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Quatre Conseils de spectacles à textes: Baudelaire, David Braun, Camus et Anne-Marie Sapse

Publié par Redaction Singulars le 25 avril 2025

Pour avril, les recommandations spectacles de Singular’s s’appuient sur la qualité de textes classiques (Baudelaire, Camus) ou contemporains percutants incarnés par l’immense présence de comédiens qui font le privilège du théâtre : Judith Magre dit Baudelaire, aux côtés d’Oliver Barrot (Petit Poche Montparnasse > 28 avril), La Chute, d’après Camus, de et par Jean-Baptiste Artigas (Théâtre Essaïon > 24 mai), Entendez-vous !, de David Braun (> 7 juin) et La malédiction du Cygne, d’Anne-Marie Sapse mise en scène Frédéric Thérisod (> 21 juin) (les deux A La Folie Théâtre ).

Judith Magre dit Baudelaire, aux côtés d’Oliver Barrot (Petit Poche Montparnasse)

Ils sont assis tous les deux, attendant que la salle se remplisse. Puis les lumières se baissent et la magie opère.
Enfant, Judith Magre lisait en secret Les Fleurs du Mal. A 98 ans, la comédienne nous donne à entendre avec son timbre et son phrasé particulier certains des plus beaux poèmes du répertoire français. Olivier Barrot, quant à lui, explique, exégèse, décortique en apportant son regard acéré sur l’œuvre et le poète.

Le duo est rompu à ce genre d’exercice puisqu’il s’était déjà essayé sur les tragédies raciniennes en 2024.

Olivier Barrot, bien connu des téléspectateurs pour Un livre, Un jour, est un auteur prolixe d’une cinquantaine d’ouvrages que ce soit des essais sur le théâtre et le cinéma que des récits comme Vaisseau Fantôme qui raconte son voyage sur le bateau de croisière le Zaandam alors que l’épidémie de Covid commence. Également producteur, il a même occupé le poste de conseiller artistique au festival de Cannes.
Quant à Judith Magre, comment résumer une carrière qui commence à 21 ans sous le pseudonyme de Simone Chambard avec Pierre Chenal, Yves Ciampi ou André Hunebelle. Elle a tourné avec les plus grands réalisateurs – Louis Malle, Claude Lelouch – au théâtre avec Georges Wilson, Jean-Michel Ribes, Bernard Mural ou Catherine Hiégel.
Nous la retrouvons ici sur la grande scène du Poche Montparnasse où la comédienne conclut son spectacle avec le mot d’ordre de Baudelaire : « Enivrez-vous, enivrez-vous sans cesse de vin, de poésie, de vertu, à votre guise ! » Une belle leçon de vie.

Jusqu’au 28 avril, Judith Magre dit Baudelaire, aux côtés d’Oliver Barrot sous le regard de Thierry Harcourt, Petit Poche Montparnasse tous les lundis à 19h. Elle revient pour dire du Apollinaire en duo avec Eric Naulleau à partir du 12 mai.

Judith Magre dit Baudelaire, aux côtés d’Oliver Barrot (Petit Poche Montparnasse) photo Sébastien Toubon

La Chute, d’après Camus, de et par Jean-Baptiste Artigas (Théâtre Essaïon)

Après l’incarnation distanciée magistrale de Stanislas de la Tousche pendant près de trois saisons, c’est autour de Jean-Baptiste Artigas, d’adapter, mais surtout d’incarner cette « confession calculée » selon le mot de Camus. La Chute, le fascinant monologue de Camus est une marche très haute pour tout comédien et metteur en scène.
Plus physique, la proximité de la salle -cave de Essaïon s’y prête bien, l’acteur-metteur en scène donne corps dans tous les sens du terme, physiquement par sa carrure de transbordeur, tout à fait crédible dans un bar interlope d’une ville portuaire, dramatiquement aussi en renforçant les mystères de la confession-miroir cet intrigant « juge-pénitent ».

« Il a le cœur moderne, c’est-à-dire qu’il ne peut supporter d’être jugé. Il se dépêche donc de faire son propre procès, mais c’est pour mieux juger les autres. Le miroir dans lequel il se regarde, il finit par le tendre aux autres. Où commence la confession, où commence l’accusation ? »
Albert Camus ’Prière d’insérer’’, La Chute, mai 1956

Avec deux chaises il cadre bien les ressorts de ce narrateur. Quelques rythmes d’un piano jazz aussi déglingué que lui, délayent un peu la pesanteur de ce réquisitoire mise en abime d’un «roman de la négation» sans concession contre toutes certitudes de l’homme « moderne ». Ce face à face avec sa conscience, entre culpabilité et ricanements dans une suffocation partagée étreint le spectateur, et ne le lâche plus … bien après le spectacle.
Revient Camus, ils sont devenus fous!

jusqu’au 24 mai 2025, les jeudis, vendredis, samedis à 21h, Théatre de l’Essaön

La Chute, d’après Camus, de et par Jean-Baptiste Artigas Photo Philippe Hanula

Entendez-vous !, de David Braun (A La Folie Théâtre)

On a besoin de quelqu’un qui se contente d’appliquer les consignes.
Mais qui fasse preuve d’autonomie. Quelqu’un de responsable. Et d’un peu insolent. Rassurant. Mais pas rassuriste. Quelqu’un qui sache dire les choses. Quand il faut. Et qui sache se taire. Quand il ne faut pas. Ça vous parle ?
extrait du dialogue du Recruteur

Une scène nue, deux tabourets blancs et noirs et les deux acteurs, David Braun et Cyrille Andrieu-Lacu, eux aussi habillés en noir et blanc, qui se présentent comme l’auteur et le comédien.

Il y a du Chaplin, du de Funès, du Marceau (le mime, pas Sophie) dans leur façon de jouer, de parler, de se déplacer.

