vie avec les humains, les animaux, la nourriture, tandis que le monde souterrain est lié à la mort et l’au-delà. Pour créer le soleil et le vivant, les dieux se sont sacrifiés. Quatre soleils se sont succédés avant d’être détruits par un cataclysme, laissant place à l’ère du cinquième soleil.
Ces deux mondes s’opposent mais ne peuvent exister l’un sans l’autre. Il forme un équilibre où le principe d’opposition et de dualité se complètent. Le monde céleste et terrestre est masculin : chaud, sec, lumineux, fort, supérieur. A l’inverse, le monde souterrain est féminin : froid, humide, obscur, aqueux, nocturne et inférieur.
Un équilibre toutefois fragile devant être entretenu par des rituels comme la nourriture offerte aux dieux, ainsi que des sacrifices humains pour les honorer.
Des divinités associées à la vie, la mort et la nature
Les représentations de dieux sont sculptées dans de la pierre ou du bois, elles peuvent également être en céramique ou en terre. Elles sont mises dans les temples, mais aussi les maisons, la croisée des chemins, autour des sources d’eau et dans les lieux de géographie sacrée où les fidèles s’adressaient aux divinités par des offrandes, des prières, des chants et des processions.
Dans les divinités présentes, nous trouvons en nombre celles de la fertilité, dans un monde où la subsistance dépend de l’agriculture. Certaines favorisent les conditions d’une bonne récolte, d’autres veillent à la croissance de la végétation.
Le dieu de la mort, Mictlantecuhtli, apparaît sous la forme d’un personnage en partie décharné. En dessous de ses côtes, nous pouvons voir son foie, où est situé l’ihiyotl, soit l’âme associée aux pouvoirs du monde souterrain.
Divinités de l’eau, de la pluie et du vent
Ehecatl-Quetzalcoatl, dieu du vent, représenté sous forme de singe ou d’un homme portant un masque buccal à bec d’oiseau, est l’un des principaux avatars de Quetzalcoatl. Possédant des pouvoirs liés à la vie et à la fertilité, il était l’un des dieux les plus vénérés. Il est le vent balayant le chemin pour le dieu de la pluie Tlaloc, amenant les nuages, particulièrement attendus dans une région soumise au régime saisonnier des pluies. Tlaloc agit sur l’imprévisibilité des régimes des pluies, il était le dieu le plus honoré du panthéon Mexica. Baptisé « le donneur », il fournit tout ce dont les plantes ont besoin pour germer.
De nombreuses divinités comme celles de la végétation (Chicomecoatl), de la moisson et de la guerre (Xipe Topec) ainsi que les divinités solaires, lunaires et stellaires. Il existe également les divinités du feu et de la mort, les divinités spécialisées comme Yacatecuhtli, le dieu du commerce.
Le symbolisme des offrandes faites aux dieux
En se mouvant dans le monde terrestre des créatures, les dieux s’épuisent et perdent leur énergie. Afin de rester en mouvement, ils doivent être nourris, raison pour laquelle ils ont créé les humains, se devant de les vénérer avec des offrandes et des sacrifices. Loin de se sentir comme des victimes, les fidèles du XVIème siècle se considéraient privilégiés de les honorer, se sentant redevables pour subvenir à leurs besoins. Ils les remerciaient ainsi en leur donnant leur sang puis leur enveloppe corporelle à la fin de leur vie.
Pour illustrer ce processus, les Nahuas de la Sierra Norte de Puebla au Mexique disent : « La très sainte Terre Mère nous nourrit, puis elle nous mange ».
Les humains se considèrent comme les bénéficiaires des faveurs divines, notamment pour les moments clés de leur existence : la venue de la pluie, la fertilité de la terre, la santé, la possibilité de reproduction et le succès à la guerre. Dans le cas contraire, les maladies, les mauvaises récoltes et les défaites militaires les incitaient à tenir les dieux pour inconstants et avares. Pour y remédier, les fidèles leur offraient des fleurs et de l’encens, de la fumée du tabac, des fruits de la récolte, du sang et de la chair, d’animaux ou d’humains !
