Voyages

Au fond du Val d'Hérens, Evolène maintient ses traditions (Valais Suisse)

Auteur : Sylvain Grandadam
Article publié le 11 juin 2024

Une des plus vastes communes rurales du Valais suisse, Evolène a su préserver ses traditions alpines et sociales par l’enracinement de sa population dans son histoire au fond du Val d’Hérens. A l’heure où les villes connaissent surpopulation, pollution et réchauffement, Sylvain Grandadam confesse ici se sentir privilégié, dans une nature d’exception. Notre photographe reporter recommande de s’y rendre en hiver au Carnaval ou au début de l’été pour la fête de Jean-Baptiste du 24 juin, pour découvrir la quiétude d’une commune attachée tant à sa religion catholique qu’à son folklore immémorial.

Evolène en hiver Photo Sylvain Grandadam

« Plus beau village de Suisse »

La commune d’Evolène, 1655 habitants, a été élue en 2012 « plus beau village de Suisse » par les lecteurs de « L’Illustré », magazine qui représente pour la Suisse ce que Paris-Match a pu être pour la France. Constitué de plusieurs villages qui ont pour trait commun d’avoir conservé leurs caractéristiques alpines et sociales traditionnelles, Evolène perpétue une vocation agricole d’élevage et d’écotourisme, grâce à de fermes options politiques et aux généreuses subventions de la confédération qui visent à maintenir les activités de montagne.

Evolène en été Photo Sylvain Grandadam

Cette situation tend à préserver les paysages d’alpage et entraver l’implacable avancée des forêts et de la bétonisation à usage touristique… La très vaste commune occupe 20.900 hectares, douzième place pour la superficie des municipalités suisses. On parle ici le même patois « provençal » que dans le Val d’Aoste, dans l’Italie contigüe, situation qui a entraîné de tout temps d’importants échanges autant commerciaux que festifs voire amoureux ou contrebandiers, via le glacier et le col du Mont-Collon.

« En famille on a toujours parlé patois, on continue avec les enfants… Au Val d’Aoste on peut dialoguer à l’exception de quelques mots. Traqué autrefois par les instituteurs venus de la Plaine, notre patois est devenu une richesse d’anciens pauvres… »
Jean-Paul Vuiguier qui aime chanter même quand il pilote son triporteur électrique frappé aux armes de la Poste.

Evolène, au fond du Val d’Hérens, surplombé par la Dent Blanche, dans le Valais suisse Photo Sylvain Grandadam

Evolène en été et en hiver

Le village se situe au-dessus de Sion, capitale du canton suisse du Valais, et au fond du Val d’Hérens, lui-même surplombé par la Dent Blanche, étonnante pyramide de gneiss qui culmine à 4 358 mètres d’altitude. Réservée aux grimpeurs expérimentés ou intrépides, sa première ascension par deux citoyens britanniques date du 18 juillet 1862, William Wigram et Thomas Stuart Kennedy, accompagnés par deux guides dont le français Jean-Baptiste Croz de Chamonix.

La Dent Blanche et le village des Haudères Photo Sylvain Grandadam

Malgré ses difficultés, nombre d’ascensions ont depuis été effectuées par des grimpeurs solitaires, dont des femmes, parmi lesquelles certaines Evolénardes, comme Karen Métrailler dès l’âge de dix-sept ans. Elle n’a eu de cesse de revenir une deuxième fois revoir la croix de fer plantée à son sommet par un curé grimpeur… Dédé Anzévui, audacieux guide de haute montagne à Evolène ira jusqu’à la descendre à skis en 1985, par sa face Sud-Ouest !
Cette Dent Blanche fut affublée du déplaisant sobriquet de « Majestueuse Coquette » par Guy de Maupassant, venu soigner aux eaux du Valais les symptômes d’une tenace syphilis. Elle est aussi accessible depuis Zermatt, sa grande rivale du Haut-Valais avec son Mont Cervin. Ses 4478 mètres devront attendre 1865, soit trois ans après la conquête de la Dent Blanche, pour se laisser vaincre par un autre britannique, Edward Whymper et sa fatale cordée… Diverses archives et autres témoignages historiques montrent qu’au travers de l’alternance des changements climatiques, glaciation ou dégel, on se rendait d’Evolène à Zermatt à pied ou à dos de mulet ainsi que le faisait l’évêque de Sion et son escorte via le col d‘Hérens, au pied de la Dent Blanche.

