Culture
Connecter les mondes (Musée des Beaux-Arts de Lyon - Infine)
Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 16 août 2024
Tout musée -comme tout magasin- raconte le monde. Loin de toute certitude européocentrique, le métissage culturel des objets est au cœur des travaux d’historiens – comme Christian Grataloup (Le monde dans nos tasses) et Pierre Singaravélou et Sylvain Venayr (Le magasin du monde). Les historiens de l’art et les musées adoptent désormais le même décentrement du regard dans une approche historique globalisée. Dernier en date, le musée des Beaux-Arts de Lyon qui propose jusqu’au 1er septembre de « Connecter les mondes ». Avec une ambition paradoxale pour Olivier Olgan, si l’histoire de ces échanges ne peut être séparer de conquêtes et de dominations, l’appropriation ou l’assimilation d’autres cultures ont aussi construit les regards et les sensibilités des artistes et des spectateurs d’aujourd’hui.
Décentrer le regard
Revendiquant un décentrement du regard au profit d’ une approche historique globale, « Connecter les mondes » pour le musée des Beaux-Arts de Lyon s’inscrit dans une dynamique de reconnaissance des objets – à mi-chemin de la réserve et du musée – analysés au gré des usages, éclairés autant par la chronologie que par les conditions de leur fabrique et de leur appropriation.
« Les objets sont le meilleur biais, à l’échelle du monde, pour appréhender les humains. »
Les historiens Pierre Singaravélou et Sylvain Venayr, dans leur « Le magasin du monde, La mondialisation par les objets du XVIIIe siècle à nos jours » (Fayard, 2020) rappelaient l’importance de la circulation des objets au sens propre. Et leur réinvention d’une civilisation à une autre fascinante n’est pas exempt ni ambiguïté, ni de part humainement sombre.
« À l’origine de cette polysémie des objets, il y a donc, au-delà de leur partage, l’incroyable capacité d’appropriation de l’être humain. Avec la révolution industrielle et sa propension à tout transformer en objets – y compris le vivant, en commercialisant hommes et bêtes –, le monde lui-même est devenu une chose que l’on contrôle, que l’on possède. »
A partir d’un ensemble d’œuvres de son patrimoine et celui du Musée d’art contemporain de Lyon, l’exposition « Connecter les mondes » constitue en quelque sorte le pendant esthétique de « cette mondialisation de formes artistiques d’hier et d’aujourd’hui qui ne connaissent pas réellement de frontières ou de limites géographiques. »
Les échanges commerciaux et artistiques se sont déployés bien avant la « mondialisation » telle que nous l’entendons aujourd’hui, sur de très longues distances.
Sylvie Ramond et de Léa Saint-Raymond, commissaires
Réseaux d’objets
Fuyant les cloisonnements par « école » et le mythe d’une production « locale », le meilleur exemple de cette « acculturation mondialisée » parmi les dizaines d’un parcours somptueusement mise en scène sont deux broderies sino-portugaises du 17e siècle, probablement en Chine, dans la région de Canton. <<
Ces chefs-d’œuvre du département des Objets d’art du musée des Beaux-Arts, complétée par le prêt exceptionnel du Metropolitan Museum of Art (New York) sont autant le témoin de l’’expansion coloniale – qui s’accompagne également d’une évangélisation des populations que de la circulation des images et des techniques avec le rôle des estampes et de leur circulation en ces temps de découverte de nouvelles voies maritimes.
Relier les mondes
L’écriture, les bordereaux de livraison, le principe d’une langue internationale, les standards de mesure du temps et de l’espace ou encore la traçabilité des produits tirent leur origine de la Mésopotamie (actuel Irak), ou ils ont été inventés pour faciliter les échanges il y a plus de 5000 ans. La mise en réseau des lieux passe par l’ouverture de routes terrestres et, surtout, de routes maritimes. Celle-ci nécessite des instruments de navigation et de mesure, qui se perfectionnent aux 15e et 16e siècles.
L’astrolabe, en particulier, a été un instrument astronomique essentiel.
