L'Assemblée des Femmes, d'après Aristophane, par Emilie Chevrillon (Théâtre de l'Opprimé)
Hélas cinq représentations et puis s’en vont ! Pourtant l’irrésistible adaptation du texte d’Aristophane, L’Assemblée des Femmes, d’ Alicia Robledo survoltée par la mise en scène très commedia d’ell arte d’ Emilie Chevrillon entourée de quatre autres complices mériterait d’être rapidement reprise au-delà du 9 mars au Théâtre de l’Opprimé : tant pour la puissance modernité de la critique d’un modèle démocratique incapable de survivre contre les individualités oubliant le bien commun, que la drôlerie – voir la part de folie – qu’autorise cette farce mordante.
L’esthétique carnavalesque dopée par le jeu des masques d’un monde renversé permet pour Olivier Olgan autant le rire qu’une prise de distance réflexive salutaire.
Quelle fraicheur mordante et réflexive !

L’Assemblée des Femmes, d’après Aristophane, mise en scène d’ Emilie Chevrillon (Théâtre de l’Opprimé) photo Alejandro Guerrero
Bien que créée en 392 avant notre ère, la comédie critique d’Aristophane, parangon de la satire politique à Athènes n’a rien perdu de sa mordante ironie. Grâce à l’adaptation d’ Alicia Robledo qui en dope l’acidité en respectant son langage grivois et la corrosivité sans filtre de la farce et la mise en scène d’Emilie Chevillon qui nous confiait sa crainte
« Cette critique contre les individualités incapables d’agir collectivement, mais il n’est pas sûr que la modernité d’Aristophane soit encore acceptée aujourd’hui ! »

L’Assemblée des Femmes, d’après Aristophane, mise en scène d’ Emilie Chevrillon (Théâtre de l’Opprimé) photo Alejandro Guerrero
L’argument est connu et reste un puissant réflexif
Epuisés par le gouvernement des hommes qui les asservis, les femmes revêtent secrètement les manteaux de leurs époux, pour se glisser dans les rangs de l’Assemblée et prendre les pleins pouvoirs pour imposer leur Grande Réforme de la Cité. Sauf que tout rejet de l’ordre masculin n’évite pas de s’égarer dans un ordre féminin imposé par l’une d’entre elles qui prend le pouvoir et pour une communauté totale de biens fortune et des corps.
L’égalité absolue au nom du bien commun oblige de partager aussi bien les biens que les partenaires sexuels. Le pouvoir masculin, la propriété, le mariage sont abolis.

L’Assemblée des Femmes, d’après Aristophane, mise en scène d’ Emilie Chevrillon (Théâtre de l’Opprimé) photo Alejandro Guerrero
Mettre dos à dos les folies des hommes comme celles de femmes
Dans la cité devenue une gigantesque famille, l’union libre est la règle et l’émancipation des femmes conforte la libération des corps, ouvrant une joyeuse débauche tant alimentaire – l’importance du banquet – que sexuelles. L’exigence égalitaire aboutit, dans son jusqu’auboutisme, à cette contrainte qui veut que, pour éviter aux plus âgés et aux « malfichus » d’être délaissés, les jeunes ne s’uniront entre eux qu’après avoir honoré un vieux ou une vieille sans oublier le registre scatologique omniprésent.

L’Assemblée des Femmes, d’après Aristophane, mise en scène d’ Emilie Chevrillon (Théâtre de l’Opprimé) photo Alejandro Guerrero
Ce jeu de renversement des valeurs comme des identités
il ouvre un boulevard comique, visuel et de situations et autorise tous les excès ayant trait à la guerre des sexes, au travestissement sexuel et à cette utopique égalité matriarcale explosive. La parole des exclues a des vertus comiques autant que subversives qui se trouve dopé par le partis pris des codes de la comédia d’elle arte, avec force masques, travestissements et truculence sans limite.
Le tout mené tambour battant, rythmés par des tubes populaires d’Abba à Gloria Gaynor (I will survive)
La quintessence de la « pièce à idées »

L’Assemblée des Femmes, d’après Aristophane, mise en scène d’ Emilie Chevrillon (Théâtre de l’Opprimé) photo Alejandro Guerrero
Car ne croyez pas que l’on s’ennuie une seconde. Au contraire !
La force de ce théâtre comique est de bousculer le sérieux de l’analyse par les contradictions des petitesses humaines (tricher, désirer sans consentement, fuir ses responsabilités, …) en mutipliant d’autres conventions, d’autres artifices truculents.
Pour donner corps et voix à cette uropie à front renversé, la troupe de cinq acteurs – trois femmes Eolide Rojo Campos, Olivia Algazi, Emilie Chevrillon, et deux François Brunet Paul Sebastian Mauch – s’en donnent à cœur joie, dans la multiplication des personnages et des figures de style.
Un changement de masque vaut changement d’identité, de vêtement de sexes pour surprendre le spectateur.
Cette réussite tient au rythme imposé par la mise en scène de Chevillon, multipliant les idées, les jeux d’ombre, les renversements d’identité, sans perdre le fil du propos, ni atténuer la puissance de la charge grotesque. La guerre des sexes aboutit à la mise à mort du désir.
La farce est un jeu sérieux

L’Assemblée des Femmes, d’après Aristophane, mise en scène d’ Emilie Chevrillon (Théâtre de l’Opprimé) photo Alejandro Guerrero
Entre révolte et malice, l’assaut comique truculent n’empêche par la réflexion : le travestissement sexuel est un artifice efficace, un outil théâtral mis au service de la vérité : c’est en se déguisant qu’on démasque, en se masquant qu’on dénonce. Cette stratégie du déguisement-dévoilement passe du domaine politique à celui des relations sociales est stimulante, plutôt rafraichissant dans l’exaspération des antagonismes politiques actuelles, acide au vivre ensemble véritable ciment d’une démocratie mature.
Vivement que la troupe de cette ‘Assemblée des femmes » trouve de nouveaux tréteaux pour nous faire rire autant que réfléchir dans cette dialectique roborative de l’être et du paraître, du social et de l’intime menée à 100 à l’heure.
Auteur de l'article
Informations pratiques
du 5 au 9 mars, 20h30 de mercredi à samedi et 17h dimanche, Théâtre de l’Opprimé, 78 Rue du Charolais, 75012 Paris
- Texte : Alicia Robledo (avec la collaboration d’Olivia Algazi), d’après l’œuvre d’Aristophane
- mise en scène et scénographie : Emilie Chevrillon
- avec Olivia Algazi, François Brunet, Emilie Chevrillon, Paul Sebastian Mauch, Eolide Rojo Campos et la voix du petit Luis Guerrero
- création lumière : Maurici Macian-Colet
- décors et accessoires: Eolide Rojo Campos – masques: Alicia Robledo et Eolide Rojo Campos
Exergue facultative
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