Des villages « satellites »

La commune est composée de plusieurs villages « satellites » dont l’architecture et la typicité des bâtiments démontre un attachement préservé au patrimoine : maçonnerie peinte, structures et parements en mélèze ou arolle, petites ouvertures, couverture en lauzes de pierre et chauffage de toute la maison par un grand poêle en pierre ollaire, « Hélas, des constructions nouvelles s’éloignent de ces références et peuvent pêcher par déficit de goût… » se plaint Laurence Wüthrich, architecte et alpiniste, installée à Evolène depuis douze ans. Elle explique avec enthousiasme le bien-fondé des traditions locales, qu’elle applique à ses chantiers, à commencer par sa propre maison !

Evolène en hiver Photo Sylvain Grandadam

Evolène, le village le plus peuplé avec 800 habitants est situé à 1 370 mètres d’altitude et a donné son nom à la commune dont il assure le centre névralgique. Il accueille l’administration communale, le centre scolaire, de nombreux commerces et restaurants, notamment le long de sa rue centrale entourée de part et d’autre par des bâtiments traditionnels typiques de l’architecture locale, maisons à étages, granges ou « mazots » (édifices annexes sur pilotis où étaient stockées les récoltes de seigle, chanvre ou pommes de terre) et dont certaines constructions datent du seizième siècle. L’église paroissiale de cette communauté attachée tant à sa religion catholique qu’à son folklore immémorial est dédiée à Jean-Baptiste, fêté le 24 juin par des feux d’artifice au village et sur les sommets qui environnent la vallée…

Arolla, mini-station de montagne renommée située à 2 000 mètres d’altitude possède des remonte-pentes qui courtisent les 3000 mètres, et constitue le village le plus reculé du Val d’Hérens, au cœur d’une région réputée pour ses randonnées à ski et peaux de phoque. Accessible depuis l’Italie via le col du Mont-Collon, Arolla est une étape importante de la « Patrouille des Glaciers » qui rallie Zermatt à Verbier ou du « raid Chamonix-Zermatt ».

Lannaz, hameau historique protégé et classé patrimoine d’importance nationale (ISOS), quinze habitants, est le point de départ du télésiège de Chemeuille et des champs de neige d’où sont visibles en majesté les pics du Cervin et de la Dent Blanche. Construit en anneau, les maisons ancestrales et la délicate chapelle Saint-Laurent forment cercle.

Marco Metrailler, ‘président’ du hameau de Volovron, situé à une heure de marche d’Evolène Photo Sylvain Grandadam

Le hameau de Volovron,  situé à une heure de marche, démuni d’accès goudronné, d’eau courante et d’électricité accueille quelques irréductibles de la solitude alpine, dont le barbu et chevelu Marco Metrailler, connu par certains comme l’anachorète « président » (autrement dit le maire) de ces quelques « mayens » ou chalets d’alpage et mazots fréquentés, en sus des promeneurs, par des renards, cerfs, chevreuils, un gypaète barbu et de sédentaires marmottes, dont Marco dit en avoir vu une, bien grosse et dodue, enlevée par l’aigle au sortir de l’hiver et de son terrier…Pour qui saura sympathiser avec lui, Marco racontera quelques-unes des expériences qui jalonnent sa vie sociale de paysan comme celle, maintenant, de retraité solitaire amoureux de cette rude nature à laquelle il ne sait parler qu’en patois…

Terre d’accueil des voyageurs avec le développement du tourisme depuis le début du vingtième siècle, la Sage est plantée sur les « Rocs », barrière rocheuse qui surplombe Evolène, a toujours accueilli d’illustres hôtes, notamment artistes et écrivains.

La Sage Photo Sylvain Grandadam

Jean Michel Metrailler occupe les loisirs de sa retraite à l’entretien de son potager ou à confectionner des Coffres ou autres objets sculptés dans le bois local. Depuis son atelier situé sous la maison héritée de ses ancêtres et d’où la vue embrasse la vallée jusqu’aux constructions serrées des Haudères Jean-Michel évoque les dures années de sa jeunesse, lorsqu’il passait en été plusieurs mois de solitude dans l’alpage de Cotter, à veiller sur les vaches, assurer la traite et la confection des roues de fromage dont il assurait, au sortir de l’été, la répartition au prorata du nombre de vaches parmi les éleveurs et les « consorts », c’est-à-dire les membres de cette confrérie paysanne qui se partagent les droits immémoriaux liés à l’usage de ces alpages

Le village des Haudères, 450 habitants, est situé à quatre kilomètres d’Evolène au pied du massif des Dents de Veisivi, à l’endroit où la Borgne de Ferpècle et celle d’Arolla se rencontrent pour former la Borgne, rivière principale du Val d’Hérens qui dévale vers le Rhône à Sion, capitale du Valais.

