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Le Musée Anahuacali, la collection d’art préhispanique de Diego Rivera, cœur de la Cité des Arts de Mexico
Auteur : Baptiste Le Guay
Article publié le 20 septembre 2023
Le musée Anahuacali est un lieu à l’aura particulière, autant pour son architecture surprenante, que pour sa décoration intérieure et sa collection d’œuvres. Le musée réunit la collection d’art précolombien du peintre Diego Rivera (1886-1957), des tableaux contemporains et ses fresques, dont certaines se trouvent au Palais Bellas Artes. Pour Baptiste Le Guay , cette institution au cœur d’une Cité des Arts voulue par l’artiste est incontournable si vous découvrez le Mexique.
Un rêve achevé
A Coyoacàn, dans le quartier sud de Mexico, se trouve le musée Anahuacali, un bâtiment sombre et imposant composé de roche volcanique ! A l’apparence plutôt austère, il évoque un temple préhispanique en se réduisant du bas vers le haut, à l’image d’une pyramide maya.
L’édifice a été dessiné par l’architecte américain Frank Lloyd Wright et construit à partir de 1942. Diego Rivera ne verra malheureusement pas le musée achevé de son vivant. Il décède en 1957 soit 7 ans avant son inauguration. L’endroit abrite son importante collection personnelle d’art précolombien. Le peintre a toujours eu la volonté de conserver ce patrimoine culturel mexicain dont les statuettes étaient alors achetées massivement par des collectionneurs et des musées étrangers.
Dans les années 1920, Rivera était dans une situation financière difficile ; en se référant à cette époque, il se lamentait profondément sur comment le manque d’argent l’avait forcé à abandonner à plusieurs occasions des précieuses pièces aux mains d’étrangers, afin d’enrichir des collections privées ou d’autres musées.
Susana Aviña Herrera, historienne de l’art.
L’exposition nous montre des œuvres d’artistes mexicains et étrangers abordant des thèmes épineux comme la douleur, l’absence, l’éloignement soudain, la migration et la perte.
Lorsque nous entrons dans le musée, le rez-de-chaussée est obscur, en guise d’hommage aux défunts. Ce premier niveau est dédié à Xochipili, divinité de l’art, des plantes, de l’amour et de la fertilité dans le culte aztèque. Les cérémonies en son honneur sont reliées à la transition entre l’enfance et la maturité, l’épanouissement de l’homme comme celle de l’humanité toute entière.
Nous pouvons observer sur l’un des plafonds deux serpents s’entremêlant, représentant la dualité du « sous monde », formant ainsi un équilibre harmonieux. Le serpent à deux têtes est aussi une divinité aztèque nommée Quetzalcoal, signifiant « serpent oiseau ». Ce symbole a une signification forte pour Diego Rivera ayant lui-même un frère jumeau.
Les croquis des muraux de Rivera
Au milieu du premier niveau, la pièce est immense avec une hauteur sous plafond d’une quinzaine de mètres de haut. Les murs sont recouverts des dessins de Diego Rivera, des fresques monumentales qui s’étendent sur plusieurs mètres de large et de hauteur.
Au total, 16 œuvres sont présentes, sous formes de croquis, dessinées en noir et blanc par l’artiste dans le début des années 30. Les scènes de ses croquis montrent souvent des personnages historiques (Staline, Mao, Karl Marx) et la constante lutte des classes prolétaires.
Diego Rivera avait de fortes convictions communistes, que nous retrouvons notamment par le symbole de la fossile et du marteau, et les revendications dans certains de ses tableaux, comme celui ci-dessus, où le peuple tient une banderole stipulant : « Nous gagnerons la paix si nous luttons pour celle-ci ».
Une collection d’art préhispanique exceptionnelle
Dans l’une des pièces du premier niveau, nous découvrons la sophistication des techniques de céramique utilisées dans les sculptures de Teotihuacan (site majeur des temples aztèques). Les murs de la cité aztèque étaient peints dans cette technique, comme le prouvent les fragments des muraux de Tepantitla, montrés dans la vitrine ci-dessous.
D’autres objets comme des masques funéraires, et des figurines en argile créées à l’aide de moules montrent que les aztèques utilisaient une technique de fabrication massive et répétée. Plutôt ingénieux pour une civilisation considérée par les conquistadors espagnols comme de vulgaires barbares à cause de leurs sacrifices ultra-violents.
Au premier étage, la collection de Rivera se poursuit avec des petites figurines de guerriers, portant parfois des massues avec un silex tranchant, identifiables par leurs casques et leurs boucliers. D’autres personnages appartiennent à la classe des marchands nommés « tammes », munies de « mecapalli », un panier fait d’agave qu’ils mettent sur le front et portent dans le dos pour transporter des lourdes charges. Ces statues montrent que la société aztèque était raffinée et complexe, avec une hiérarchie sociale bien établie. La classe des marchands, porteurs de fardeaux se distingue de la classe des guerriers, identifiables avec leurs boucliers et leurs casques.