Inventé par les Grecs puis transmis a l’Occident par les Arabes au Moyen Âge, il sert a comprendre les mouvements célestes, prévoir le lever et le coucher du soleil, mais aussi lire l’heure. En faisant coïncider la sphere céleste et la surface de la terre réduites a des plans, il permet de lire la hauteur d’un astre au-dessus de l’horizon par rapport aux points cardinaux. Celui-ci est l’oeuvre de Jean Naze, le plus renommé des horlogers lyonnais du 16e siecle. Le raffinement de la gravure fait de cet objet l’un des plus beaux et des plus anciens instruments de mathématiques français.
L’interconnexion des mondes n’est pas sans conséquence sur les arts : les motifs circulent aussi bien que les artisans et les objets. L’exemple emblématique est celui de la monnaie, dont les motifs gravés passent de main en main et voyagent dans le monde entier.
Toutefois, les artistes ne se contentent pas de copier un modèle qui leur a plu. Comme dans toute traduction, la reprise suscite des modifications d’un territoire a un autre, voire des changements de sens (ou « resémantisations »). L’installation de l’artiste contemporaine Christine Rebet rend compte de ce, flux incessant de métamorphoses.
Pour une microhistoire des arts
Difficile de détailler la richesse et parfois les ambivalences – de cette accumulation de « marchandises » venues du bout du monde, sans oublier leur part sombre nourrie de conquêtes, de domination physique et culturelle.
Adossé à la microhistoire et attentive aux circulations, le nombre d’objets présentés ouvrant chacun des récits parfois vertigineux — malgré la sous-représentation des continents africain, américain et océanien —, la force du parcours est de (re)connecter des mondes jusqu’alors considérés séparément, c’est-à-dire pour les commissaires « de retrouver cet « ailleurs » dans ce qui est perçu comme strictement local ou régional. »
« Si le cadre d’analyse n’est plus limité localement, cette histoire « connectée » continue à embrasser le monde mais à l’échelle des objets. Renoncer à la macroscopie n’est donc pas un appauvrissement. C’est une voie qui évite le piège du globalisme facile et qui permet de multiplier les points de vue, en invitant les spécialistes des objets en question. Par ailleurs, cette histoire microscopique, par fragments, est intimement reliée au global. »
Léa Saint-Raymond, Pour une microhistoire des arts, catalogue infine
Interroger le sens de l’accumulation
Le questionnement de l’histoire des collections et des principes qui ont gouverné leur constitution et leur enrichissement est salutaire et courageux pour une institution muséale dont les collections débordent les siècles et les frontières abordant leur fabrication et leur notoriété jusqu’aux questions coloniales.
Reconnaissant la complexité de ne pas étouffer « le vieux rêve d’une accessibilité universelle » ; la volonté d’ouverture et de pédagogie ne s’arrête pas à cette exposition « laboratoire » pour une histoire réflexive, ouverte, permettant de faire ressortir des niveaux de signification dans les collections du musée.
Elle nourrit aussi toute la refonte de l’ensemble des collections. Autour d’une question centrale « Que faire de cette accumulation d’objets ?» La réponse de l’artiste contemporain Mario Merz souligne notre « vanité » moderne : les nombres en néon prolifèrent à l’infini au-dessus des piles de journaux hors d’usage, deviennent une stimulante métaphore du musée.
« les réceptacles d’une multitude d’histoires qui impliquent très souvent des échanges lointains, des mondes qui ne cessent de communiquer, ou, l’anachronisme est parfaitement juste à la vérité, d’être connectés. »
Sylvie Ramon, Avant propos, Catalogue in-Finé
Pour aller plus loin
jusqu’au 1er septembre 2024, Connecter les mondes, Musée des Beaux-Arts de Lyon , 20 place des Terreaux – 69001 Lyon – Tél. : +33 (0)4 72 10 17 40
Catalogue, Sous la direction de Sylvie Ramond et de Léa Saint-Raymond, Coédition Musée des Beaux-Arts de Lyon / In Fine éditions d’art, 240 p. 39€
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