En été, le petit festival de musique de la Sage se tient dans la rustique chapelle, animé par d’éminents musiciens, dont certains résident sur place. Il reste un témoin de ce passé relaté par Marguerite Yourcenar venue souvent à La Sage.

Le Festival de Musique des Haudères se tient fin juillet dans la chapelle éponyme Photo Sylvain Grandadam

La chapelle du village offre un spectacle unique grâce à son maitre autel typique du baroque italien et aux peintures de François de Ribeaupierre. La manifestation intimiste et prestigieuse se niche dans cet émouvant écrin, au cœur d’un village qui semble établi pour l’éternité tant il compte pléthore de maisons historiques aux poutres et bardeaux noircis par le temps. Une laiterie communale propose la célébrissime « tomme » ainsi que le Fromage à Raclette local, produits en été sur les alpages qui ceinturent les sommets environnants, par les laborieuses et combatives vaches noires natives d’Hérens.

Ces vaches trapues, condamnées à l’étable en hiver, doivent mettre bas un veau afin de produire le lait destiné à la production de fromages. Cette activité économique essentielle demande la participation préalable et active de rares taureaux tout aussi noirs de peau, l’insémination artificielle restant la règle pour le plus grand nombre. Il y a 250 ans, le bon docteur Des Loges cité plus avant expliquait qu’elles étaient renommées et exportées par troupeaux en Italie depuis le moyen-âge.      

La tradition du combat de vaches d’Hérens, lors de « l’inalpe », c’est-à-dire la montée vers les alpages d’altitude au mois de juin Photo Sylvain Grandadam

Combat des reines de la Vallée

Les vaches d’Hérens sont dument récompensés de leur « combat » très encadré pour leur sécurité Photo Sylvain Grandadam

Ces vaches d’Hérens, habituellement affectueuses et placides, peuvent devenir belliqueuses dans leur veille à ce que la troupe respecte de mystérieuses règles de hiérarchie bovine… Au chaud de l’étable en hiver, occupées à la mise bas d’un veau, elles s’énervent au printemps à la perspective de la liberté estivale… On peut assister aux combats de vaches lors de « l’inalpe », c’est-à-dire la montée vers les alpages d’altitude au mois de juin, lorsque les ruminantes prennent leurs quartiers d’été : elles se poussent du front et de la corne pour exhiber leur force et établir un système de dominance auquel toutes se soumettront, jusqu’à la désalpe, c’est-à-dire au retour à l’étable en automne…

Les vaches d’Hérens sont récompensés des courroies soigneusement décorées de motifs religieux Photo Sylvain Grandadam

Le talentueux architecte Michel Anzevui, attaché aux traditions socio-architecturales foisonnantes du Val d’Hérens a conçu aux Haudères une arène écologique où se déroulent chaque année de semblables combats, pour la plus grande joie des éleveurs et pour satisfaire la curiosité des touristes envers ce monde batailleur exclusivement féminin ! Les « reines » ou gagnantes des combats sont récompensées par des « sonnettes » au son grave, parmi les plus réputées celles que confectionne David Vaquin à Sion ont des courroies soigneusement décorées de motifs religieux à vocation protectrice tels que crucifix ou figures de saints.
Aux Haudères, Jean-Pierre Quinodoz qui est aussi éleveur de reines a accroché au plafond de son bistrot un impressionnant palmarès de quarante-neuf sonnettes. « Certaines Reines (à vocation impériale ?) peuvent se revendre plus de vingt-mille Francs chuchote-t-il… »

Le loup prospère dans le Val d’Hérens

Les loups prolifèrent dans le Val d’Hérens Photo Sylvain Grandadam

Au loup ! Protégé par une vitrine, trône dans une niche un loup grand amateur de moutons et de ce fait naturalisé par le patron qui s’est trouvé contraint de l’abattre à distance, il y a quelques années, lorsqu’il était garde-faune municipal…