Eux se revendiquent une filiation avec les duos Poiret/Serrault, Francis Blanche/Pierre Dac ou les Monty Python. Pas étonnant quand on sait que tous les deux ont des parcours de théâtre mais aussi de clown (Le Rire médecin pour Cyrille Andrieu-Lacu, Le Samovar pour David Braun). Quant au metteur en scène, Gérard Bannier, il donne depuis 30 ans des formations de clown, de burlesque notamment.

En quelques modifications de costumes, ils bâtissent différents personnages et croquent les dérives et les travers de notre société : des mots de passe aux émoticons, en passant par un DRH accro à la coke, un médecin incompréhensible ou un présentateur d’émission littéraire ( Augustin Trapenard n’est pas loin) qui parle plus que son invité.

Entendez-vous ! a été imaginé, écrit et expérimenté en plein confinement, mais l’omniprésence des écrans rend le propos d’une brulante actualité.

« Pendant que le numérique s’étendait brutalement son empire sur nos vies, on a fait ce qu’on a pu pour se fendre la poire. (…) Aujourd’hui on est sans cesse sollicité pour donner son avis, expérimenter son ressenti. Sous couvert de bienveillance, cette mascarade de communication fait de nous des pantins réduits à leurs pulsions.
J’ai choisi douze situations de la vie contemporaine. J’ai poussé leur caractère absurde et cruel jusqu’à la barbarie. J’ai jubilé de venger le spectateur de son enfer quotidien »
David Braun.

Drôle, burlesque, parfois absurde, Entendez-vous ! est un spectacle qui fait rire et réfléchir.

jusqu’au 7 juin 2025, Texte de David Braun avec Cyrille Andrieu-Lacu et David Braun, mise en scène de Gérard Chabanier. Tous les vendredis et samedis à 21h. A la Folie Théâtre, 6 rue de la Folie Méricourt 75011 Paris. Tel : +33 1 43 55 14 80.

La malédiction du Cygne, d’Anne-Marie Sapse (A la Folie Théâtre)

Légende ou pas, fantasme ou obsession d’Elle, un destin funeste plane et obscurcit les liens familiaux. Empêtrés ou sauvés dans leurs routines, des personnages de chair et d’os tentent de trouver une issue satisfaisante à leur condition. Dans le texte dense et âpre d’Anne-Marie Sapse, l’absence d’échappatoire impose comme chez Ibsen son poids de prévisibilité, qui ne peut se défaire qu’ à la faveur d’une catastrophe.

Pourtant le drame commence banalement

Dans une ferme de la forêt finlandaise, un homme et sa femme ont recueilli Elle, sa sœur à la mort accidentelle de leurs parents. Certes Elle s’enferme dans une étrange fascination pour la légende noire du Cygne de Tuonela. Seul Ahti, jeune homme du voisinage, marié à Kylliki, en tombant follement amoureux va la sortir de sa peur. Mais au prix d’une terrible condition, elle se donnera à lui s’ il tue le Cygne pour elle. Malgré ses réticences et celle de son entourage, le transit se précipite à exaucer son vœu.

Dans cet l’engrenage où tout est dit, verbalisé, délivré du for intérieur où les sentiments pourraient rester, il faut tout le talent de la mise en scène de Frédéric Thérisod pour nous plonger dans une dynamique à la fois aussi transparente et dépouillée, régie par la fatalité, l’inévitabilité du destin.

Delphine André et Albert Dufer La malédiction du Cygne, d’Anne-Marie Sapse mise en scène Frédéric Thérisod (A la Folie Théâtre) photo Fred Fayt

D’emblée tous les personnages nous sont décrits dans la position de subir leur vie. Le désarroi des personnages (mère, père, épouse) est sincère presque naturelle, devant la revendication d’Ahti et Elle d’assumer la liberté de leurs choix qui rompt avec les habitudes d’autopréservation dans un climat et une nature rudes. La force du drame tient autant par la dimension épurée, réduite à l’essentiel du drame implacable qu’à l’incarnation de la troupe: à commencer le couple fatal, Delphine André et sa folie éthérée et son amant Albert Dufer tous deux crédibles dans leur acharnement à répondre à cette vérité qui s’impose à eux comme si celle-ci était nécessaire à l’ordre de leur univers.

Julie Léger, Rosalie Bonneville, Véronique Multon, Christophe Rouillon et Frédéric Thérisod sont tous sensibles et convaincants pour exprimer ce quelque chose qu’ils répugnent à saisir, qui leur est totalement intolérable, et en même temps qui exerce sur eux une attirance plus forte que tout et qui dément toute psychologie, une attirance irrépressible vers quelque chose qui est… la vérité

Reste que cette vérité est précisément ce que les gens, dans la vie réelle, passent leur temps à éviter de rechercher. Ils tournent autour, ils font tout ce qu’on veut sauf de forer dans eux-mêmes. Elle et Ahti refuse cet ordre de l’univers, et son système de valeurs d’une extrême rigidité.

Légende ou vérité, la corrosion de cette « malédiction du cygne » nous laisse le constat d’une nécessité humaine, celle de vivre avec l’autre en même temps que la question de notre capacité ou de notre incapacité à nous résoudre à cette nécessité :

« Si l’on prive l’homme du mensonge qu’est sa vie (« life-lie »), on lui enlève toute sa joie d’être.« 

Jusqu’au 21 juin, les jeudis, vendredis et samedis à 21h30, A la Folie Théâtre, 6 rue de la Folie Méricourt 75011 Paris
Mise en scène de Frédéric Thérisod,
avec Delphine André, Rosalie Bonneville, Albert Dufer, Julie Léger, Véronique Multon, Christophe Rouillon, Frédéric Thérisod

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