Je ne sais pourquoi diable Diego collectionne ces singes jouant assis, inclinés ou debout. Regardez comment il a transformé les meubles, il n’y a pas un endroit qui n’est pas rempli de ces morceaux. Il m’emmène à Teotihuacan, il marche et marche avec son regard fixé au sol, qu’il pleuve ou non, à la recherche de petites têtes et de morceaux de pots, il les ramasse comme des trésors en les regardant, il les renifle et va jusqu’à les goûter.
Guadalupe Marin, sa seconde épouse, après la disparition de Frida Khalo
Sur l’un des plafonds du dernier étage, nous retrouvons l’une des croyances Mexicaines sur l’omniprésence de la dualité. Un principe de création opposant une chose et son contraire : l’homme et la femme, le jour et la nuit, le dynamique et le statique. Dans les cultures préhispaniques la dualité représente une force permettant à l’univers de garder un certain équilibre. Nous voyons deux serpents qui se font face et sont séparés par le soleil et la lune, comme si une éclipse se produisait.
Au dernier étage, nous accédons à la terrasse nous offrant une vue splendide sur les quartiers de Mexico et la chaîne volcanique qui l’entoure au loin. Un lieu passionnant pour la richesse de son histoire, mélangeant la mémoire du Mexique préhispanique avec son histoire moderne, illustrées par ses luttes de classes au XXème siècle.
Des fresques contemporaines de Rivera à ses racines les plus profondes avec ses divinités aztèques, le musée Anahuacali est un passage primordial pour se plonger dans la culture mexicaine d’hier et d’aujourd’hui, puisqu’il se prolonge par la Cité des Arts, voulue par le muraliste et désormais en pleine dynamique.
Les fresques colorées du Palais Bellas Artes
- Après le musée Anahuacali, Le musée du Palais Bellas Artes abrite la série de Rivera « Carnaval de la vie mexicaine » réalisé pour l’hôtel Reforma en 1936. Cependant, à cause du contenu politique de certains de ses tableaux, ils sont retirés et gardés dans des collections privées, avant de résider au Bellas Artes.
Cette série de quatre tableaux est inspirée des carnavals de Huejotzingo et Yautepec, elle se compose de La dictature, La dance des guerriers ressuscités, Le Mexique folklore et touristique, et La légende d’Augustin Lorenzo. Au travers de plusieurs figures allégoriques, Rivera livre une critique acerbe de la vie sociale et politique mexicaine, notamment à travers sa soif de pouvoir et de la corruption de ses élites.
Un regard critique sur la vie mexicaine
Sur le tableau du Mexique Folklore et touristique, la blonde au chapeau et les deux ânes noirs représentent le tourisme étranger. Ces personnages observent avec mépris et ignorance des festivités qu’ils ne peuvent pas comprendre. Le personnage portant un masque de tigre et tenant un club de golf fait référence à l’ancien président Mexicain Plutarco Elias Calles, chef de l’Etat lors de la période Maximato évoquée dans la fresque Katharsis.
Dans El hombre controlador del universo, l’inclusion du visage de Lénine fut l’élément déclencheur amenant à la destruction de la première version de ce mural, peint initialement dans le vestibule de l’hôtel Rockfeller Center à New-York. C’est pour l’inauguration du Palais Bellas Artes en 1934 que le peintre mexicain est invité à réaliser une réplique de son œuvre polémique. En plein milieu de ce grand panel, un ouvrier aux cheveux blonds regarde avec incertitude, mais espoir également, vers un futur meilleur.
L’ouvrier contrôle de ses mains aux gants noirs les forces naturelles et mécaniques de l’univers. Deux visions du monde se partage dans le tableau et c’est comme si le personnage aux commandes devait choisir l’une d’entre elles. Sur le côté gauche, la ‘menace’ du capitalisme représentée par les Etats-Unis et à droite la promesse du socialisme proposée par l’Union Soviétique. Ironiquement, ce tableau est visionnaire pour l’une des périodes historiques suivantes : la Guerre Froide (1947 à 1991), confrontant l’URSS et les USA avec leur visions politiques diamétralement opposées.
Les salles dédiées à Ribera ne sont qu’une partie de ce musée magnifique, visite complémentaire que nous avons développé dans un autre article. Vous comprendrez aussi la richesse muséale de cette ville fascinante.
Informations pratiques
Musée Diego Rivera Anahuacali, Museo 150, San Pablo Tepetlapa, Coyoacán, 04620 Ciudad de México
ouvert tous les jours de 11h à 17h30 sauf le lundi.
A coté de la collection, composée de 50 000 artefacts pré-colombiens, l’une des plus importantes au monde, se déploie désormais une « Cité des Arts », où se côtoient artistes et artisans, rêvée par le célèbre muraliste et réalisée par l’architecte Mauricio Rocha, prix Mies Crown Hall de la meilleure œuvre architecturales des Amériques.
A voir
Mexique ! le rêve achevé de Diego Rivera (arte tv)
Musée du Palais Bellas Artes, Av. Juárez S/N
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