Le loup a proliféré depuis lors dans le Val d’Hérens, au point que des promeneurs s’en inquiètent et que nombre d’éleveurs ont dû réduire ou cesser leur activité devant l’appétit des meutes nouvelles autant pour la chair fraîche que pour se livrer à d’inutiles tueries. Certains se plaignent ainsi d’être « otages des écologistes de la plaine » pour lesquels il est déconseillé ici de prendre parti publiquement…
En décembre dernier trois loups ont ainsi été abattus à Evolène dans le cadre dit de « régulation active », une trentaine d’autres loups du Valais ont été aussi condamnés par décision administrative, après d’interminables négociations avec ces « écologistes de la plaine »…
D’autres s’interrogent sur l’efficacité de ces mesures alors que des études ont montré que les meutes se déplacent dans toute l’Europe sans souci des frontières…

 Jours de fête à Evolène

La « Commune » d’Evolène (autrement, dit la Mairie), par la voix de sa Présidente (autrement, dit Madame le Maire) Virginie Gaspoz s’enorgueillit de ne compter pas moins de 15 Associations ou fondations dument enregistrées, la plupart ayant pour objet de contribuer à la pérennité d’un patrimoine culturel aux origines attribuées par certains aux romains voire aux Celtes…

L’association arc-en-ciel compte 40 danseurs Photo Sylvain Grandadam

On pourra se souvenir que dans sa « Guerre des Gaules » Jules César a confessé avoir frôlé la catastrophe pendant le siège d’Octodure (maintenant la ville de Martigny), occupé par les Gaulois Helvètes dans le Bas-Valais.

Ainsi la fanfare « L’Echo de la Dent-Blanche » réunit cinquante musiciens amateurs. « Arc-en-Ciel » compte quarante danseurs, cinquante enfants, six musiciens, tous conservant pieusement dans des coffres d’arolle costumes et robes chamarrés pour les dames et les enfants, costumes pour les hommes, austères par la couleur « rochette » (ou marron), ces habillements, rythmes et pas de danse, hérités d’ancêtres oubliés. « Cors des alpes du Lac Bleu » regroupe quinze fanatiques de ce long instrument pur bois dû au génie suisse de la communication en montagne, sans oublier deux chorales, deux musées etc… Sur 1655 « zoyass » (geai en patois), ainsi que se surnomment eux-mêmes les Evolènards, bien peu ne seraient pas affiliés à plusieurs de ces groupements d’intérêts !

Tout au long de l’année, en sus des activités sportives liées à la neige ou à la montagne d’été, des festivités permettront à toutes ces associations d’offrir leurs talents, pour les « combats de Reines », le carnaval, la « fête de l’été » du 15 août, la biennale de la « CIME » ou « Célébration Internationale de la Montagne à Evolène ».

L’armée des Cors des Alpes et les instruments Photo Sylvain Grandadam

L’armée des Cors des Alpes

Céline Rumpf, 28 ans, qui dirige Arc-en-Ciel et organise les déplacements de la troupe dans le monde entier explique avoir porté avec fierté, à l’instar de nombreux jeunes, son costume traditionnel le jour de la remise de son diplôme à l’Université !
Couteau à raclette en main, Madame Raymonde œuvre dans son restaurant « Le Mazot », vêtue par tous temps de sa lourde robe évolènarde connue dans le monde entier si on en juge par les photos exposées la mettant en scène devant le feu de bois où fond à longueur d’année, explique-t-elle, le meilleur fromage d’alpage du Val d’Hérens.

Les jeunes « peluches » sur les héros du Carnaval d’Evolène Photo Sylvain Grandadam

Un carnaval haut en couleurs

Chez le sculpteur Hugo Beytrison , les jeunes « peluches » viennent choisir un masque Photo Sylvai Grandadam

Lu carnava d’Oleinna y’th, koùme lu nouthru patoué, ouna grocha partchyà dé noûthre tradichionchè ku no volein vouardà à to pri. Lu chio avèni dépen tot dénouthro zoveuno è no countein chu lô pô lo vouardà enkô lontein.
Marcel Gaspoz, député, présente en patois d’Evolène le Carnaval 2024 …

L’origine du réputé carnaval d’Evolène, l’un des plus courus de Suisse, s’est perdue depuis des siècles dans la nuit des temps assure le sculpteur Hugo Beytrison. Il perpétue dans son atelier de La Tour (hameau ainsi nommé par la présence de son « gratte-ciel » de 5 étages en bois de mélèze…) la tradition de la « visagère » ou masque taillé dans le bois d’arolle représentant un animal plus ou moins sauvage, loup, renard, lynx voire tigre ou autre invention puisée dans le bestiaire valaisan et mythologique, diables ou créatures effrayantes ainsi selon la chronique du bon Docteur des Loges «  le gros serpent dont la tête avait deux pieds de diamètre et qui se vit pour la dernière fois en 1698… ».