Les humains respectaient ainsi un échange éternel, empêchant l’interruption des cycles, l’arrêt de la course du soleil, et permettant l’écoulement du temps avec la succession de la vie et de la mort.
La conquête du Mexique par les conquistadors Espagnols
Les Espagnols débutent la conquête du Mexique le 10 février 1519. Plus de 600 hommes sont dirigés par Hernan Cortés, qui arrivent le 8 novembre 1519 à Tenochtitlan, la capitale aztèque qui est devenu Mexico aujourd’hui. Même si les premières relations sont cordiales, elles se finissent en terribles massacres. A peine deux ans plus tard, Cuauhtemoc, le dernier empereur, se fait capturer et torturer par Cortés, illustré par un tableau explicite du Musée Bellas Artes de Mexico.
Tenochtitlan devient Mexico
La capitale de la Nouvelle Espagne, vice-royauté de la couronne espagnole, étend en 1535 son empire jusqu’au nord de l’Amérique centrale et au sud des Etats-Unis. Dès les premiers contacts, les religions mésoaméricaines sont diabolisées : leurs images et leurs temples sont détruits, les cérémonies interdites. s’en suit une évangélisation forcée des populations indigènes.
Prohibé en 1542, l’esclavage des peuples autochtones continue et favorise la propagation d’épidémies décimant les populations.
Les offrandes du Mexique moderne
Aujourd’hui, 70 langues amérindiennes sont parlées au Mexique. Les peuples autochtones, descendants des vaincus de la conquête espagnole, y occupent une place culturelle essentielle, malgré leur marginalisation économique et politique. Dans une imbrication complexe avec le catholicisme, des entités issues des anciennes divinités côtoient des images saintes chrétiennes. Contrairement au catholicisme européen, c’est la vierge de Guadalupe qui est énormément représentée, et non Jésus.
Comme dans la photo ci-dessus, les offrandes sont souvent liées au chamanisme agraire, elles sont célébrées lors des demandes de pluie ou de bonnes récoltes. En terre tlapanèque, (état du Guerrero), pour conjurer les dangers liés au pouvoir, les autorités politiques villageoises réalisent annuellement une série de rituels et d’offrandes.
Précédée d’une prière catholique et du sacrifice de volailles, l’offrande s’adresse aux trois couches du monde : céleste, terrestre et souterraine, chacune impliquée dans le travail du moulin. Des tamales (pâte de maïs fourré du poulet sacrifié), des légumes et des fruits cuits, du pain, des sucreries, de l’alcool et des sodas. Les bougies en cire et en paraffine ainsi que l’encens sont destinées aux esprits. Un rituel précis et codifié pour honorer les morts et les dieux, preuves que les vivants ne les oublient pas et leur sont à jamais reconnaissants.
Pour aller plus loin
jusqu’au 6 octobre 2024, Mexica, Des dons et des dieux au Templo Mayor, Musée du Quai Branly, 37 rue du Quai Branly, Paris 7. Ouvert du mardi au dimanche de 10h30 à 19h, fermé le lundi. Entrée 12 euros ou 9 euros en tarif réduit.
Catalogue : 272 pages, 39 €. Coédition musée du quai Branly – Jacques Chirac – El Viso. Parmi les découvertes les plus marquantes des exhumations du Templo Mayor figurent 209 offrandes extrêmement riches que le peuple mexica a enterrées pour s’attirer les bonnes grâces de ses dieux. Objets uniques ou assemblages complexes de milliers d’objets précieux, ils sont le reflet du haut degré d’organisation sociale, politique, économique et religieuse que cet empire avait atteint au moment de l’arrivée des conquistadors espagnols en 1519.
Découvrir la playlist Mexica : prolongez en musique l’immersion au cœur de la culture mexica en explorant la playlist réalisée par l’ethnomusicologue Renaud Brizard.
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