Hugo Beytrison, un diable de sculpteur! Photo Sylvain Grandadam

Le masque traditionnel, très apprécié par l’espiègle jeunesse d’Evolène, fait partie du déguisement des « peluches » lequel comporte, outre une veste en peau de mouton, bouc puant, ou chamois, le maniement bruyant d’une sonnette, ainsi que sont nommées ici les lourdes cloches portées par les vaches, agitées par les farceurs qui s’accordent beaucoup de droits dont celui d’effrayer ou surprendre le chaland, dans un vacarme qui va crescendo depuis le 6 janvier jusqu’à l’apothéose du défilé mardi-gras ! « Autrefois les peluches, étaient si épouvantables qu’elles permettaient de repousser l’hiver » assure Florian Pannatier qui veille au bon déroulé des fêtes carnavalesques et ajoute « les peaux récupérées au printemps sont séchées en été et gardent leur odeur repoussante… ».

Les Empaillés sont les héros du Carnaval d’Evolène Photo Sylvain Grandadam

Autre volet de ce carnaval unique, les Empaillés sont des hommes solides également masqués, en patois Empayà, autre symbole d’une fête aux origines tout aussi inconnues….

« les Peluches chassent les mauvais esprits, mais les Empaillés tentent d’amadouer l’esprit des anciens représentés sous forme de masques de vieillards ou de sorcières… » ajoute Florian.

Leur déguisement est fabriqué avec d’anciens sacs de jute cousus entre eux pour former une tunique grossière que des aides bourrent d’une trentaine de kilos de paille le dernier dimanche précédent le mardi-gras ! Armés d’un balai ils arpentent la grand-rue d’un pas hésitant, suent dans leur gangue de paille et menacent les curieux, tout en évitant le croche-pied dont ils ne pourraient se relever seuls, absorbent force vin blanc offerts dans les bistrots où ils peinent autant à pénétrer qu’à ressortir…

Des Empaillés exténués prennent un peu de repos au cours du Carnaval d’Evolène Photo Sylvain Grandadam

Hommage moqueur et satirique aux femmes du pays, les « Marie » sortent le samedi de carnaval. Ces personnages caricaturaux sont en fait des hommes, vêtus de chiffons bariolés, formes exagérées, fesses et seins énormes, mi-mémères et mi-mégères. Avec leurs démarches hésitantes et leurs cris d’orfraie elles perpétueraient le souvenir d’une femme grosse et grande qui serait née en 1913 aux Haudères et décédée dans les années 1980, mais là encore les avis divergent sur l’origine de cette figure et de son rôle de bouc émissaire…
En la matière, le vrai bouc serait la Poutratze, un empaillé courageux qui assume au dernier lundi du carnaval d’être ré-empaillé, recherché, poursuivi, mis en cage et condamné au bucher malgré l’assistance des enfants, seuls habilités à le dissimiler aux yeux de la populace qui crie vengeance ! On brûlera la Poutratze le mardi soir suivant, du moins sa dépouille de paille, après un simulacre de jugement et lecture publique en patois du testament d’un improbable et inconnu Gustave Chevignoule…

Un ilot de quiétude

Dans les rues tranquilles d’Evolène Photo Sylvain Grandadam

Pour combien de temps Evolene saura garder l’indispensable équilibre entre la tradition et les exigences de l’économie et de la modernité… Autre fois communauté rurale, vivant en autarcie relative, ouverte au Tourisme alpin depuis la fin du XIXe siècle, la commune a évité le piège de la submersion touristique qui transforme les lieux de traditions en Musées avec boutiques de souvenirs ou en agglomérations de résidences secondaires, désertées en dehors des vacances scolaires… la proximité de Sion, capitale du Valais à l’économie effervescente, permet à la population de trouver en ville services ou emplois, et aux citadins de trouver à Evolène quiétude, activités récréatives et sportives de toutes sortes liées à la montagne, faciles ou difficiles, …

Le Val d’Hérens avec son vaste réseau de sentiers balisés, routes et chemins reste un réservoir immense de promenades et excursions en été ou en hiver. Et de toute beauté en automne…

Sylvain Grandadam, Juin 2024

En savoir plus sur Evolène

Tout savoir sur le Val d’Hérens (Valais Suisse)
et le Carnaval d’Evolène (édition 2024 du 6 janvier au 13 février) : C’est au soir du 6 janvier, à la fin des fêtes de Noël que carnaval commence. Des jeunes gens s’en vont faire le tour de toute la commune, juchés sur une camionnette en agitant des cloches de vaches durant toute la soirée. On dit que carnaval est alors « réveillé ». Les festivités peuvent débuter.
Festival classique des Haudères, Du dernier samedi de juillet au 1er dimanche d’août, Chapelle des Haudères

Les vaches d’Hérens sont les reines de la Vallée surtout en été. Photo Sylvain Grandadam

Quelques éléments d’histoire

Le docteur Chrétien De Loges, écrivain philosophe et anthropologue avant l’heure, vivait et exerçait dans la vallée contigüe d’Anniviers quand il offrit au « Journal de Lausanne » du 19 février 1791 un récit de son voyage picaresque dans le Val d’Hérens…

« En arrivant à Ivolena ( qui doit son nom à une fontaine à côté de la cure et dont les eaux tièdes font cailler le lait ) on ne sait où se loger; le peuple, méfiant à l’ excès, ne peut se persuader que les étrangers qui vont chez lui, soient des honnêtes gens. Si l’on n’est ni boucher, ni marchand, on est aussitôt regardé comme suspect. Je faisais des notes, et demandais différents passages. On voulait me chasser comme espion ; mais M. le Curé m’arrêta et m’entendant parler latin décréta qu’il me donnerait à manger une soupe et me mettrait à coucher dans une grange hors le village. Un discours soutenu sur la médecine, l’histoire naturelle et celle du pays le mit dans l’embarras. La méfiance lui suggéra de me faire voir ses armes et munitions, et de me raconter quelques exploits héroïques dans les rencontres des brigands qui avaient des culottes comme moi. On me fit coucher finalement dans une chambre au lieu du foin. Dans les ravines d’Abricole (Bricolla), une inscription romaine n’ est-elle pas la preuve qu’ avant la dégénérescence de la nature les hauts cols étaient facilement praticables? Jusqu’ au XVe siècle, il y avait commerce entre Arolla et la Valpeline, entre les vallées d’Hérens et de Viège. Des habitants de langue allemande, se rendaient volontiers à la messe de Zermatt. Le peuple d’Ivolena est comme je l’ai dit, méfiant à l’excès. Son caractère d’ailleurs est bon, officieux, généreux et naturel, mais les usages sont grossiers.

Le patrimoine historique de la Vallée d’Hérens Photo Sylvain Grandadam

Le songe, en changeant de lit, les cris du renard, le chant des oiseaux sont leurs augures ; on craint revenants, sorciers et magiciens ; on y prétend posséder le secret d’arrêter les voleurs sur le lieu même du délit. Un homme qui arrosait dans un pré et qui me demanda si j’étais magicien, et à qui j’offris deux mille écus, s’il se donnait corps et âme à moi, s’enfuit à perdre haleine en faisant le signe de la croix ; il me prit probablement pour le diable. L’habitant, laid, petit, semble ici écrasé d’un fardeau, pourtant l’air des sommets circule librement, s’insinue dans les entrailles de la terre, vivifie tout, imprègne l’eau des sources.

Aussi, l’esprit est pur sur les Alpes, l’âme y a de l’énergie et le montagnard montre un instinct plus pénétrant que l’homme de plaine. Créé sur l’Alpe, né sur terre rugueuse dans des conditions difficiles, il demeure rustre et ne s’établit pas volontiers ailleurs. Il aime les sommets, car ils lui rappellent la sauvagerie de sa condition primitive ».

Quelques années plus tard, la commune d’Evolène s’est vue obligée, dans la mouvance de la révolution française, de planter un « arbre de la liberté », puis en 1802 sur instruction de Napoléon a été occupée par un bataillon français commandé par le général Turreau, rendu célèbre en Vendée pour les massacres des « colonnes infernales ». Responsable de l’établissement de la route du Simplon, destinée à faciliter le passage des armées napoléoniennes vers l’Italie par la plaine du Rhône, Turreau s’était auparavant employé à maitriser la révolte du Haut-Valais. Evolène fut donc française pendant six mois et le sinistre Turreau ne quitta les lieux qu’après avoir rançonné la commune de 2000 Fr. pour rébellion…

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